Rwanda : la prison de Muhanga a été, de longue date, dans le collimateur du FPR
Survenu au milieu de la journée dans les heures de midi, bon nombre d’observateurs avertis sont d’avis que cet incendie est d’origine criminelle. Et pour cause : les médias proches du pouvoir se sont empressés d’annoncer que l’incendie s’est déclaré alors que tous les prisonniers étaient dehors car à l’intérieur les services d’hygiène procédaient à la désinsectisation de la prison.
Cette coïncidence est troublante. La prison regorge de plus de 7000 personnes, entassées les unes sur les autres. Dans quel espace ont-elles été parquées la cour intérieure ne pouvant pas les accueillir vu son étroitesse ? En outre, les autorités ne déplorent aucune victime ! Incroyable !
Les témoins sur place rapportent que quand l’incendie s’est déclaré, des militaires lourdement armés ont encerclé la prison et les pompiers ne sont arrivés qu’une heure plus tard, le temps qu’il faut pour que tout le bâtiment se consume.
Pour faire croire qu’il y avait des prisonniers rescapés de cet incendie dont le caractère criminel saute aux yeux, des opérations de leur transfert vers d’autres prisons se sont faites nuitamment vers 22h comme si l’on voulait cacher quelque chose.
Selon des sources sur place, cet incendie voulait faire disparaître une partie des prisonniers de Gitarama qui ont déterré la dépouille mortelle de feu Dominique Mbonyumutwa, premier président du Rwanda, et sont allés l’enterrer dans un endroit jusqu’ici inconnu. Sa famille n’ayant cessé de réclamer d’être informé d’où sont passés les restes de leur papa, et que certains de ces prisonniers allaient terminer leurs peines et sortir de la prison, ils risquaient d’être des témoins gênants qu’il fallait donc éliminer par tous les moyens.
Une autre raison serait que l’Eglise catholique s’apprêtait à commémorer l’assassinat le 05/06/1994 à Kabgayi, non loin de cette prison, de trois évêques et neuf prêtres par les militaires du FPR. Vu l’état d’urgence décrété dans la ville de Muhanga, cette commémoration n’aura pas lieu.
La prison de Gitarama regorgeait également des personnes dont le pouvoir du FPR disait qu’elles étaient imbues de l’idéologie du MDR-Parmehutu, ce parti à l’origine de la révolution de novembre 1959 qui a mis fin au régime féodal et entraîné la fuite des seigneurs tutsi vers les pays limitrophes. Maintenant que ces réfugiés d’hier sont revenus, eux et leurs descendants et qu’ils sont au pouvoir, la revanche est implacable.
C’est dans cet esprit que le FPR a, dès le début de sa prise de pouvoir en juillet 1994, soumis les prisonniers de Gitarama (Muhanga) à une mort lente et atroce. Voici comment l’abbé Sibomana décrit ce qu’il a vu dans cette prison en 1995 :
« Nos prisons sont des mouroirs inhumains dans lesquels sont exécutées des peines de mort sans jugements. […] Ces prisonniers innocents ou coupables pourrissent lentement.
Et lorsque j’affirme qu’ils « pourrissent », ce n’est pas une figure de style. Au moins un officier de la MINUAR[1] peut en témoigner. Alors qu’il visitait la prison de Gitarama et tenait de beaux discours aux détenus, l’un d’eux arracha son orteil et le lui lança au visage. Après des semaines de station verticale, jour et nuit, dans la boue, les pieds des prisonniers avaient commencé à se décomposer. Lorsque j’ai visité la prison de Gitarama, pour la première fois au début de 1995, ce que j’y ai vu dépassait ce que l’on peut imaginer. Il y avait trois strates de prisonniers : au dessous, jonchant le sol, les morts qui pourrissaient sur le sol boueux de la prison. Juste au dessus d’eux, accroupis, les malades, les blessés, ceux dont les forces étaient épuisées. Ils attendaient la mort. Leurs corps avaient commencé à pourrir et leur espérance de vie se comptait en jours voire en heures. Tout au-dessus, enfin, se tenaient des hommes valides. Ils se tenaient droits et se balançaient d’un pied sur l’autre dans un état de demi-sommeil. […] Je me souviens d’un homme qui se tenait debout sur ses tibias : ses pieds avaient pourri. »[2]
Ce constat relevé par l’abbé Sibomana a été également fait par Médecins Sans Frontières en juin 1995. Le journal « Libération » du 06 juillet 1995, qui a eu accès au rapport de cette ONG, écrit :
« Près de mille détenus sont morts depuis septembre dernier dans la prison surpeuplée de Gitarama, au centre du Rwanda, où sont écroués plus de 7.000 Hutus accusés de génocide, a indiqué hier l’organisation humanitaire Médecins sans Frontières (MSF). Cette mortalité effrayante – un prisonnier sur huit est décédé – est la conséquence de maladies dues à l’entassement et aux intempéries, mais aussi à des blessures infectées et aux coups, voire aux morsures, que s’infligent entre eux les détenus, a précisé Arnaud Veisse, médecin de MSF travaillant à l’hôpital de Kabgayi, près de Gitarama. Environ un quart des quelque 700 prisonniers hospitalisés depuis septembre sont morts, les autres étant décédés à l’intérieur de la prison. Certains détenus amenés à l’hôpital ont dû être amputés de membres gangrenés. Les infections de leurs pieds étaient souvent provoquées par l’interminable station debout, dans l’eau de pluie, la saleté et les excréments, qui jonchent la cour de la prison, où il n’y a plus de place pour s’asseoir et encore moins pour se coucher ».
L’incendie de la prison de Gitarama est donc une étape ultime d’un plan criminel que les autorités du FPR ont concocté depuis leur arrivée au pouvoir au Rwanda en juillet 1994.
Jane Mugeni
06/06/2014
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