France-Rwanda. Droit de réponse de Jean-François Dupaquier
Je suis mis en cause sur ce site dans un article intitulé « France-Rwanda. L’escroc Richard Mugenzi reprend du service à Paris ! », signé de M. Emmanuel Neretse. Ce dernier m’associe au portrait et à l’itinéraire d’un tiers, M. Richard Mugenzi, dont il prétend « cerner la personnalité », et qu’il qualifie d’escroc. Je me vois traité de « journaliste corrompu », sans que M. Neretse apporte la moindre preuve de cette allégation. Pour faire bonne mesure, M. Neretse affirme que « le FPR a cherché le concours de son inconditionnel, Monsieur Jean-François Dupaquier ». Selon M. Neretse, dans des conditions qu’il ne se donne pas la peine de préciser (comment le pourrait-il ?…), j’aurais été « mis en contact » avec cet « escroc » pour « inventer » des « choses » (?) « pour la défense du FPR ». C’est plutôt M. Neretse qui se montre très inventif. Par ce procédé polémique qui s’appelle l’amalgame, il associe les épithètes « d’escroc » et de « journaliste corrompu » à deux personnes qu’il cherche à discréditer.
L’auteur de l’article aurait trouvé profit à s’interroger sur le sens des termes péjoratifs qu’il se permet d’utiliser contre Richard Mugenzi et moi-même, alors qu’il nous présente insidieusement comme des complices, dans un objectif de stigmatisation.
Des termes péjoratifs
Selon le dictionnaire Le Petit Robert, le nom « escroc » caractérise « une personne qui escroque », ce qui renvoie au verbe « escroquer » ainsi défini : « Tirer profit par fourberie, par manœuvre frauduleuse ». Le Petit Robert précise que « l’escroquerie est un délit qui consiste à s’approprier le bien d’autrui en usant de moyens frauduleux ».
Je vois mal quel bien j’aurais cherché à m’approprier. A l’évidence, le mot escroquerie a été employé de façon erronée par l’auteur de l’article, car il parle un peu plus loin d’un « escroc malgré lui ». Or l’escroquerie est un délit intentionnel, marqué par la volonté sournoise de nuire à autrui pour en tirer bénéfice. Parler « d’escroc malgré lui » est donc une expression aberrante, même si l’on voit bien que M. Neretse tente, par cet artifice, d’établir une gradation de culpabilité. Je serais un « corrompu » et mon complice un « escroc malgré lui ». D’une certaine façon, ma victime.
A l’évidence, le mot « escroquerie » a été employé de façon erronée
Que veut donc dire l’auteur de l’article en me qualifiant de « journaliste corrompu » ? Selon le « Dictionnaire culturel de la langue française » des Ed. Robert, l’adjectif « corrompu » désigne quelque chose ou quelqu’un « altéré, en décomposition », synonyme de « dépravé, dissolu, vénal, vendu », etc. Journaliste viscéralement attaché à l’indépendance et à la qualité de l’information, je ne peux que m’élever contre une accusation aussi grave, portée sans la moindre preuve. Je m’interroge sur ses motivations.
L’adjectif employé par M. Neretse mériterait un minimum d’explications. Faute de quoi cette formulation peut apparaître comme un procédé littéraire dissimulant une vacuité d’argumentation.
Lire attentivement l’article de M. Neretse permet de comprendre l’intention insidieuse de discréditer le livre que j’ai écrit et publié en 2010 avec le concours de M. Richard Mugenzi : « L’Agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi, ex-espion rwandais ». J’y ai longuement évoqué le parcours professionnel de Richard Mugenzi en m’appuyant non seulement sur ses déclarations, mais aussi sur les témoignages d’officiers supérieurs rwandais et français dans différentes instances judiciaires, et sur des comptes-rendus d’audiences devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). M. Neretse, prétend « avoir recueilli (sur M. Richard Mugenzi) les témoignages de ceux qui furent ses chefs hiérarchiques ». Or il ne fait que paraphraser plusieurs pages de mon livre, en y ajoutant des commentaires personnels que je me contenterai de qualifier d’erronés et orientés. La narration par M. Neretse des événements des 6 et 7 avril est particulièrement biaisée. Ici encore, les lecteurs pourront se référer à mon livre.
