Le tison attire les votes au Congo, consternant l’Occident
NAIROBI, Kenya – Etienne TSHISEKEDI, un agitateur professionnel de 78 ans, qui est immensément populaire dans les rues de son pays, mais certainement impopulaire dans les ambassades occidentales, pourrait-il gagner l’élection présidentielle en République Démocratique du Congo?
Il y a peu de chances que cela réussisse, disent les analystes, mais ce n’est pas impossible, quoique, cette semaine, les élections au Congo ont été tellement chaotiques et souvent violentes, avec des travailleurs électoraux frappés en plein visage et des locaux de vote brûlés au ras du sol, qu’il peut être difficile de savoir un jour qui a vraiment gagné. D’innombrables bulletins ont été réduits en cendres; de nombreux autres ont été falsifiés. Vendredi, des observateurs des élections semblaient abattus, disant que les centres officiels de décompte ressemblaient à des zones sinistrées, avec des bulletins jetés dans la boue et les feuilles de tabulation supposées sacro-saintes volant librement dans le vent.
Pourtant, les premiers résultats qui n’ont pas mystérieusement disparu ou n’ont pas été détruits montrent M. TSHISEKEDI l’emportant haut la main à Kinshasa, la capitale, et emportant de nombreux suffrages à l’échelle nationale, créant ainsi la possibilité d’un renversement du président Joseph KABILA, lequel a dirigé le Congo avec une poigne de plus en plus forte depuis 10 ans.
« C’est un coude à coude », a déclaré Jason STEARNS, un spécialiste du Congo dont le blog, Congo Siasa, ce qui signifie Congo Politique, est considéré par beaucoup comme le guide en version électronique du pays. « Les résultats semblent bons pour l’instant pour TSHISEKEDI ».
« Pourtant, si un pays avec une histoire longue et amère de régime autoritaire permet réellement à un leader de l’opposition de revendiquer la présidence – c’est une toute autre chose », M. STEARNS dit.
« Il ya certainement des gens dans le parti au pouvoir – comment puis-je écrire cela diplomatiquement ? – qui pourraient avoir recours à des moyens extrajudiciaires pour éviter que TSHISEKEDI soit président », a t-il dit.
Rares sont les diplomates occidentaux qui prédisent que M. TSHISEKEDI (prononcé Chiss-Say-Kay-Dee) va gagner, et bon nombre d’entre eux ont placé leurs espoirs contre lui. Bien que le Congo, vaste et potentiellement riche, a été enfoncé dans une ornière violente sous le Président KABILA, de nombreuses personnes tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, craignent qu’un changement brusque de direction pourrait déstabiliser la nation encore davantage. Des analystes disent que l’essaim des bailleurs de fonds internationaux du Congo est même suspicieux vis-à-vis de M. TSHISEKEDI pour ses points de vue stridents et souvent antioccidentaux, ainsi que pour ses remarques en forme de pétards, comme de se déclarer unilatéralement président le mois dernier.
« L’Occident considère TSHISEKEDI comme intransigeant, rigide dans ses positions, et radicalement populiste », a déclaré Georges NZONGOLA-NTALAJA, professeur congolais en Etudes Africaines à l’Université de Caroline du Nord, qui a travaillé brièvement avec M. TSHISEKEDI dans les années 1990. « Cependant, ce sont les qualités qui le font aimer par le peuple congolais, quelle que soit la province, dans la mesure où ils voient ses positions comme reflétant leurs aspirations profondes ».
Le décor est désormais planté pour une instabilité explosive de part le Congo, peu importe qui est gagnant. Les hommes de M. KABILA ont déjà montré comment ils gèrent la dissidence, avec en fin de business leurs mitrailleuses.
