2 Décembre, triste date!

Hô Chi Minh/Google Maps

Chaque 2 décembre j’ai une pensée émue pour un pays qui compte beaucoup pour moi : le Laos, ancien Royaume du Million d’Éléphants. Ce pays fut, pour une grande part, à l’origine de mon engagement humanitaire, à la fin des années 70, lors de l’arrivée en France de milliers de réfugiés de ce pays. Je m’impliquai alors dans leur accueil. Cela me poussa à aller en Thaïlande, dans les camps. J’y suis souvent retourné, y passant chaque année de nombreux mois. Avec d’autres, j’ai crée des écoles primaires dans de petits villages de réfugiés, le long de la frontière laotienne. A la fin des années 80, alors que je me trouvais déjà en Afrique, le gouvernement thaïlandais rasa ces villages – et nos écoles – et expédia leurs habitants dans l’immense camp de Napho, près de la ville de Nahon Phanom. Cette action en faveur des réfugiés laotiens me détermina aussi à étudier la langue, l’histoire et la culture de ce pays. En 1987, j’eus l’occasion d’y travailler quelques mois, pour le compte d’une ONG, et d’y faire l’expérience de la vie en pays communiste, de surcroît occupé et dominé par le trop puissant voisin vietnamien.

Pourquoi donc penser au Laos, le 2 décembre de chaque année ?
C’est le 2 décembre 1975 que le Royaume du Laos fut aboli, remplacé par une « République Démocratique Populaire Lao ». Le magnifique drapeau rouge, frappé de trois éléphants blancs fut remplacé par le drapeau du mouvement communiste laotien. Depuis les années 50, le Laos avait tenté de rester en dehors de la guerre qui faisait rage dans le pays voisin, le Viêt Nam. Mais les accords de Genève de 1954 scellèrent le destin du Laos. Au lieu de permettre un retour à la paix, le départ des Français et la division du Viêt Nam entre nord et sud amenèrent le déclenchement d’une nouvelle guerre. Dans cette guerre, le Laos fut impliqué malgré lui. Car le Nord-Viêt Nam communiste utilisa les confins orientaux du Laos pour acheminer des hommes et du matériel au Sud-Viêt Nam pro-occidental. La fameuse « piste Hô Chi Minh » était entrée dans l’Histoire. Il n’a pourtant jamais été assez dit que cette piste légendaire passait en fait en territoire laotien, violant ainsi la neutralité et la souveraineté du pays. Afin de masquer cette occupation de fait de l’est du Laos, le régime communiste d’Hanoï créa de toutes pièces une « rébellion » laotienne, dans la zone où passait la fameuse piste. Le Neo Lao Hak Xat[1] était né. Pour diriger ce mouvement « frère », les Vietnamiens choisirent un Laotien de père vietnamien, Kaysone Phomvihane[2]. Cet homme consacra toute sa vie à la communisation et la vietnamisation du Laos. Afin de masquer aux yeux du monde le caractère vietnamien du mouvement communiste laotien, un homme de paille fut trouvé pour le « diriger ». C’est ainsi que le « prince rouge », Souphanouvong[3], apparut sur la scène politique.  C’était un authentique prince laotien, de surcroît demi-frère du prince Souvanna Phouma[4], chef du gouvernement neutraliste du pays. Véritable histoire de famille que cette politique laotienne, puisque le chef de la droite pro-américaine n’était autre que le prince Boun Oum[5], cousin des deux premiers.
C’est cette utilisation du territoire laotien par le régime communiste de Hanoï qui décida le président Kennedy à faire intervenir directement les Etats-Unis dans ce conflit. Pendant une décennie, la partie orientale du Laos fut abondamment bombardée par les B52 étasuniens, sans pour autant parvenir à empêcher les armes et les hommes de rejoindre les maquis viêt cong[6] du Sud-Viêt Nam, via la piste Hô Chi Minh. Aujourd’hui encore, au Laos, 38 années après la fin de ces bombardements, des engins non explosés continuent à tuer des civils laotiens.
Les accords de Paris de 1973 marquèrent le début du retrait des forces étasuniennes du Viêt Nam et la fin des bombardements. Ces accords ne furent qu’un marché de dupes, puisque les communistes nord-vietnamiens profitèrent de ce désengagement US pour intensifier leurs infiltrations au Sud, toujours via le Laos, et lancer leur offensive finale du début de 1975. Fatidique et dramatique année que cette année-là, qui vit l’ensemble de l’ex-Indochine Française basculer dans l’interminable nuit communiste, marquée par tant de drames et de tragédies sans nom. Le 17 avril, après un long et terrible siège, Phnom Penh, la capitale du Cambodge, tombait aux mains des fanatiques Khmers Rouges. Eux aussi étaient une émanation du communisme nord-vietnamien. Mais, leur nationalisme xénophobe les avait fait rompre, quelques années plus tôt, avec leur encombrant allié. Cette rupture allait provoquer, trois années plus tard, la première guerre entre États communistes, qui se solda par l’occupation vietnamienne du Cambodge. Le 30 avril, les troupes régulières nord-vietnamiennes, déguisées en « Viêt Cong », s’emparaient de Saigon, la capitale du Sud. Par une humiliante ironie, les nouveaux maîtres devaient rapidement la rebaptiser « Hô Chi Minh Ville », du nom de l’ancien leader nord-vietnamien, décédé six ans plus tôt. L’année suivante, la fiction d’un Sud « libéré » par les Sudistes disparaissait définitivement, avec l’unification officielle du Viêt Nam sous le nom de « République Socialiste du Viêt Nam », Hanoï en devenant la capitale.
