Rwanda et Burundi : Quand des chefs rebelles se hissent au sommet de l’Etat !

Noél Twagiramungu_photo RFI

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Noél Twagiramungu vient de défendre une thèse de doctorat* à la Tufts University (Boston-USA). Elle porte sur les rebelles au pouvoir au Rwanda et au Burundi et sur le processus de l’évolution politique de ces deux pays eu égard aux violences dont ils font face depuis les années 1990.

Le Rwanda et le Burundi sont souvent considérés comme des pays jumeaux. Ils présentent des similitudes dans bon nombre de domaines : patrimoines historique et linguistique proches, normes et pratiques culturelles presque identiques, même structures sociales et politiques. De plus, ce sont deux pays enclavés, pauvres en ressources naturelles, et dépendant de l’aide internationale. Ces minuscules territoires sont tous deux des anciennes colonies belges. Ils ont acquis leur indépendance le même jour, le 01/07/1962. Depuis lors, leur évolution a été marquée par des violences qui sont, à y voir de très près, comparables : ils opposent Hutu et Tutsi, à travers des élites issues de ces deux ethnies.

Au Rwanda, le « Front patriotique rwandais » (FPR), dominé par les Tutsis, a renversé et contraint à l’exil un régime hutu vieux de trois décennies et a mis en place un système centré sur un Etat fort. Au Burundi, le « Conseil national des Forces de défense de la démocratie » (CNDD-FDD), dominé par les Hutu, a accédé au pouvoir après avoir forcé une armée et un pouvoir contrôlés par des Tutsi depuis trois décennies, à négocier un partage de pouvoir.

Dévastés par la guerre civile et la violence génocidaire, les deux pays ont beaucoup bénéficié du « nouvel agenda post-conflit » par les bailleurs de fonds internationaux. Cependant, tandis que le Burundi est resté un pays obscur au niveau international, le Rwanda a progressé pour devenir non seulement un « chouchou des bailleurs de fonds », mais aussi ce petit pays a acquis une grande voix et une visibilité remarquable sur la scène internationale. Le Rwanda est passé du génocide à une dictature centrée sur un homme fort, Paul Kagame tandis que le Burundi est passé de la guerre civile, à un modèle de partage du pouvoir consociatif, fragile avec un gouvernement divisé et ayant peu d’influence au-delà de ses frontières nationales.

Pour nombre d’observateurs, l’arrivée au pouvoir par une victoire militaire suffit pour  expliquer le monopole du pouvoir par le FPR au Rwanda tout comme le règlement négocié du conflit au Burundi peut expliquer la nature du pouvoir éclaté entre le CNDD-FDD et les autres forces politiques.

D’autres supposent que le leadership exceptionnel du FPR, incarné par son chef militaire, Paul Kagame, pourrait faire toute la différence. La logique dominante est que la différence dans les capacités de leadership offre une explication quant à la raison pour laquelle le FPR est resté un mouvement unifié alors que le CNDD-FDD a été confronté à des divisions internes. Ce point de vue semble tout aussi approprié pour expliquer pourquoi le FPR s’est avéré beaucoup plus efficace que son homologue burundais à mobiliser un appui externe, à obtenir une victoire militaire et finalement la monopolisation du pouvoir.

Twagiramungu note que nombre de chercheurs attachent une importance exagérée a la personne de Paul Kagame : un exceptionnel « leader africain » pour les uns, un « maître de la manipulation » extrêmement habile à des « opérations cosmétiques pour la consommation internationale » pour les autres. Il souligne qu’une telle vue particularisante s’avère moins convaincante cependant quand il s’agit d’expliquer pourquoi  « le caractère non démocratique de transition au Rwanda » a prévalu sous Kagame autant qu’il l’avait été sous ses prédécesseurs, notamment Kayibanda (1962-1973) et Habyarimana (1973-1974). De même, si on le compare à son homologue burundais, Pierre Nkurunziza, dont le nom est à peine connu au-delà des frontières nationales, le charisme et les exploits personnels de Kagame semblent assez pour justifier sa visibilité exceptionnelle sur la scène internationale. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi la plupart des prédécesseurs de Kagame, du Roi Mutara Rudahigwa à Kayibanda et Habyarimana ont été vus par les puissances occidentales comme « la perle de grand prix », à un moment où leurs homologues burundais du très charismatique le Prince Rwagasore à Buyoya en passant par Micombero et Bagaza ont été généralement traités avec suspicion, sinon mépris.

Toutes ces différentes considérations poussent Noél Twagiramungu à un tas de questionnements qui fondent le gros de son travail de doctorat. Ainsi, il soutient entre autres que les évolutions divergentes entre les deux pays ne sont pas simplement le résultat de facteurs singuliers tels que la guerre, le génocide, les influences extérieures ou les hommes aux commandes. Ces différences ne peuvent être mieux comprises qu’en plongeant dans l’histoire politique ancienne de ces deux pays.

L’auteur relève que l’un des monarques fondateurs du Rwanda, Ruganzu Ndori, est arrivé au pouvoir par la force dans une période de crise extrême. Il a mis sur pied deux outils politiques innovantes – une armée forte et un système de clientèle connu sous le nom d’ « ubuhake » – qui a permis à la cour royale de contrôler un territoire en pleine expansion. Par contre, le fondateur du Burundi, Ntare Rushatsi, s’est fait connaître en étendant progressivement son influence sur des réseaux complexes de détenteurs du pouvoir; les structures royales qui en ont résulté ont été basées sur une délicate toile de relations entre plusieurs princes semi-autonomes. Avec les successeurs de Ruganzu, le pouvoir a été consolidé faisant du Rwanda un royaume fortement militarisé et assez centralisé. En revanche, le Burundi a conservé ses caractéristiques d’une confédération entre les autorités régionales.

Le doctorant s’est livré à une analyse comparative en décortiquant les logiques et dynamiques de variation dans les trajectoires du FPR et du CNDD-FDD avec un accent particulier sur les négociations de paix d’Arusha pour les deux mouvements rebelles ainsi que sur leurs modèles de justice post-conflit et d’intégration militaire.

En bon universitaire, Noél Twagiramungu théorise, par des modèles éprouvés en sciences sociales, la variation dans les systèmes de “gouvernance rebelle” au Rwanda et au Burundi comme un reflet des trajectoires de longue durée–au sens Braudelien– qui limitent les choix individuels des acteurs politiques tout en s’adaptant aux changements conjoncturels et autres aléas de l’histoire. L’auteur conclut que seule une connaissance approfondie des cultures politiques telles que l’obsession centralisante au Rwanda et la fragmentation du pouvoir au Burundi peut permettre d’amorcer des changements profonds axés sur les ressorts culturels et les apports de la modernité.

Gaspard Musabyimana
17/06/2014


*TWO REBEL ROADS TO POWER. Explaining Variation in the Transition from Genocidal Violence to Rebel Governance in Contemporary Rwanda and Burundi, Faculty of The Fletcher School of Law and Diplomacy, Tufts University, April 2014.

 

 

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