Allemagne-Rwanda. Le procès des leaders des FDLR : un procès politique ?
Depuis le 4 mai 2011, un tribunal de Stuttgart en Allemagne juge Messieurs Ignace Murwanashyaka et Straton Musoni respectivement Président et Vice-président des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), un mouvement politico militaire basé en République Démocratique du Congo (RDC) et qui combat le régime du général Paul Kagame. Murwanashyaka et Musoni vivent en Allemagne depuis plusieurs années et n’ont été élus à la tête de la branche politique des FDLR qu’en 2002. La branche armée de ce mouvement constituée de combattants souvent recrutés parmi les réfugiés est quant à elle confinée dans les forêts de l’Est de la RDC. Ces deux responsables sont accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Nord et au Sud Kivu par des groupes armés sur le principe de la « responsabilité du supérieur hiérarchique ».
Or, plusieurs mouvements armés sont actifs dans l’Est de la RDC et des crimes de guerre sont régulièrement commis sans que l’on puisse identifier les vrais coupables.
En effet selon un récent rapport d’IRIN, un service du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies, pas moins de DIX mouvements armés évoluent dans l’Est de la RDC :
– FRF : Forces Républicaines Fédéralistes. Ce groupe évolue au Sud Kivu sous le commandement d’un certain Michel Rukunda.
– Les groupes Mai Mai
. PARECO : Patriotes Résistants Congolais
. APCLS : Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverai
. Groupe Yakoumba
– CNDP : Conseil National pour la Défense du Peuple, groupe armé des Tutsi congolais. Après l’éviction de Laurent Nkunda et son remplacement par Bosco Ntaganda, ce groupe a conservé ses chaînes de commandement et a gardé ses fiefs au nord Kivu surtout dans le Masisi même après son intégration officielle dans l’armée gouvernementale.
– FPLC : Forces Patriotiques pour la Libération du Congo avec à sa tête le général Gad Ngabo
– ADF/NALU : Les Forces Démocratiques Alliées/ Armée Nationale de Libération de l’Uganda. Il s’agit d’un mouvement armé ougandais qui s’est replié dans la région de Beni en RDC. A sa tête se trouve Jamil Mukulu.
– Et « Last but not least » les FARDC, les Forces Armées de la République Démocratique du Congo qui sont déployées en force dans les deux Kivu. A leurs côtés, des unités spéciales de l’armée rwandaise de Paul Kagame qui sont restées sur place (secrètement) après la fin de l’opération « Umoja Wetu » qui avait réuni les armées des deux pays officiellement dans la traque des FDLR en 2009.
Paradoxalement et comme par enchantement, le gouvernement congolais, le Rwanda, la MONUSCO (Mission de l’ONU au Congo) et ses agences et organes de presse ne parlent plus d’aucun autre groupe armé au Nord ou au Sud Kivu qui ne soit FDLR. Même certains groupes Mai Mai qui mènent des actions armées et qui entendent les revendiquer voient leurs revendications reniées sous le prétexte que tout ce qui se passe à l’Est de la RDC doit être mis sur le dos des FDLR. Il semble qu’un « deal » ait été conclu entre la RDC, le Rwanda et la Communauté Internationale (MONUSCO) pour tout mettre sur le dos des FDLR.
La RDC, confrontée à plusieurs rebellions, est ainsi soulagée d’entendre qu’enfin dans le Kivu, ce sont des Rwandais qui y sèment la désolation et qu’aucun groupe congolais ne défit plus le pouvoir de Kinshasa. Le Rwanda y trouve son compte en brandissant la menace que constituerait les FDLR, ce qui lui permet de se maintenir en état de guerre et de se surarmer et ainsi continuer à occuper l’Est de la RDC. La MONUSCO, dont les soldats sont frileux pour aller sur le terrain craignant d’être accrochés par les rebelles, est soulagée dans la mesure où chaque fois qu’il se passe quelque chose dans un coin éloigné de Goma ou de Bukavu, un communiqué est toujours prêt attribuant la responsabilité aux FDLR.
Voilà pourquoi, depuis quelques années, l’opinion internationale est abusée par un trio dont la convergence d’intérêts saute aux yeux. Jusqu’ici, tout allait bien dans le meilleur des mondes.
Mais maintenant qu’un procès est intenté contre la direction politique des FDLR, il y a un « hic ». Murwanashyaka et Musoni sont jugés pour des crimes commis en RDC au titre de la responsabilité du supérieur hiérarchique. Or, jusqu’à ce jour, les FDLR ont toujours clamé n’avoir commis aucun crime de guerre ou crime contre l’humanité en RDC. Leurs statuts et leur programme politique sont parfaitement clairs : lutter pour instaurer la démocratie au Rwanda. La direction politique jure de n’avoir donné aucun ordre de commettre un quelconque crime et affirme n’avoir jamais été mis au courant que les combattants sur le terrain auraient commis des crimes. Parmi les milliers de documents saisis chez les deux hommes, le Procureur n’a pu y déceler un seul prouvant qu’ils donnaient des ordres de commettre des crimes. Au contraire, chaque fois que la propagande attribuait à tort une action (viol, pillage, incendies,…) aux FDLR, celles-ci publiaient immédiatement un démenti.
Mais là où ça se complique pour la Justice allemande, c’est qu’aucun des crimes dont sont accusés les FDLR, donc Murwanashyaka et Musoni, n’a été formellement attribué aux FDLR suite à une enquête indépendante. On les accuse des crimes qui ont été même revendiqués par certains groupes armés, mais en vain. Pour qu’un supérieur hiérarchique soit rendu responsable de ce qu’a fait son subordonné, il faut au préalable qu’il soit établi que le subordonné était bien aux ordres du supérieur, que ce dernier ait donné l’ordre ou ait été informé des actes du subordonné sans intervenir pour l’empêcher ou pour le sanctionner mais surtout que ce subordonné ait réellement commis ce crime !
Murwanashayaka et Musoni risquent d’être condamnés pour des crimes commis en RDC mais que rien n’indique que ces crimes ont été commis par les FDLR.
En conclusion, nous pensons qu’en les jugeant pour les crimes commis au Congo par des groupes armés mais dont aucune enquête indépendante n’a formellement établi qu’ils furent commis par leurs hommes sur le terrain, les responsables politiques des FDLR sont sacrifiés sur l’autel de la Realpolitik qui veut que le Communauté internationale se doit de décourager ou démanteler toute opposition armée au régime du dictateur Kagame. La justice allemande s’inscrit-t-elle dans cette logique ?
EdA Press
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