Le sud-Soudan indépendant : N’oublions pas le peuple Nouba!

Une jeune Nouba de Korongo transportant sur sa tête un pot de bière locale. Les scarifications de sa poitrine sont obtenues en incisant la chair et en mêlant à la plaie de la cendre de bois. Soudan, Kordofan, 1949_http://jacqver.pagesperso-orange.fr/texte/noubas/noubas.htm
N’oublions pas le peuple Nouba!
Le 9 juillet, le Sud Soudan sera indépendant. Temps de réjouissance pour les Sud-Soudanais, après deux terribles guerres qui durèrent respectivement 16 et 22 années. Cependant, l’indépendance du Sud-Soudan risque d’avoir un effet pervers : celui d’aggraver la situation des minorités ethniques et religieuse dans ce qui restera du Soudan. Avec la sécession du Sud à majorité chrétienne, les non Musulmans du reste du Soudan vont se retrouver encore plus minoritaires, encore plus isolés, face à une dictature militaro-islamiste au pouvoir à Khartoum depuis le 30 juin 1989 (22 ans!)
Je pense en particulier (mais pas seulement) au peuple Nouba. Ce peuple vit dans une zone montagneuse du Sud-Kordofan, une région située au sud de ce qui restera du Soudan après le 9 juillet. Ce peuple a une histoire peu ordinaire : il est constitué des débris de tribus africaines qui, venus de régions différentes d’Afrique, avaient trouvé refuge dans ces montagnes pour échapper aux chasseurs d’esclaves arabes. C’est pourquoi les Noubas parlent une multitude de dialectes d’origines fort différentes. Certains ont gardé leur religion traditionnelle, tandis que d’autres ont adopté (parfois de manière superficielle) le Christianisme ou l’Islam. Ces Monts Noubas sont entourés de populations entièrement arabisées et islamisées. Vivant à l’écart du monde moderne, les Noubas ont acquis une certaine notoriété dans les années 60 grâce aux photos de Leni Riefsenthal, la cinéaste d’Hitler qui passa de l’exaltation cinématographique des athlètes aryens (Les Dieux du Stade, 1936) à celle, photographique cette fois, des athlètes noubas.
Pendant la deuxième guerre du Sud-Soudan (1983-2005), les Noubas se sont majoritairement ralliés à l’Armée de Libération des Peuples du Soudan (SPLA) dans la lutte contre le régime de Khartoum. Ils ont payé très cher ce choix, et ils n’ont malheureusement pas fini de le payer. L’armée du dictateur Omar Hassan al-Béchir les a impitoyablement réprimés, se livrant à un véritable nettoyage ethnique dans les Monts Noubas, loin des caméras des grands médias internationaux. Je devais d’ailleurs décrire ces évènements dans mon premier livre, paru en 2003: « Kadogo, enfants des guerres d’Afrique Centrale » (L’Harmattan). Même les Noubas musulmans ne furent pas épargnés par la soldatesque d’al Béchir, leurs pratiques religieuses n’étant sans doute pas assez orthodoxes aux yeux des islamistes au pouvoir à Khartoum. Nombre de mosquées (et d’églises) furent ainsi brûlées par l’armée du régime, et la population massivement déplacée dans des camps en dehors des Monts Noubas, afin de la garder sous contrôle.
En janvier 2005, la SPLA et le régime d’al Béchir ont signé un accord de paix à Nairobi. Conformément à cet accord, un référendum a été organisé dans la partie sud du Soudan en janvier 2011. Les Noubas n’ont pas pu y participer, puisque les Monts Noubas ne sont pas situés, tant géographiquement qu’administrativement, au Sud. Les Sud-Soudanais ont massivement voté pour l’indépendance, et cette dernière deviendra effective le 9 juillet. Le destin des Noubas semble donc scellé : ils vont rester « Soudanais » et vont continuer à faire face à la politique sectaire et brutale des autorités de Khartoum. Voici le contenu d’une dépêche de l’agence Fides du 16 juin dernier :
Les combats se poursuivent à Kadugli, la capitale du Sud Kordofan, à la frontière entre le nord et le Sud Soudan, entre l’armée du nord et celle du sud. « Sur les Monts Nuba, les écoles sont fermées et les enseignants ont été évacués » déclare à l’Agence Fides Sœur Carmen, une missionnaire combonienne mexicaine qui œuvre dans la zone. Les Monts Nuba font partie du Sud Kordofan. « Les hôpitaux continuent à être opérationnels. Dans l’un d’entre eux, géré par les missionnaires, ont été hospitalisés 85 militaires blessés lors des affrontements à Kadugli. Il faut plus de personnel pour faire face à l’urgence » ajoute la missionnaire.
« De jour, la population fuit sur les hauteurs qui entourent les villages pour revenir dans leurs maisons le soir. De nuit en effet, il n’y a pas de bombardements parce que les avions de Khartoum ne disposent pas de systèmes de visée nocturne » déclare Sœur Carmen, qui a assisté personnellement à un bombardement effectué par les avions de Khartoum. « Voici deux jours, alors que j’accompagnais un certain nombre de personnes dans la zone de Kauda – raconte Sœur Carmen – j’ai assisté personnellement à un bombardement aérien. J’ai vu des avions de combat s’approcher rapidement et, après une rapide reconnaissance, revenir à basse altitude pour lancer les bombes et faire feu avec les armes du bord. Nous nous sommes jetés à terre alors qu’autour de nous les bombes explosaient. Cela a été terrible ».
Sœur Carmen conclut en indiquant la question que lui pose continuellement la population locale : « Mais où est la communauté internationale ? » Selon un communiqué envoyé à Fides par la Caritas internationalis, plus de 60.000 personnes ont été contraintes à fuir les combats au Sud Kordofan alors que la situation humanitaire est grave du fait du manque de nourriture, d’eau et de médicaments. (L.M.) (Agence Fides 16/06/2011)
Il est à craindre que cette guerre secrète – mais néanmoins meurtrière – contre le peuple Nouba se poursuive et s’aggrave après le 9 juillet, à l’abri des regards de la communauté internationale. Il est donc urgent de sensibiliser cette dernière au sort de cette minorité, afin qu’elle puisse être protégée des exactions du régime militaro-islamiste de Khartoum.
Hervé Cheuzeville
(auteur de trois livres: « Kadogo, Enfants des guerres d’Afrique centrale », L’Harmattan, 2003; « Chroniques africaines de guerre et d’espérance », Éditions Persée, 2006; « Chroniques d’un ailleurs pas si lointain – Réflexions d’un humanitaire engagé », Éditions Persée, 2010).
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