Élection présidentielle à un tour : la peur des kabilistes et les stratégies envisagées
La classe politique congolaise est divisée au sujet de la révision de la loi électorale. L’opposition s’en tient à la formule de 2006 qui consacrait les élections présidentielles à deux tours, pendant que les partisans de l’AMP veulent obtenir un changement pour faire élire le prochain président de la République à l’issue d’un seul tour de scrutin. Le cardinal Monsengwo n’a pas attendu le dépôt du projet de la révision de cette disposition à l’Assemblée nationale pour donner sa position. Ce prélat catholique a plaidé pour l’organisation d’une élection présidentielle à deux tours. Pour lui, si le candidat passe au premier tour, cela veut dire que ce sera, à la rigueur, avec 20 % des voix, ce qui n’est pas représentatif de l’ensemble de la population. Vous ne pouvez pas être un chef de l’État d’un peuple qui a 100 °h, en étant le chef de 20 % On est mal à l’aise soi-même. Comment peut-on être à l’aise en étant le chef de 20 % d’une population estimée à 100 %, s’est-t-il interrogé ? Si l’opposition s’est félicitée de voir cette haute autorité de l’Église relayer son point de vue, les hommes du pouvoir considèrent qu’il a manqué de se comporter en gardien d’église au milieu du village.
Est-il nécessaire de réviser cette disposition constitutionnelle ?
Le fait précède le droit dit-on. En pareil cas, l’on devrait se poser la question de savoir ce qui peut pousser les politiques congolais à entrevoir le changement de cette disposition constitutionnelle. Y a-t-il eu des effets néfastes suite à l’organisation des élections présidentielles à deux tours en 2006 ? Le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a soutenu lundi 3 janvier devant la presse que la révision du code électoral est devenue nécessaire pour deux raisons fondamentales. Le second tour, selon Mende, est devenu source de conflit au regard des élections organisées en Afrique. Notamment en Guinée et en Côte d’Ivoire. La RDC ne dispose pas de moyens suffisants pour organiser le second tour en raison de son coût exorbitant. Il serait plutôt indiqué de disposer de ces moyens financiers pour l’aménagement des infrastructures nationales. Des arguments bien légers pour justifier la modification de la loi électorale. Les réalités politiques ivoiriennes et guinéennes ne sont pas transposables à la RDC. La Constitution congolaise prévoit des élections présidentielles tous les cinq ans. Ce n’est pas à la veille de pareille échéance que le gouvernement doit avancer des raisons financières pour justifier le changement d’une disposition constitutionnelle. Quelles infrastructures peut-on aménager avec des fonds qui auraient servi pour l’organisation de second tour, alors que le gouvernement n’a guère réalisé grand-chose au cours des cinq dernières années ? Les raisons de ce changement de dernière minute, souhaité par les membres de la majorité présidentielle, sont donc à chercher ailleurs.
L’absence d’un discours de campagne
Beaucoup de Congolais s’accordent à dire que le bilan du premier mandat de Joseph Kabila est mitigé. Les espoirs suscités par son élection en 2006 ont cédé place à la déception. L’homme n’a pas réalisé toutes ses promesses de campagne. En l’absence de réalisations concrètes, les partisans du pouvoir central savent qu’une bonne partie de la population congolaise ne croira plus à leur discours de campagne. Ce qui ne manquera pas de jouer négativement sur les chances de Kabila aux prochaines élections. Il faut donc tout faire pour s’assurer d’une victoire au premier tour.
L’effritement de la popularité de Kabila à l’est de la RDC
Les « cinq chantiers » de Joseph Kabila sont toujours à l’état d’ébauche dans plusieurs provinces orientales du Congo. Les provinces du Nord Kivu, du Sud Kivu, de Maniema et la Province Orientale n’ont pas encore ressenti les effets de ces cinq chantiers. La sécurité promise aux habitants de cette partie du Congo bat encore de l’aile. Les tueries, enlèvements, vols à mains armées, viols des femmes et jeunes filles y sont banalisés. Des groupes armés, tant nationaux qu’étrangers, continuent à se comporter en maîtres sur certaines zones de cette partie du territoire. Les habitants de l’est ont la nette impression que le pouvoir les a délaissés. Et pourtant, c’est essentiellement grâce à leurs votes que Kabila a été élu en 2006. Peu certain d’obtenir le même résultat, le pouvoir évite de se risquer à un second tour au résultat imprévisible. Un duel entre Kabila et n’importe quel autre concurrent peut réserver des surprises désagréables. Surtout que l’ouest (Bandundu, Bas-Congo, Équateur) et le centre du pays (Kasaï Oriental et Kasaï Occidental) lui sont moins favorables.
La boulimie du PPRD[1]
De nombreux caciques du PPRD veulent s’emparer du contrôle total de l’appareil étatique. Ceci, en vue de quitter le chômage dans lequel les avaient plongés des alliances signées, au second tour des élections de 2006, entre leur « autorité morale » et d’autres formations politiques. Ces alliances ont permis, selon eux, à ces formations de briguer des fonctions qui auraient dû revenir aux bonzes du PPRD. Le scrutin à un tour constitue, avec tous les subterfuges dont ils disposent pour contrôler les opérations électorales, le seul moyen pour faire triompher Joseph Kabila sans recourir aux alliances. Donc, une manière pour eux d’occuper des postes « juteux » dans les institutions du pays. Il suffira, pour cela, de manœuvrer pour faire passer Joseph Kabila en tête de liste, quel que soit le score obtenu. Le tour sera ainsi joué!
