Rwanda : Entre les généraux Kagame et Kayumba-Nyamwasa, qui protège qui ?
En 2006, le juge anti-terroriste français Jean-Louis Bruguière lançait 9 mandats d’arrêts internationaux contre des proches du président rwandais Paul Kagame. C’était suite à l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie au président rwandais Juvénal Habyarimana et à son homologue burundais Cyprien Ntaryamira avec leurs suites quand l’avion qui les ramenait d’un sommet régional fut abattu dans son approche d’atterrissage sur l’aéroport de Kigali. C’est parce que les trois membres d’équipage qui, eux aussi, trouvèrent la mort dans l’attentat étaient des citoyens français que leurs familles ont demandé à la justice de leur pays, la France, d’identifier et de déférer devant la justice les auteurs de cet attentat terroriste. Parmi les personnalités visées par l’enquête du juge Bruguière se trouvait le général Kayumba Nyamwasa, ancien Chef d’Etat-major de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) et par après ambassadeur du Rwanda en Inde.
En 2008, le juge espagnol Fernando Merelles lança à son tour 40 mandats d’arrêts contre des officiers de la même Armée Patriotique Rwandaise pour des crimes commis après sa conquête du Rwanda en 1994, notamment l’assassinat des religieux et des humanitaires espagnols qui travaillaient au Rwanda. Parmi ces 40 personnes désormais recherchées par la justice espagnole se retrouve le même général Kayumba Nyamwasa.
Entretemps, en 2010, il est apparu que le même général Kayumba Nyamwasa alors en poste à New Dehli comme ambassadeur, était en conflit avec le général Paul Kagame. Rappelé à Kigali, il parvint à s’échapper et trouva asile en Afrique du Sud. Quelques temps après, il fut victime, à Johannesburg où il réside, d’une tentative d’assassinat par un commando de toutes évidences envoyé par son désormais ennemi juré Paul Kagame. Il s’en tira avec des blessures. Quelques temps après, un tribunal d’exception de Kigali condamnait le même général Kayumba Nyamwasa à 30 ans de réclusion criminelle par contumace pour « atteinte à la sécurité de l’Etat ». Un mandat d’arrêt international était délivré par le Rwanda pour appréhender cet ancien compagnon de Paul Kagame. Désormais, Kayumba Nyamwasa est visé par trois mandats d’arrêts internationaux.
Paradoxalement, le plus recherché des officiers de l’APR qu’est le général Kayumba Nyamwasa est le plus exposé et le moins protégé. Il est en effet réfugié en Afrique du Sud et ne bénéficie pas de la protection du gouvernement rwandais comme le reste de ses co-inculpés. Autrement dit, s’il fallait arrêter l’un des 9 criminels présumés inculpés par le juge français Jean-Louis Bruguière, c’est par Kayumba Nyamwasa qu’il faudrait commencer et c’est le seul qui est, dans les circonstances actuelles, encore visé, puisque les mandats de ses autres co-accusés ont été levés par le juge français Trévidic qui a remplacé Bruguière.
Le dilemme de Paul Kagame réside donc à ce qu’il doit continuer à présenter Kayumba Nyamwasa comme un criminel recherché, mais qu’en même temps les services rwandais doivent veiller à ce qu’il ne tombe pas dans les mains de la justice française ou espagnole qui le recherchent. Kagame craint que si Kayumba Nyamwasa était livré à la France dans le cadre de l’attentat du 6 avril 1994, ou livré à l’Espagne dans le cadre des massacres des ressortissants espagnols commis entre 1995 et 2000, Kayumba ne puisse délivrer tous les secrets notamment en chargeant Paul Kagame selon le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique. Dans ce dossier, les services rwandais, tant secrets que diplomatiques, s’emploient donc à « proteger » Kayumba-Nyamwasa pour qu’il ne tombe pas aux mains de la justice de la France ou de l’Espagne. En retour, Kayumba-Nyamwasa protège ainsi Paul Kagame avec qui ou sous les ordres de qui il a commis des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
En conclusion, il faudrait reconnaître que les mandats français et espagnols sont hautement politiques et que leur exécution échappera longtemps aux considérations purement juridiques. Il suffit pour s’en rendre compte de voir comment le juge parisien Marc Trévidic, qui a remplacé Bruguière dans ce dossier, semble très embarrassé et est contraint de coller au calendrier politique. Il doit en effet reporter continuellement les résultats de ses enquêtes sur le terrain en attendant peut être quelques signaux ou certaines évolutions diplomatiques. En effet, le jugeTrévidic ayant séjourné au Rwanda fin 2010, son rapport était initialement attendu en mars 2011. Ensuite sa publication fut repoussée en mai 2011 avant que certains organes de presse ne révèlent qu’il ne pourrait sortir avant la visite de Paul Kagame prévue en juillet 2011. C’est dans ce climat que tout en recherchant son ennemi au nom de Kayumba Nyamwasa pour son usage interne, Paul Kagame le protège pour qu’il ne tombe pas aux mains de la justice internationale notamment française et espagnole qui les recherche tous les deux.
Emmanuel Neretse
EdA Press
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