Honneur et fidélité : le sacrifice du colonel Robert Jambon
Le 27 décembre 2009, commençait le rapatriement de plusieurs milliers de réfugiés Hmong du Laos. Ils vivaient depuis des années entourés de barbelés, dans un camp du nord de la Thaïlande. Cette action concertée des gouvernements thaïlandais et laotien avait, à l’époque, suscité bien peu de réprobation internationale. Les grands médias évoquèrent à peine cette malheureuse affaire. Quelques jours plus tard, émus par ces affligeantes nouvelles, je consacrai un article à cet évènement. Je tentai ensuite de le faire circuler, via internet. Mon papier était intitulé « La tragédie des Hmong du Laos ». Depuis, je l’ai intégré à mon dernier livre, « Chroniques d’un ailleurs pas si lointain – Réflexions d’un humanitaire engagé », paru aux Éditions Persée en décembre 2010, tout juste un an après ce discret rapatriement.
Que sont devenus, depuis, ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ? J’avoue ne pas le savoir. Souvenons-nous cependant que c’est les armes à la main que nombre de ces hommes avaient combattu le régime communiste et l’occupation vietnamienne de leur pays.
Ce matin, cette tragédie m’a rattrapé. En effet, quelqu’un a bien voulu me transmettre la dernière lettre d’un officier français, le colonel Robert Jambon, 86 ans, commandeur de la Légion d’Honneur. Au début des années 50, cet homme avait passé plusieurs années dans les maquis Hmong, dans les montagnes du Nord Laos. A l’époque, lui et ses camarades hmong se battaient, au nom de la France, contre l’invasion vietminh du Laos. Le 27 octobre 2011, à Dinan, le colonel Jambon s’est tiré une balle dans la tête devant le monument aux morts d’Indochine. J’avoue ne pas avoir entendu parler de ce drame, lorsqu’il s’est produit. Cet homme d’honneur a été inhumé le 3 novembre dernier à Riols, dans l’Hérault. Le colonel Jambon ne s’était jamais remis d’avoir vu la France abandonner les Laotiens à leur triste sort. La tragédie du rapatriement des derniers réfugiés hmong semble avoir exacerbé en lui une vielle souffrance, qui ne l’avait quittée depuis 1954.
Aujourd’hui, je ne vais pas épiloguer sur la tragédie laotienne. Je l’ai déjà fait par le passé et encore tout récemment dans mon article intitulé « 2 décembre, triste date ». Je préfère céder la parole au colonel Robert Jambon dont je reproduis, ci-dessous et in extenso la dernière lettre. Ce nouvel article lui est dédié, en respectueux hommage à sa mémoire.
Hervé Cheuzeville, 5 décembre 2011
MA DERNIERE CARTOUCHE
ULTIME COMBAT POUR UNE CAUSE ORPHELINE
Non ! Le Laos n’était pas une « colonie » comme les autres. Nous ne l’avions pas pris de force : il s’était donné à nous librement à la suite d’une sorte d’attirance réciproque nouée à l’occasion d’évènements dramatiques. « A la conquête des cœurs ! » écrivait Auguste PAVIE dont la personnalité attachante avait séduit le vieux Roi Oun KHAM qui avait placé son royaume sous la protection de la France pour échapper à la cruelle tutelle du voisin Siamois.
Non ! Les Laotiens ne sont pas un peuple comme les autres. Leur art de vivre, leur façon d’être heureux malgré, ou peut-être à cause, d’une extrême pauvreté ; leur aménité, leur nonchalance (parfois stigmatisée par leur laborieux voisin vietnamien), la bouleversante douceur de leurs femmes, la gentillesse de leurs enfants en font un peuple à part dans un monde dominé par la loi du profit. A l’exception notable de Hmong, victimes depuis 1975 d’un véritable génocide, ce ne sont pas de farouches guerriers mais ils savent, sans se plaindre, mourir au combat et ont le courage de se faire tuer en se portant au secours d’un frère d’armes. C’est ainsi que, le 17 juillet 1950 vers 14 h, près de Ban Saka, le chasseur Ba LAN, mortellement frappé à mes côtés, ne prononce qu’un mot, thièp, pour me signaler qu’il est blessé ; il s’éteint, 10 heures plus tard, sans avoir une seule fois crié sa souffrance ! Et lorsque, le 7 juillet 1954, je me débats dans la Nam Hin Boun en crue sous les tirs d’une cinquantaine de Viêts, le sergent LIENE, qui a déjà traversé la rivière, fait demi-tour et se jette à l’eau pour me secourir ; il est tué d’une balle dans la tête à quelques brasses de moi ! Et le lendemain (8 juillet), alors que, blessé, j’étais dans l’incapacité de franchir une barre calcaire de plusieurs centaines de mètres de haut pour rejoindre les miens, de braves paysans lao m’ont littéralement porté par-dessus l’obstacle, et cela au péril de leur propre existence !
