« Espérer contre tout espérance ». Un hymne à la réconciliation dans la région des Grands Lacs
Un titre banal pour beaucoup d’entre nous. Un livre inouï pour quelqu’un qui souffre pour son pays, qui sait le désir de vengeance et le climat d’injustice qui y mine de jour en jour le lien social. Ils sont nombreux, nos sœurs et frères Rwandais qui souffrent pour leur pays. Car, quoiqu’on en dise, le pays des milles collines vit un drame ; le drame d’une opposition dialectique : amis – ennemis, innocents – coupables, bons et méchants, vainqueurs et vaincus. Le même drame comme une malédiction a poursuivi le Rwanda a travers le monde, singulièrement en RDCongo, dans le Kivu.
Lui, Joseph Sagahutu, prêtre catholique rwandais, le seul rescapé de onze (11) martyrs de Kalima, prêtres et religieuses rwandais, a tenu à témoigner.
La dure réalité et la brutalité des faits vécus et relatés contrastent avec les mots. C’est avec un cœur de baptisé où l’amour prime sur la haine qu’il parle.
Exercice difficile parce qu’il vous plonge dans le tréfonds de soi, dans l’animalité de l’homme (homini lupus) mais heureux dès lors qu’il confond les bourreaux et leurs chiens de garde avec des mots dénués de haine et de vengeance : « dimanche 2 mars 1997, vers 5 heures, les religieux furent entassés dans une voiture Land Rover et conduits sur le lieu du supplice sur la route vers Kindu (…). Là, ils furent dépouillés de leurs habits et de tous leurs effets. Les bourreaux leur crevèrent les yeux à l’arme blanche. Ils leur trouèrent les oreilles l’une après l’autre avec des couteaux. (…). La sœur Marie – Francine Nyirarunkundo avait été épargnée sous prétexte qu’elle était Tutsi comme les bourreaux. Celle-ci rétorqua que les religieuses assassinées étaient devenues en quelque sorte des membres de sa famille biologique. Elle fut également soumise au supplice de lamort ». pp.106-07.Unique rescapé du massacre de Kalima (RDCongo), le prêtre Joseph Sagahutu a hérité de Mgr Christophe Munzihirwa, l’archevêque de Bukavu avant d’être assassiné, le message aussi fort et réconfortant d’Espérer contre toute espérance et garder courage comme le peuple et les prophètes d’Israël en exil. Il ne pouvait s’en douter que ce message prophétique lui était comme du sel dans le long calvaire et le long combat à mener. Ce message était une nouvelle naissance, un nouveau baptême que Joseph Sagahutu a expérimenté et continue d’expérimenter depuis le début du génocide rwandais jusqu’à cet instant.
C’est au Zaïre (RDCongo) dans l’ancien Kivu que le prêtre a vécu la vraie expérience de la foi à travers de pauvres gens qui n’avaient que de la joie (hospitalité) à lui offrir en prenant sa croix : « le commandant Caeser Kayizari donna l’ordre de me capturer vivant dans le but de me torturer lui-même. (…) Ce mardi – là, je me glissai alors par la fenêtre discrètement et parvins à fuir dans la brousse. Il faisait très froid et il pleuvait abondamment. (…) je me suis égaré dans la forêt. Le vendredi, je me suis encore perdu dans ce labyrinthe de forêt dense, sans boussole, sans point de repère, sans route. Fatigué par une marche infructueuse sans issue, j’ai glissé à cause de l’obscurité dans un étang naturel très large. J’y suis resté plusieurs heures avant de pouvoir m’en sortir au petit matin (…) tout mouillé et couvert de boue » pp.122-23
L’abbé Joseph Sagahutu se révèle dans ce récit un bon géographe de la région Est de la RDCongo qui a bénéficié de beaucoup de solidarité, d’une chaîne de solidarité de la part des populations congolaises et du clergé catholique. Car, ainsi devait s’accomplir la parole prophétique de Mgr Munzihirwa fondée sur l’amour du prochain, notre semblable.
La fin de la lecture soulève deux interrogations. Par rapport à l’auteur. Après tant d’épreuves où lui était chassé comme du gibier, comment vit-il tous ses souvenirs ? Comment regarde-t-il l’homme et que prêche-t-il à ses paroissiens ? Naturellement d’espérer contre toute espérance.
Par rapport à notre vie. Gaspard Musabyimana, me demandait en mars 2004 : vous êtés d’accord avec moi qu’il ne peut y avoir une réconciliation véritable au Rwanda tant qu’il n’y a pas de justice pour toutes les victimes. Tant qu’on continuera à considérer tout Hutu comme une cible légitime.
Vous avez dit « cible » ? Avec raison. Car, dans cette guerre-là, la principale cible de ces persécutions est l’Eglise catholique. Et comme le témoignait Mgr Kataliko : « plusieurs prêtres, religieux et religieuses ont été froidement assassinés. Nous avons le sentiment que par-delà les faits isolés reprochés à l’un ou l’autre, à raison ou à tort, il y a une stratégie qui vise à détruire tout ce qui est considéré par le peuple comme sacré. Une fois détruit le noyau autour duquel se construisent la cohésion et l’identité communautaire des peuples, il serait plus facile de soumettre des populations désormais sans défense et sans repères à l’arbitraire d’une idéologie et d’un système totalitaire qui veulent s’imposer à tout prix » (Cibles, 235 prêtres africains tués, p.124)
Le livre de l’abbé Joseph Sagahutu est un hymne à l’humilité, à la réconciliation dans la vérité et la justice à travers une cohabitation pacifique et, au delà du Rwanda, que les peuples de la sous région cessent de considérer le Rwandais comme un envahisseur méprisant les autres peuples.
Il faut le lire car il est écrit avec le cœur. Aux Editions Sources du Nil, 10 Euros, Lille, France, 200 pages.
Nicaise Kibel’Bel Oka
Les Coulisses
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