Le cas de J. L. Teganya, un précédent dangereux pour la jurisprudence
Un bon Hutu est un Hutu mort!
C’est en tous cas ce qui ressort du verdict rendu dernièrement par une cour fédérale qui statuait sur la demande du rwandais Jean-Léonard Teganya qui revendique le statut de réfugié depuis plus de 10 ans maintenant.
Dans sa livraison du 29 mars dernier, le journal National Post rapporte le cas de cet ancien étudiant en médecine à l’Université Nationale du Rwanda, témoin impuissant du massacre de tutsis à l’hôpital de Butare où il effectuait son stage, que ladite cour vient de déclarer comme étant un « criminel de guerre », considérant qu’il devait à priori être de connivence avec les génocidaires du fait qu’il n’a pas fui l’hôpital et qu’il n’a pas été lui-même abattu par ces extrémistes.
Ayant été exclu de la protection prévue par la Convention de l’ONU de 1951 relative au statut de réfugié, le concerné risque donc la déportation du Canada vers son pays natal pour y être jugé.
Ce jugement de la cour venait en fait confirmer la décision de la Commission à l’immigration et du statut de réfugié (CISR) qui a refusé d’accéder à la demande d’asile de M. Teganya au motif qu’il aurait été complice des extrémistes hutus lors du génocide rwandais de 1994. M. Teganya en avait alors appelé de cette décision auprès de la cour fédérale.
Ce qui surprend dans cette affaire c’est que la Cour, comme la Commission d’ailleurs, reconnait expressément que M. Teganya n’a jamais participé aux massacres, mais soutient curieusement, par déduction et non sur base des faits avérés, qu’il était nécessairement «complice» avec les criminels du simple fait que ces derniers ne l’ont pas tué! En somme, un bon hutu est un hutu mort !
Dans un postulat aussi absurde que pernicieux le tribunal se demande si il est «déraisonnable de penser que les extrémistes hutus, en laissant la vie sauve au concerné, avaient toutes les raisons de croire […] qu’il partageait le même but qu’eux, à savoir éliminer les Tutsis et les Hutus modérés ?» Dans le chef des commissaires, la réponse est évidente : le demandeur partageait les vues des tueurs.
Cette affirmation est aberrante quand on sait que des Hutus ont voulu sauver des amis tutsis, – certains étant même des membres de leurs familles à cause des intermariages –, mais qu’ils n’ont rien pu faire pour eux, car autrement ils risquaient eux-mêmes leurs vies. N’est-il injuste pas de le leur reprocher ?
On sait par ailleurs que dans les villages, à la campagne où généralement les gens se connaissent les uns et les autres, des Hutus ont pris le risque de cacher des Tutsis; mais même là ça n’a pas toujours été aisée; certains l’ont payé de leur vie. Dans un milieu aussi populeux comme peut l’être le campus de Butare, il eut été absolument suicidaire de tenter une telle aventure. Alors, est-il raisonnable de reprocher à quelqu’un de ne « s’être pas suicidé » pour sauver son prochain ? Combien parmi nous seraient assez « bons samaritains » pour consentir à ce sacrifice ultime pour sauver son prochain ?
En fait, ces intermédiaires de la justice estiment que M. Teganya aurait dû afficher haut et fort son opposition face aux extrémistes plutôt que de rester passif, disent-ils. Pourtant, d’aucuns pensent que compte tenu du chaos et de la situation de non-droit qui prévalaient à cette époque-là, une attitude aussi téméraire lui aurait été fatale à coup sûr et, de toute façon, n’aurait sauvé aucun Tutsi.
Tel père, tel fils.
Dans sa quête d’arguments pour justifier sa décision, la CISR avance la présomption de culpabilité basée une fois de plus sur un a priori peu convaincant. Le demandeur, assène la commission, « est un homme qui a dû partager l’idéologie de violence de son père, arrêté dans le cadre des enquêtes sur le génocide des Tutsis et qui était un des dirigeants du parti qui avait créé les milices extrémistes Interahamwe ».
Cette supputation relève purement et simplement de la spéculation et n’a rien de juridique. Si non, comment la Commission expliquerait-elle que deux enfants nés d’une même famille, ayant par conséquent « baigné dans une même idéologie familiale », puissent avoir des comportements extrêmement différents, voire opposés ? Comment une instance judiciaire aussi importante que la CISR puisse-t-elle étayer son argumentaire par un simple adage du genre « tel père tel fils» ?
Encore qu’on serait fondé de douter, un tant soit peu, de la justesse du jugement de Teganya père par les tribunaux Gacaca dont Mme Allison Desforges, –auteure du livre « Aucun témoin ne doit survivre : Le génocide au Rwanda » qui a été présenté en preuve documentaire par la poursuite –, avait elle-même mis en cause l’intégrité bien avant sa mort. Cela lui avait valu d’ailleurs d’être persona non grata sur le sol rwandais ; elle avait été refoulée à deux reprises par l’actuel pouvoir de Kigali.
Ce qui est encore plus troublant est que dans le libellé de sa décision, la Commission transforme cette complicité supposée en « crimes contre l’humanité » afin de justifier son rejet de la demande du statut de réfugié.
Ayant eu écho de cette décision, le gouvernement rwandais s’est aussitôt saisi de l’affaire et réclamé l’extradition de M. Teganya vers le Rwanda pour y être jugé. Nul doute que le syndicat des délateurs est déjà à l’œuvre pour fournir les témoins à charge advenant l’expulsion de M. Teganya.
Marié et père de deux enfants nés au Canada, J.-L. Teganya est un travailleur qui mène une vie sans histoire depuis son arrivée au Québec en 1999. Il très est apprécié aussi bien dans son milieu de travail que dans sa communauté d’origine. Aujourd’hui, à la suite de la décision du tribunal, M. Teganya est un homme traqué. Sa femme est très inquiète et passe des nuits agitées en s’imaginant le calvaire que cette décision fera subir à leurs enfants.
La présomption d’innocence oui, mais pas pour les Hutus
Le Congrès Rwandais du Canada (CRC) tient à dénoncer le militantisme quasi compulsif chez certains commissaires du CISR qui ne semblent pas faire la mise à jour nécessaire de leurs dossiers sur le génocide rwandais et qui en sont toujours à stigmatiser tous les Hutus comme des extrémistes-nés à l’exception de ceux qu’ils appellent cyniquement des « Hutus modérés ». Autrement dit des individus qui seraient « modérément hutus » puisque dans l’esprit de certains commissaires, hutu et extrémiste sont des termes synonymes.
Le comble des malheurs, c’est que ces commissaires dits abusivement « spécialistes » du dossier Rwanda continuent de juger sur base d’un principe bipolaire simpliste à savoir que si l’on n’a pas été tué, c’est forcément qu’on était complice ! Pourtant, chaque Rwandais qui s’en est sorti vivant possède sa propre histoire, les circonstances n’ayant pas été les mêmes partout et pour tout le monde.
La CISR privilégie la présomption de culpabilité quand il s’agit de juger les Hutu. Ceci constitue un dangereux précédent pour la jurisprudence.
Faustin Nsabimana
Membre du Congrès Rwandais du Canada.
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