Non ! Les Laotiens n’étaient pas des amis comme les autres, ceux qui vous oublient lorsque viennent les épreuves et les dangers : quand les Japonais exécutèrent leur « coup de force » du 9 mai 1945 avec une traîtrise peu en rapport avec les principes du « bushido », il y eut, en de nombreux endroits, et notamment à Thakkek, une véritable chasse à l’homme blanc. Ceux qui étaient pris étaient souvent décapités. Monsieur Henri FRAISSE, sous-préfet à Mortagne-au-Perche en 1991, se souvient : petit garçon habitant Thakkek avec ses parents, lui et sa famille ont été sauvés par des laotiens qui, au péril de leur vie, les ont emmenés, cachés et nourris jusqu’à ce que tout danger soit écarté. Et dans tout le pays, les Laotiens ont agi de même, au secours des Français menacés.
C’est dans ce contexte d’amitié partagée que la France, du temps de sa grandeur, a signé, après Dien Bien Phu dont le choix avait été dicté par le souci de protéger le Laos, trois traités garantissant la liberté et l’indépendance du Royaume du Million d’Eléphants et du Parasol Blanc. D’abord le traité de Genève de 1954 mettant fin à notre guerre d’Indochine. Ensuite, les Accords de Genève de 1962 garantissant la neutralité du Laos. Enfin le Traité de Paris de 1973 pour le respect et la reconnaissance de l’indépendance, de la souveraineté et l’intégrité territoriale du Royaume du Laos. Or, ces accords ont été violés, sans réaction notable des signataires, par la République Démocratique du Viêt Nam (devenue depuis République Socialiste du Viêt Nam) : dès le retrait précipité des Américains fin 1975, d’importantes forces armées nord-vietnamiennes ont envahi le Laos et permis aux maigres effectifs communistes lao de s’emparer du pouvoir par la force lors du « coup d’Etat » du 2 décembre 1975. Il faut savoir que les effectifs vietnamiens engagés à cette occasion ont été (officiellement) démobilisés sur place et convertis en ouvriers travaillant dans le cadre d’un projet de développement rural financé par les aides internationales. En réalité, ces aides ne font qu’entretenir une armée d’occupation vietnamienne abritée dans la Zone Spéciale Stratégique de Xay Somboun (au sud-ouest de Xieng Khouang), véritable Base de regroupement de soldats et cache d’armes lourdes (artillerie et blindés). Ces importantes forces vietnamiennes sont toujours prêtes à intervenir sans délai en cas de soulèvement populaire ou de coup d’Etat contre le gouvernement actuel, mis en place par Hanoï. C’est d’ailleurs dans cette zone qu’ont eu lieu les répressions les plus féroces contre les résistants Hmong désespérément accrochés au fameux massif du Phou BIA. En outre, il m’a été confirmé par différentes sources (dont certaines sont implantées au sein même du pseudo Gouvernement laotien), que le Viêt Nam avait procédé, depuis des années, à une massive colonisation de peuplement en installant au Laos, sur les meilleures terres, 3 millions de Vietnamiens communistes bénéficiant d’avantages exceptionnels. De surcroît, on constate une mainmise des Vietnamiens sur les différents services artisanaux (coiffeur, menuisier, épicier, boucher etc.) au détriment des Laotiens.
