Rwanda : quand les opinions convergent
La guerre et le génocide ont déchiré le tissu social au Rwanda. Les éléments de l’armée ougandaise, qui ont pris le pouvoir par les armes au Rwanda en juillet 1994, n’ont cessé d’instrumentaliser les Tutsi, par des discours les présentant comme les seules victimes de cette catastrophe qui n’en finit pas. Certains y croient et bénéficient donc des faveurs du régime. Ce sont ceux-là qui, aveuglés par une propagande rondement menée, encensent le président Paul Kagame à longueur de journée. Ils le confortent dans sa hargne de se maintenir au pouvoir à tout prix.
Une autre catégorie de Tutsi voit pourtant clair. Elle refuse de servir de caution à une richissime oligarchie criminelle qui a fait main basse sur le pays. C’est parmi eux que des voix s’élèvent pour clamer haut et fort que toutes les familles rwandaises ont été endeuillées par la perte des leurs depuis 1990 jusqu’à ce jour et que toutes les victimes, tant hutu que tutsi, doivent être reconnues.
Le chanteur Kizito Mihigo est représentatif de cette catégorie. Dans sa chanson, il a pris son courage à deux mains et a demandé que la mémoire de toutes les victimes de la tragédie rwandaise soit commémorée. Au lieu d’être écouté, il a été mis en prison. Sur le net circule une vidéo d’une autre rescapée qui affirme haut et fort que le génocide est rwandais, que toutes les couches de la population ont été atteintes par des tueurs de deux bords, ceux du FPR et des Interahamwe.
Avant eux, les Tutsi échappés des griffes du président Paul Kagame, avaient dit la même chose car étant en exil dans des pays démocratiques, et donc ayant la liberté de parole. Le plus représentatif est Jonathan Musonera qui réside en Grande Bretagne. Il a été prévenu par les services de sécurité britanniques que les escadrons de la mort du FPR voulaient attenter à sa vie. Il a dû bénéficier de la protection de la police de ce pays. Ses collègues du parti RNC ont été assassinés (Colonel Patrick Karegeya) ou ont subi des tentatives d’assassinat (général Kayumba Nyamwasa), etc.
Dans la communauté hutu de l’intérieur du pays, c’est silence radio. Ce sujet est tabou et la commémoration du génocide des Tutsi sert de prétexte pour opérer des rafles massives vers des prisons déjà bondées, sans parler des disparitions voire des assassinats mis sur le dos des malfaiteurs non identifiés.
A l’extérieur, l’opposition politique n’a cessé de dénoncer, par des communiqués, cette monopolisation du statut de victime par le régime FPR. Il a fallu le courage et la détermination de Victoire Ingabire, présidente du parti politique FDU, pour que ce discours soit porté au Rwanda en 2010. Au mémorial de Gisozi, elle s’est inclinée devant l’horreur qui a visé les Tutsi, mais elle a également rappelé que les victimes hutu du FPR doivent être reconnues. Elle a écopé de 15 ans de prison. Faustin Twagiramungu, ancien premier ministre du FPR, lui a emboîté le pas. Malgré qu’il soit encore en exil, les escadrons de la mort planifiaient de lui ôter la vie, n’eût été la protection des services de sécurité belge.
Parler des victimes hutu est un discours qui sonne mal dans les oreilles du FPR et de ses thuriféraires. Il est un fait indéniable que le nombre de victimes hutu est de loin supérieur à celui de Tutsi. Ignorer cette réalité est jouer à la politique de l’autruche. Le président Kagame ne croyait pas si bien dire : « Les faits sont têtus ». Au lieu d’affronter cette vérité dérangeante, le président Kagame et son cercle recourent à la répression, physique et psychologique.
Si j’étais parmi ceux qui approchent le président Kagame, je pourrais susurrer à son oreille cet adage rwandais : « Iritavuga umwe » (quand les opinions convergent), pour lui signifier qu’en s’entêtant dans sa politique de criminalisation des Hutu pour couvrir ses propres crimes, il entraîne le Rwanda vers des lendemains incertains.
Gaspard Musabyimana
08/5/2014
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