Une « Nelson Mandela » française : Marie Durand

Marie Durand-photo Wikipédia

Combien de rues, en France, portent-elles le nom de Marie Durand ? Le lycée agricole de Nîmes-Rodilhan est, à ma connaissance, le seul établissement scolaire français portant son nom. Combien de Français, en dehors de la communauté protestante, ont-ils entendu parler de cette femme du XVIIIe siècle ? Marie Durand est donc une grande oubliée de l’Histoire de France. Pourtant, quelle vie héroïque que celle de  cette femme courageuse, née en 1711 au Bouchet-de-Pranles et décédée dans cette même localité du Vivarais en 1776 ! Quel exemple que cette dame qui sut rester fidèle à ses convictions et à sa foi, tout en opposant une résistance passive mais inflexible à l’oppression et à l’arbitraire !

C’est en 1685 que Louis XIV prit la funeste décision de révoquer l’Edit de Nantes et d’interdire le culte protestant dans son royaume. Cette décision eut des conséquences dramatiques pour nombre de ses sujets et pour le pays tout entier. Elle ralluma les guerres de religion avec leur cortège d’horreurs sans nom. Les Protestants n’eurent d’autres choix que d’abjurer, de fuir ou de mourir. Beaucoup prirent des risques insensés en choisissant de rester fidèles à leur foi dans la clandestinité. Ce fut la décision prise par la famille Durand. Etienne Durand, le père, était greffier-consulaire, l’équivalent de l’époque d’un secrétaire de mairie.
Malgré le danger, il organisait de temps à autre des assemblées secrètes dans la maison familiale, où il fit graver « Loué soy Dieu E.D. 1696 » sur le fronton de la cheminée, et où il avait aménagé une cache pour la Bible familiale. C’est à la suite d’une de ces assemblées illicites que Claudine, la mère, dénoncée par un voisin, fut arrêtée en 1715. Marie avait 4 ans. Elle ne devait plus jamais la revoir car  elle mourut en prison quelques années plus tard. Pierre, le frère de Marie, partit pour la Suisse où il suivit une formation de pasteur du Désert (pasteur d’une Eglise clandestine). Rentré dans le Vivarais à l’âge de 20 ans, il y mena une vie errante, tentant secrètement de réorganiser l’Eglise réformée dans sa région. Il fut consacré pasteur en 1726 lors du synode national de Craux. Ne parvenant pas à arrêter ce pasteur rebelle, les autorités s’en prirent à sa famille. En 1728, Etienne, le père, fut arrêté et emprisonné au fort de Brescou, près d’Agde, après avoir confié Marie à Mathieu Serres, dont elle devint la fiancée.
En 1730, les deux fiancés furent arrêtés par les Dragons du roi. Mathieu fut envoyé au fort de Brescou, où il y retrouva Etienne Durand, tandis que Marie fut emprisonnée à la tour de Constance, à Aigues-Mortes.  En entrant dans son lugubre cachot, cette jeune femme avait 19 ans. Elle en avait 57 lorsqu’elle en sortit, en 1768 ! 38 années de détention dans une pièce insalubre, qu’elle partageait avec une trentaine d’autres femmes, pour la plupart plus âgées qu’elle. 38 années de privations, de froid, de promiscuité, de souffrances. 38 années durant lesquelles Marie Durand sut faire face aux épreuves avec courage et détermination, devenant même une source d’inspiration pour ses compagnes d’infortune. Jamais elle ne renonça à sa foi, allant jusqu’à graver le mot « résister » sur la margelle du puits de la tour. Ce mot y est encore visible aujourd’hui.
Cependant, la tête du pasteur Durand avait été mise à prix pour 4000 livres. A la suite d’une dénonciation, alors qu’il cheminait pour aller célébrer un mariage, il fut arrêté au gué du château de Vaussèche, le 12 février 1732. Condamné à mort, il fut pendu sur l’Esplanade de Montpellier, le 22 avril suivant. Il avait 32 ans.
Le martyre de son frère renforça encore la foi de Marie. Elle refusa les promesses de libération qui lui furent faites en échange de son abjuration, et elle continua à exhorter ses compagnes à rester fermes, envers et contre tout.
En janvier 1767, le prince de Beauvau, gouverneur du Languedoc, visita la tour de Constance. Il fut ému par le sort de ces femmes et ordonna la libération de 14 d’entre elles, malgré l’opposition royale. L’une des femmes libérées, Marie Robert, avait été détenue durant 41 années. C’est le 14 avril 1768 que Marie Durand, percluse de rhumatismes, fut finalement libérée. Les deux dernières prisonnières sortirent de la tour Constance en décembre suivant.
Marie retourna vivre, dans le plus grand dénuement, dans la maison familiale de Bouchet-de-Pranles. Elle y survécut jusqu’en septembre 1776, grâce aux subsides de l’Eglise wallonne réformée d’Amsterdam.
L’année 2011 marque le tricentenaire de la naissance de cette héroïne oubliée. La France s’honorerait en rappelant le souvenir de cette pionnière de la lutte non violente et de la résistance passive à l’arbitraire. Un tel exemple est intemporel, et d’utiles leçons pourraient en être tirées, 300 ans après la naissance de Marie Durand !
Hervé Cheuzeville, 18 septembre 2011

(Auteur de trois livres: « Kadogo, Enfants des guerres d’Afrique centrale« , l’Harmattan, 2003; « Chroniques africaines de guerres et d’espérance« , Editions Persée, 2006; « Chroniques d’un ailleurs pas si lointain – Réflexions d’un humanitaire engagé« , Editions Persée, 2010)

 

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