Lorsque, fin 1975, les Américains se sont « désengagés » du conflit vietnamien, je n’ai pas compris que le Laos allait perdre son indépendance et qu’une inhumaine dictature communiste allait lui être imposée par la force des armes. Nos gouvernants ont feint de croire qu’il s’agissait d’une affaire intérieure laotienne, ce qui les dispensait d’agir dans le cadre de nos engagements. Et lorsque le Père Jean-Marie OLLIVIER, oblat de Marie Immaculée, a voulu dénoncer, pour en avoir été témoin, cette ingérence d’une puissance étrangère dans les affaires intérieures d’un Etat indépendant, on lui a répondu… qu’on « ne voulait pas le savoir » ! J’ai d’ailleurs écrit à ce sujet un article contenant le récit détaillé du Père OLLIVIER sous le titre « Les lépreux de SOMSANOUK et le Missionnaire qui en savait trop ».
Par suite du mutisme complice des autorités françaises, je n’ai appris l’asservissement du Laos qu’en 1999, en lisant le témoignage terrifiant du colonel Khamphan THAMMAKHANTI, l’un des rares rescapés de ces goulags qui font partie de la « culture » communiste. Ce récit, intitulé « La vérité sur le camp-prison n° 01 ou camp de la mort au point 438-745 », m’a été transmis par SAR le Général Tiao SAYAVONG, ancien commandant de la 1° Région Militaire (Luang Prabang) et demi-frère du Roi Sri Savang VATTHANA. Ce Général, que j’avais connu lieutenant à Thakkek en 1954, avait lui-même passé 16 ans en « camp de rééducation ». Quelques temps après avoir témoigné, lui et le Colonel THAMMAKHANTI sont morts des suites des mauvais traitements qu’ils avaient endurés…
Avec une grande naïveté, j’ai pensé que nos « média » et nos gouvernants n’étaient pas « au courant ». Il m’appartenait donc de dénoncer le crime. Ce que j’ai fait en m’adressant aux grands journaux, aux mouvements de défense des peuples opprimés, aux politiciens, à Mr CHIRAC puis à son épouse, à certaine vedette de la chanson, à Mr KOUCHNER, à Mr MENARD, à Mr d’ORMESSON, à Mr DEVEDJIAN, au candidat puis au Président SARKOZY et à son épouse. Les réponses sont allées du silence méprisant aux justifications minables ou mensongères. Et j’ai fini par comprendre qu’ils étaient tous « au parfum », un parfum de cadavres, et que tous participaient à cette conspiration du silence qui entoure les crimes communistes.
Et puis, au début de 2010, est arrivé l’inacceptable : 4200 Hmong enfermés depuis des décennies dans un « camp de regroupement » thaïlandais ont été livrés à leurs bourreaux lao-viêts afin d’améliorer les bonnes relations (commerciales) entre la République Démocratique Populaire Lao et le Royaume Thaïlandais. Survenant au moment où l’on « commémorait » la sinistre « rafle du Vel. d’Hiv. » commise pour des raisons ethniques sur des effectifs comparables, ce crime (connu avant d’être consommé) aurait dû soulever une énorme vague d’indignation. C’était compter sans le pouvoir discrétionnaire des journalistes de tous bords qui ont littéralement escamoté l’évènement. A part deux ou trois brefs communiqués, que personne n’a repris mais qui pourront, plus tard, servir d’alibi et ce sont toutes « les belles consciences brevetées » qui sont restées muettes, enveloppant dans un linceul de silence les 4200 Hmong partis pour leur dernier voyage…
Après une période de découragement, j’ai décidé de jouer ma dernière carte, ou plus exactement de tirer ma dernière cartouche. Dans ma tête. En d’autres termes, je vais me faire « sauter le caisson » pour expier ma part de honte et protester contre la lâche indifférence de nos responsables face au terrible malheur qui frappe nos amis Lao. Ce n’est pas un suicide mais un acte de guerre visant à secourir nos frères d’armes en danger de mort. Quant à vous, les gouvernants sans honneur, vous, les grands « média » sans courage et vous, les « collabos » sans vergogne, je vous crache mon sang et mon mépris à la gueule !
Je demande pardon à tous ceux qui m’aiment pour le chagrin que je vais leur causer.
Le Colonel Robert JAMBON
Retraité des Troupes de Marine
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