Rwanda:des mandats d’arrêts politiquement motivés. Le cas de P.C. Rwigema
Sur les antennes de la BBC Kirundi-Kinyarwanda dans son émission du 17 mai 2011, le Procureur de Kigali chargé de traquer les « génocidaires » en fuite, a confirmé qu’il avait classé le dossier de Pierre Célestin Rwigema qui, depuis 2001 figurait sur le liste des « génocidaires » en fuite et contre qui un mandat d’arrêt international avait été lancé. Dans la même émission, P.C. Rwigema a salué cette décision et a remercié au passage le Parquet général de Kigali qui, d’après lui, prouverait ainsi l’indépendance et l’impartialité de la justice rwandaise.
Pour mesurer l’étendue des conséquences de ce coup de théâtre, il faut rappeler qui est Pierre Célestin Rwigema.
Pierre Célestin Rwigema fut ministre sous l’étiquette du MDR dans le premier gouvernement du FPR en 1994. En 1995, il fut désigné Premier ministre en remplacement de Faustin Twagiramungu son président de parti qui venait de jeter l’éponge. Il restera à ce poste jusqu’en 2000 quand il fut limogé et dut s’exiler aux Etats-Unis. En 2001, il fut inculpé par le Procureur de Kigali pour génocide et son nom fut mis sur la liste des fugitifs qu’Interpol devait rechercher et appréhender.
L’annonce du Procureur de Kigali de l’abandon des poursuites contre PC Rwigema ainsi que la réaction de l’intéressé font penser qu’il y a eu bel et bien un « deal » entre le régime du FPR et son ancien Premier ministre. Etant donné la personnalité de P.C. Rwigema, cela n’étonnera personne si cet homme trop ambitieux, intriguant et rotors serait parvenu à renouer avec le FPR dans un marché aux enjeux politiques évidents.
Le passé de PC Rwigema est assez éclairant sur ce que peut être le comportement de cet homme. En 1975, durant ses études supérieures à Butare, alors qu’il devait passer un un examen oral d’anglais, il demanda à un de ses amis de se présenter à sa place et en son nom. Le professeur, un expatrié, remarqua cette tricherie. Pierre Célestin Rwigema et son complice furent renvoyés. Pierre Célestin Rwigema fut alors au service de l’entreprise « Un toit à toi » qu’il quitta pour travailler en indépendant. En 1985, il abandonna finalement tout et s’en alla au Zaïre car il avait été toujours frustré de ne pas avoir un diplôme universitaire. Après deux ans, Pierre Célestin Rwigema avait sa licence en sciences économiques en poche. Revenu au Rwanda, il fut engagé comme Directeur de l’Imprimerie Printer Set et adhéra au parti MDR lors du multipartisme en 1991
Avec la victoire du FPR en juillet 1994, Pierre Célestin Rwigema fut l’un des courtisans de Paul Kagame en brandissant notamment qu’ils sont originaires de la même région. Il fut nommé ministre de l’Enseignement. Paul Kagame en profita et l’utilisa pour savoir ce qui se tramait dans « le camp des Hutu ». Ainsi, quand Twagiramungu et ses ministres hutu ont décidé de démissionner, Pierre Célestin Rwigema était, lui aussi, de la partie. Mais il est passé à côté pour révéler l’affaire à Kagame. Leur démission coïncida ainsi avec leur limogeage. Pierre Célestin Rwigema en a récolté les fruits et fut nommé Premier ministre.
Mais c’était sans compter avec le FPR. Pour le fragiliser et l’amener à faire davantage le mouchard, on l’accusa de génocide. Pour se dédouaner, le FPR lui demanda de confirmer la présence des infiltrés à partir du Zaïre et justifier ainsi le massacre des populations civiles par l’APR.
Sur injonction des « hautes autorités de la République », il a eu la mission de casser le MDR en écartant les députés qui n’adhéraient pas pleinement à l’idéologie du FPR. Il alla même jusqu’à endosser tous les crimes des Hutu et à demander publiquement pardon en leur nom. Comme pour lui montrer que son sort dépendait du FPR, son directeur de cabinet, un autre Hutu, fut arrêté dans son bureau et mis simplement en prison pour « génocide ». Pierre Célestin Rwigema ayant fini sa tâche, il fut contraint de démissionner en février 2000. Il s’exila et le gouvernement du FPR lança contre lui, le 11 avril 2001, un mandat d’arrêt international. Comme si cela ne suffisait pas, il fut mis lui aussi sur la liste des « génocidaires de la première catégorie ».
