Le développement économique au Rwanda: miracle ou mirage?
S’il est facile de remarquer des signes de modernisation des villes rwandaises — notamment celle de Kigali —, il est plus difficile de trouver des indicateurs des prétendus exploits du régime actuel rwandais en matière de lutte contre la pauvreté de masse. Les statistiques montrent plutôt que les conditions de vie de la majorité des Rwandais se sont détériorées par rapport à celles d’avant la guerre de 1990. Pire encore, les données montrent que cette situation d’appauvrissement touchant la majorité de la population rwandaise n’est pas sans rapport avec le problème Hutus-Tutsis que les autorités actuelles tentent de balayer sous le tapis.
Pays inégalitaire
Selon le dernier rapport du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) sur le développement humain portant sur le Rwanda (Turning vision 2020 into reality: From recovery to sustainable human development), 62 % de la population rurale vit actuellement dans la pauvreté avec moins de 0,44 $US par jour, alors que cette proportion n’était que de 50,3 % en 1990.
Le rapport mentionne aussi qu’en 2000, la tranche des 20 % les plus riches détenait 51,4 % du produit intérieur brut (PIB) alors que celle des 20 % les plus pauvres subsistait avec seulement 5,4 % du PIB, ce qui place le Rwanda parmi 15 % des pays les plus inégalitaires au monde. Si l’on compare cette situation à celle d’avant la guerre de 1990, ces proportions étaient respectivement de 48,3 % et de 7,6 %. Le rapport du PNUD fait aussi remarquer que, si les inégalités étaient restées aux niveaux de 1990 et de 1985, avec le taux de croissance actuel de 5,8 %, le revenu des 20 % les plus pauvres aurait plus que doublé.
Les conséquences de cette situation dans la vie quotidienne des Rwandais sont désastreuses: près d’un tiers de la population souffre de carence alimentaire et dans certaines régions comme le Bugesera, cette proportion atteint 40 %. De même, l’espérance de vie d’un Rwandais (44 ans) figure parmi les 20 plus basses au monde.
Lutte contre la pauvreté?
Les mérites du régime de Kagame dans la lutte contre la pauvreté de masse, qui ne se reflètent pas dans ces données, seraient-ils plutôt visibles dans des politiques de long terme qui n’auraient pas encore produit les effets escomptés? Rien n’est moins sûr, au vu des priorités budgétaires du régime actuel.
En effet, alors que 80 % de la population vit de l’agriculture, ce secteur ne reçoit que 3 % du budget du gouvernement du général Kagame, soit très loin des 10 % recommandés par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). De même, les dépenses pour la santé sont de 10 $ par habitant, soit trois fois moins que la moyenne des pays en voie de développement (34 $) et même en dessous de celle des pays africains au sud du Sahara (12 $).
Comment alors parler de modèle excitant lorsque les inégalités croissantes et le sous-financement du secteur qui emploie le plus de personnes ne permettront pas à la majorité des Rwandais d’investir dans l’éducation de leurs enfants pour briser le cercle vicieux de la pauvreté? Déjà, à cause de l’extrême pauvreté de beaucoup de ménages, 30 % des enfants des milieux ruraux décrochent de l’école avant la fin de la 4e année primaire. De même, comment vanter la politique de lutte contre la pauvreté d’un pays qui est parmi ceux qui investissent le moins dans la santé de sa population alors que ce facteur est déterminant dans l’accroissement de la productivité des travailleurs?
Dépenses militaires
Lorsque l’on superpose l’affectation des dépenses gouvernementales et la composition ethnique de la population rwandaise, le schéma qui en ressort dégage de grands facteurs de risque qui devraient freiner les ardeurs de ceux qui approuvent la vision «kagamienne» du développement.
Voici les faits: nous l’avons dit, le gouvernement actuel accorde seulement 3 % de son budget à l’agriculture alors que ce secteur emploie 80 % de la main-d’oeuvre rwandaise. Sachant que les Hutus constituent 85 % de la population, ce sont eux qui sont majoritairement touchés par le sous-financement du secteur agricole et donc maintenus dans la pauvreté.
Par contre, le régime de Kagame occupe le premier rang mondial en matière de dépenses militaires. Selon le CIA-World Factbook, en 2006, le Rwanda a consacré 13 % de son PIB aux dépenses militaires. Même l’aide au développement accordée au Rwanda est ponctionnée à concurrence de 10 % pour financer les organes de répression, soit le double de la part réservée à l’agriculture. Or, l’armée rwandaise est à 90 % constituée d’éléments issus de la minorité tutsie.
Le constat est sans appel: le modèle «kagamien» est doublement risqué. D’un côté, à court de mécanismes incitatifs susceptibles de lui faire gagner l’assentiment de la majorité, le régime doit s’appuyer sur d’énormes moyens coercitifs pour maintenir un fragile équilibre. D’un autre côté, en mettant face-à-face une armée presque mono-ethnique tutsie et une masse de laissés-pour-compte majoritairement hutus, il porte les germes d’une confrontation interethnique qui risque de provoquer une autre hécatombe. Le Burundi voisin est une parfaite illustration de ce scénario.
De tous ces faits, il ressort que le contentieux ethnique qui est à la base des violations massives des droits de la personne au Rwanda constitue aussi la trame de fond de la politique économique du régime de Paul Kagame. Ignorer cette réalité dans l’octroi des appuis à ce régime et se limiter à la belle carte de visite que constituent certaines villes comme Kigali revient à se satisfaire d’un mirage et à condamner le Rwanda à subir tôt ou tard d’autres horribles catastrophes.
Source : ledevoir.com
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