Human Rights Watch a déclaré vendredi qu’au moins 18 civils avaient été tués et 100 grièvement blessés au cours de violences liées aux élections pendant la semaine dernière et que « la majorité des personnes tuées ont été abattues par des soldats de la Garde républicaine ». Au cours de la semaine écoulée, la Garde Républicaine a clairement fait une démonstration de force à Kinshasa, circulant avec des armes lourdes, des bérets rouges et des lunettes de soleil; ses soldats sont considérés comme les hommes les plus proches de M. KABILA.
Mais la base [électorale] de M. TSHISEKEDI est également prête à la violence, avec ses partisans jurant à l’émeute s’il perd. Il est devenu l’incarnation de l’espoir et du changement pour des millions de Congolais désespérément pauvres, qui ont investi en lui leurs attentes d’une vie meilleure – des emplois, des écoles, de la paix. Après tout, le Congo est sans doute le pays le plus sous-performant au monde. En dépit d’être énorme, immense fertile et gratifié d’un embarras de richesses naturelles – or, diamants, cobalt, cuivre, bois et pétrole, pour n’en nommer que quelques-unes – les Nations Unies au Congo ont récemment classé le pays comme étant le moins développé de la terre.
M. TSHISEKEDI est devenu le canalisateur principal de tout ce mécontentement pour quelques raisons – il y a neuf autres challengers présidentiels -. Il a été présent sur la scène politique congolaise depuis 50 ans, l’un des rares Congolais instruits en 1960, quand les Belges ont accordé l’indépendance au Congo après des décennies de colonisation brutale.
En tant que l’un des premiers avocats du Congo, il a servi comme ministre de la Justice, ministre de l’Intérieur et Premier ministre, et était à un moment proche de MOBUTU Sese Seko, le dictateur kleptocrate du pays pendant 31 ans, jusqu’à ce que le père de M. KABILA ait organisé une rébellion au milieu des années 1990 pour évincer M. MOBUTU. Mais M. TSHISEKEDI a rompu avec M. MOBUTU bien avant à cause de la corruption du régime et a été emprisonné, exilé et torturé à plusieurs reprises, accroissant sa réputation comme populiste dédié – et aussi intègre.
M. STEARNS dit qu’il est difficile de savoir ce que M. TSHISEKEDI pourrait faire de meilleur que M. KABILA dans la gestion d’un Congo assiégé, qui ne s’est jamais vraiment remis de la rébellion des années 1990. Mais, dit-il, « M. TSHISEKEDI n’a pas vraiment été acheté » et son attitude anti-corruption semble solide. Au cours de la campagne électorale, il a revendiqué une éducation primaire et des soins de santé universelle gratuits, ce qui est bien nécessaire dans un pays où l’espérance de vie est de 55 ans. Il a également menacé de revoir de nombreux contrats miniers douteux que le gouvernement de KABILA a signé, que les critiques disent avoir privé le peuple congolais de milliards de dollars, tout en permettant quelques hommes de devenir très riches.
Au cours des prochains jours, les institutions faibles du Congo seront mises à l’épreuve, surtout si les résultats sont serrés. Cette année, M. KABILA, âgé de 40 ans, a fait pression sur le Parlement pour modifier la Constitution afin d’éliminer un second tour de scrutin, ce qui signifie que celui qui gagne le plus de votes aujourd’hui, même s’il ne s’agit que de 30 ou 40 pour cent, sera président.
La commission électorale nationale, dirigée par un des amis de M. KABILA, est déterminée à rendre publics les résultats des élections présidentielles pour mardi, quoique les observateurs disent que les travailleurs électoraux sont épuisés et débordés.
John STREMLAU, un leader de la délégation de surveillance du Centre CARTER, a décrit le processus de tabulation comme étant « précipité, insuffisamment préparé et sous-équipé ». Avec toute la construction de la pression, a-t’il dit, « c’est vraiment, vraiment inquiétant ».
GETTLEMAN Jeffrey (NYT, Nairobi, Kenya).
Article du New York Times, traduit en français par Dr Jean Paul Puts
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