Les stratégies de certains milieux occidentaux
Certains milieux occidentaux, soucieux de préserver leurs intérêts dans le pays, tiennent à la stabilité dans la région des Grands Lacs. Ils peaufineraient, de leur côté, des stratégies pour maintenir Joseph Kabila au pouvoir, étant donné, selon eux, l’absence d’une alternative crédible. Ceci, tout en étant conscient des lacunes du régime en place à Kinshasa. Pour eux, il faudrait sécuriser l’est du Congo afin d’y barrer la route à une éventuelle installation du réseau Al-Qaïda. Ce qui permettrait de bien surveiller ce qui se passe dans la corne de l’Afrique (Somalie et Érythrée) et surtout le déroulement des événements au Sud Soudan. L’alternance au pouvoir en RDC ne serait pas leur priorité. Dès lors, les souffrances et autres misères du peuple congolais ne comptent pas pour eux. Il faut, à tout prix, contrer « l’axe du mal » dans cette région et pour ce faire, il faudrait compter sur le trio Museveni-Kagame-Kabila. Le rapprochement entre Kinshasa et Kigali, constaté ces derniers jours, rentrerait dans cette logique. Aussi, les enjeux actuels du Sud Soudan, de la Corne de l’Afrique et de la Côte d’Ivoire font reléguer le problème de la RDC au second plan dans les stratégies de ces occidentaux qui estiment primordial de laisser le pouvoir en place en RDC, le temps de résoudre la question du Sud Soudan et de la Corne de l’Afrique. Ceci pousse les hommes du pouvoir à mettre tout en œuvre pour éviter un second tour, tout en étant certains de pouvoir bénéficier de l’appui de la Communauté internationale.
L’avenir incertain
Le bilan mitigé de ce premier mandat électoral, les conditions sociales déplorables des populations et l’insécurité permanente à l’est de la RDC ont réduit sensiblement la cote de popularité de Joseph Kabila. Une bonne frange de la population congolaise aspire à une alternance du pouvoir. D’autre part, il y a cette fameuse communauté internationale qui a toujours un mot à dire dans la politique africaine. Bien qu’ayant constaté les faiblesses du régime Kabila, elle semble encore hésiter sur la possibilité d’une alternative au Congo. Comme partout en Afrique, le pouvoir tentera de contrôler toutes les opérations électorales à son profit. Le soutien moral de la communauté internationale suffira ensuite pour faire avaliser les résultats truqués. À l’allure où vont les choses, il y a lieu d’envisager quelques scénarios possibles dans le futur.
Kabila passe et un coup d’État s’en suit
Un coup d’État ne pourrait éventuellement venir que de l’Armée nationale. Dans les circonstances actuelles de la RDC, l’armée est hétéroclite. Il est difficile, même au chef d’État-major général de l’Armée, de se faire respecter par tous les hommes de troupe à travers le pays. L’armée congolaise est constituée de plusieurs commandants qui dépendent directement du « chef ». C’est l’une des raisons de son indiscipline caractéristique. Le pouvoir en est conscient. Toute tentative de coup d’État risque de replonger le pays dans une nouvelle guerre qui ne fera pas plaisir aux occidentaux qui tiennent à contrôler la région.
Kabila passe et l’opposition contrôle le gouvernement
Faire triompher Kabila aux présidentielles, mais laisser à l’opposition la majorité parlementaire et donc le contrôle du gouvernement est aussi possible. Pareil scénario imposera une cohabitation qui sera très conflictuelle. Ceci dans la mesure où le régime Kabila a des comptes à rendre à certains milieux financiers internationaux qui tiennent à avoir la main mise sur les richesses du pays. Cette maffia financière internationale est loin de tolérer la présence, en RDC, d’un gouvernement qui pourrait contrer ses actions. Avec un gouvernement dirigé par les opposants, Kabila aura les mains liées et ne saura satisfaire les intérêts de ses mentors. Ce qui sera source de troubles.
Kabila passe et change les membres de son entourage
Maintenir Joseph Kabila au pouvoir en lui enjoignant des nouveaux et bons collaborateurs
est aussi envisageable. Pour cela, il faut que la capacité managériale du « chef » soit avérée. Nombreux sont ceux qui pensent que c’est un « gouvernement parallèle », en place dans le sillage de Kabila, qui dirige le pays. Il lui sera difficile de se départir des hommes qui ont façonné son pouvoir. Les hommes nouveaux pourraient, le cas échéant, peupler officiellement le gouvernement, mais cela ne va rien changer s’agissant de la gestion du pays.
Kabila échoue
Si Kabila échoue, il va sans dire qu’une bonne partie de la population applaudira cette issue du scrutin. Il restera cependant la question de savoir le poids du nouvel élu dans les milieux politiques et financiers occidentaux. Si l’éventuel successeur de Kabila n’arrache pas le consentement des milieux occidentaux, le pays devra s’attendre à des troubles dans les mois qui suivront les élections. La déstabilisation du nouveau régime ne tardera pas à venir. D’où la nécessité d’aligner un opposant qui puisse à la fois convaincre l’opinion nationale et être en bon terme avec les lobbies politiques internationaux. Un leader qui sache allier les intérêts du peuple à ceux des milieux financiers internationaux.
Le peuple fait triompher son opinion
Toutes ces stratégies élaborées dans des bureaux climatisés n’auront une chance de réussir que moyennant une certaine adhésion de l’opinion nationale. Les lobbies politiques occidentaux fléchissent là où une opinion nationale clairement définie s’impose. Il appartient à la classe politique congolaise, à la société civile et aux églises de former l’opinion nationale congolaise. D’apprendre au peuple de savoir imposer son point de vue. De savoir se faire respecter par cette fameuse communauté internationale. La République démocratique du Congo a besoin d’un régime qui puisse réellement prendre en compte les aspirations de son peuple.
Par MATEMBELE,
chroniqueur et analyste politique congolais
Rencontres pour la Paix
Mars 2011
[1] Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie. Fondé en 2002 par Joseph Kabila
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