La Laos bascula plus lentement. Le gouvernement d’union nationale se maintint encore quelques mois. Mais, le 2 décembre, les masques tombèrent. Le Neo Lao Hak Xat, qui contrôlait déjà le pays et la réalité du pouvoir, contraignit le prince Souvanna Phouma à démissionner. Les politiciens proaméricains s’enfuirent en Thaïlande. La République Démocratique Populaire Lao fut proclamée et le prince Souphanouvong devint son premier président. Fonction purement honorifique, puisque la réalité du pouvoir était détenue par le secrétaire-général du parti, Kaysone Phomvihane.   Le changement de régime au Laos fut à peine commenté par les grands médias internationaux, qui avaient pourtant fait leur Une, des jours durant, de la chute de Phnom Penh et Saigon, 7 mois auparavant. Je me souviens avoir lu, alors, un bref article dans « Le Monde », en pages intérieures. La même indifférence internationale ignora longtemps la présence des troupes vietnamiennes au Laos. Cette occupation de fait du pays permit au régime communiste de Kaysone de perdurer, malgré l’exode massif de centaines de milliers de Laotiens à travers le Mékong, le fleuve qui délimite la frontière avec la Thaïlande. Cette présence militaire vietnamienne permit aussi de contenir puis de réduire la résistance armée anticommuniste, en particulier celle de la minorité Hmong, au nord du pays. Pour ce faire, des bombardements chimiques furent utilisés (la fameuse « pluie jaune »). Là encore, les réactions internationales furent inaudibles. Des milliers de fonctionnaires, d’anciens militaires et de bonzes furent envoyés en « séminaires » (pudique appellation des camps de rééducation). Nombre d’entre eux n’en sont jamais revenus, à l’instar du roi, de la reine et du prince héritier[7] qui, eux aussi, connurent ce sort tragique.
La fin de guerre froide puis la disparition de l’Union Soviétique ne permirent pas au Laos de retrouver sa liberté. Ce pays fait aujourd’hui partie des cinq derniers États communistes de la planète[8].  Infortuné peuple lao ! Rien ne le prédestinait à figurer parmi les derniers à subir le joug communiste. Ce peuple de paysans n’avait pourtant pas attendu Karl Marx et Lénine pour expérimenter une sorte de communautarisme agraire, des siècles durant. Le Laos n’avait pas de classe ouvrière, et il ne comptait pas de grandes propriétés avec employés agricoles asservis, comme aux Philippines.  La seule et unique raison pour laquelle le Laos est devenu communiste – et l’est demeuré jusqu’à ce jour – c’est sa proximité géographique avec le Viêt Nam. Ce dernier pays compte aujourd’hui plus de 90 millions d’habitants, pour 331 000 km². Le Laos, avec 236 000 km², a moins de 7 millions d’habitants, y compris une forte minorité d’origine vietnamienne. L’avenir de ce paisible pays semble donc scellé. Tant que le voisin vietnamien restera communiste, le peuple laotien continuera à subir ce régime imposé de l’extérieur. En Afrique, des pressions internationales ont contraint les pires dictatures à passer la main ou à ouvrir l’espace politique à des partis d’opposition. Au Cambodge voisin, ces mêmes pressions ont contraint le Viêt Nam à retirer ses troupes en 1989 et, après une transition supervisée par les Nations Unies, un système multipartite y a été mis en place. Certes, Hun Sen, l’ancien chef communiste provietnamien, est toujours le chef du gouvernement. Mais la monarchie a été restaurée, et l’opposition joue son rôle. D’opposition, il n’en est nullement question au Laos. 36 années après la proclamation de la RDPL, 19 années après la mort de Kaysone, le parti révolutionnaire populaire lao[9] continue de régner en maître. Le régime de Vientiane est toujours un régime à parti unique, comme au bon vieux temps. Certes, le Laos s’est ouvert économiquement depuis la fin des années 80. Il est même devenu une destination touristique à la mode. Mais cette ouverture a surtout profité aux apparatchiks du parti, qui se sont enrichis en faisant affaire avec des capitalistes sino-thaï venus de Thaïlande pour investir dans tous les secteurs de l’économie laotienne. Comme en Chine, comme au Viêt Nam, on a assisté à la naissance d’un capitalisme sauvage, drapé des oripeaux du communisme. Mais, si ce système hybride a permis un réel décollage économique en Chine et au Viêt Nam, ce ne fut pas le cas du Laos, qui demeure l’un des pays les plus pauvres de la planète.
Aujourd’hui, nombre d’anciens réfugiés, ou d’enfants de réfugiés, rentrent d’Amérique ou d’Europe pour tenter leur chance dans leur pays d’origine. Il faut donc espérer que leur influence permettra un jour au Laos de s’ouvrir politiquement, et de décoller économiquement. Pour ma part, je continue à avoir la nostalgie du pays du Millions d’Éléphants, et je pense fort à lui, en ce 2 décembre.
Hervé Cheuzeville, 2 décembre 2011
 (Auteur de trois livres: « Kadogo, Enfants des guerres d’Afrique centrale », l’Harmattan, 2003; « Chroniques africaines de guerres et d’espérance », Editions Persée, 2006; « Chroniques d’un ailleurs pas si lointain – Réflexions d’un humanitaire engagé », Editions Persée, 2010)

 

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