Son ancien collègue au gouvernement du FPR et son camarade au sein du parti MDR, Eugène Ndahayo, en sait plus sur lui. Il a écrit :
« Monsieur Rwigema P.Céléstin (MDR), ministre de l’Enseignement primaire et secondaire puis Premier ministre après le départ de Faustin Twagiramungu, est cité par plusieurs témoins pour avoir participé au génocide en distribuant aux tueurs des armes dans le quartier qu’il habitait en avril 1994, avant de regagner l’hôtel des Milles Collines. Depuis que l’affaire a été ébruitée, il aurait été à l’origine de l’assassinat en prison de témoins gênants et de ses anciens associés en affaires. II est connu aussi pour avoir pillé les stocks de l’Imprimerie Scolaire, le principal fournisseur du matériel scolaire, les stocks de Gikondo du ministère de l’Enseignement primaire et secondaire dont il était le titulaire, ainsi que le domicile de la veuve de l’ancien Directeur de l’Imprimerie Scolaire tué par les Interahamwe à Gisenyi lors du génocide et des massacres. I1 est également mis en cause dans le dossier de détournement de 500.000 dollars américains destinés à la reconstruction des infrastructures scolaires.
Directeur, jusqu’en 1993, d’une imprimerie privée, Printer Set, où un des beaux-frères du Président Habyarimana avait des actions substantielles, Rwigema est soupçonné d’être dans la combine à la base de la publication des dix commandements des hutu parus en décembre 1990 dans un des numéros du journal Kangura. Il a aussi participé, à Kabusunzu, au congrès fondateur de la faction « hutu-power» au sein du parti MDR, dont les initiateurs lui avaient promis un poste important dans la transition élargie. Quand il s’est rendu compte que Faustin Twagiramungu avait plus de chance de diriger la transition, il a changé de camp, non pas par conviction, mais dans l’espoir d’un poste plus important. Cet opportunisme lui a valu l’expulsion du parti par Nsengiyaremye Dismas (premier vice-président du parti MDR) qui venait de perdre son poste de Premier ministre et qui voulait déraciner son rival Faustin Twagiramungu de toutes les instances du parti.
Au lendemain du 6 avril 1994, Rwigema circulait librement et se serait même rendu à Gitarama. Il a aussi eu tout le loisir de mettre ses biens en sécurité, notamment ses voitures, sous bonne garde du préfet de la ville de Kigali, le colonel Tharcisse Renzaho. Il n’a pas non plus eu du mal à les récupérer dans la zone Turquoise où elles étaient toujours bien gardées. Fin mai 1994, croyant que les réfugiés des camps de déplacés de Byumba, où j’étais, avaient les faveurs du FPR du fait des contacts plus faciles avec le quartier général, il m’a fait parvenir une lettre me suppliant de négocier, pour lui auprès du FPR, un transfert de camp. Plus tard j’ai été stupéfait par la joie qu’éprouvait Rwigema, lorsque fin juin 1994, chargé de faire le recensement de l’élite du MDR rescapée, en vue de la mise en place imminente de nouvelles institutions après la chute du camp Kanombe, je l’ai rencontré à Kabuga et lui ai fait part de l’objet de ma visite. A chaque fois que je lui apprenais que tel ou tel n’avait pas survécu, il sautait presque de joie ! A la fin de notre rencontre, il m’a dit textuellement : «Il ne peut en être autrement, je serai ministre ». A Kabuga déjà, il s’était constitué un butin qu’il avait stocké dans les magasins de la famille Mbambanyi. Et pour fêter son irrésistible ascension, il a dans la soirée offert à Bizimungu Pasteur et à Sendashonga Seth, avec qui j’avais fait le voyage, du champagne prélevé sur les stocks de l’hôtel des Mille Collines où il s’était « réfugié » avec l’aide des Interahamwe »[1].
Voici l’homme que le FPR manipule depuis fort longtemps et que l’on devait naturellement redécouvrir dans l’histoire des manipulations judicaires du régime Kagame que constitue la fabrication des listes des « génocidaires ».
La seule leçon qui vaut la peine d’être retenue de cette affaire, est qu’elle démontre encore une fois que les listes dressées par Kigali sont fantaisistes et politiquement motivées. Elles servent d’instrument de pression sur les esprits fragiles mais surtout sur les opposants pour les faire taire. Les instances nationales et internationales, en premier lieu Interpol, ne devraient pas s’y tromper en leur accordant une moindre importance.
EdA Press
[1] Eugène Ndahayo, Rwanda. Le dessous des cartes, Paris, Editions L’Harmattan, 2000, pp 134-135.
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