L’intention insidieuse de nuire à mon livre « L’Agenda du génocide »
Quoi que prétende M. Neretse, l’analyse documentée que j’apporte des désinformations opérées depuis Gisenyi les 6 et 7 avril pour faire croire à la responsabilité du FPR dans l’attentat, a été confirmée par les juges d’instruction Nathalie Poux et Marc Trévidic, aussi bien à travers leur audition de Richard Mugenzi que par les autres investigations menées sous la direction de ces deux magistrats impartiaux et expérimentés du pôle antiterroriste du Tribunal de Grande Instance de Paris. Chacun peut se référer à l’expertise balistique de l’attentat qu’ils ont ordonnée et qui est accessible sur internet.
Il n’est nul besoin de « reniement », ni de devoir avancer « des choses invraisemblables » pour faire comprendre que le FPR n’a pas abattu l’avion du président Habyarimana. En 2014, vingt ans plus tard, toute personne de bonne foi et informée a dorénavant compris que l’attentat du 6 avril fut commis à l’instigation d’extrémistes hutu partisans de la « solution finale du problème tutsi ». Cet attentat servit de signal pour déclencher le génocide des Tutsi du Rwanda et le massacre politique des Hutu démocrates, complot ourdi au Rwanda depuis fin 1992 ou début 1993.
L’attentat du 6 avril 1994 fut commis à l’instigation d’extrémistes hutu de la « solution finale du problème tutsi »
Comme l’enquête balistique (que refusait d’effectuer le juge Bruguière) l’a définitivement démontré, les missiles ayant abattu l’avion sont partis du camp militaire Kanombe, tenu par des extrémistes hutu, ou de ses abords immédiats, que contrôlaient les mêmes individus. On ignore toujours l’identité des tireurs.
Cependant, il existe aujourd’hui un lourd faisceau d’indices conduisant à penser que des politiques, des militaires et/ou des mercenaires français sont compromis dans cet attentat.
Après de nombreuses enquêtes sur le terrain, je partage avec l’immense majorité des journalistes la conclusion que l’Elysée a commandité au Rwanda une intervention anachronique, politiquement aberrante, impliquant des unités militaires françaises, dépêchées dans ce pays entre 1990 et 1994 dans une complicité de fait avec la préparation puis la perpétration du génocide des Tutsi.
J’ajoute qu’après la quasi destruction des Tutsi du Rwanda, la prise en otage de la population restante, poussée de force au Zaïre, par l’armée et les milices génocidaires mises en déroutes par le FPR, a été la cause d’immenses souffrances pour une masse de Hutu qui n’étaient pas « génocidaires » et que certains continuent à vouloir manipuler.
D’immenses souffrances pour une masse de Hutu qui n’étaient pas « génocidaires »
S’ajoutant au génocide des Tutsi, au massacre politique des Hutu démocrates, cette tragédie devrait inciter tout observateur à faire preuve de prudence dans ses commentaires, et à éviter de remplacer l’argumentation par l’invective. Argumenter, c’est avancer à pas prudents dans la recherche de la vérité en posant de véritables preuves, susceptibles d’emporter la conviction (l’expression « pièces à conviction » me semble assez claire), et non pas remplacer la construction de la vérité par des attaques ad hominem.
Les « gros mensonges » allégués par M. Neretse ne sont pas ceux qu’il prétend. En ce mois de septembre 2014, je comprends que certains soient inquiets du fait que les juges Nathalie Poux et Marc Trévidic s’apprêtent à clôturer leur instruction. Cet ultime épisode pourrait conduire le Parquet de Paris à requérir une ordonnance de non-lieu au bénéfice des proches du président Kagame qui ont été mis en cause dans l’attentat du 6 avril 1994 au terme d’une manipulation du juge Bruguière. Il y a de solides raisons de penser que les juges Nathalie Poux et Marc Trévidic signeront bientôt cette ordonnance de non lieu général. C’est un véritable château de cartes qui devrait s’effondrer sous le souffle de la vérité. Me qualifier de « journaliste corrompu » et traiter mon témoin d’ « escroc » pour occulter le fait que j’écris la vérité, est un artifice polémique qui ne peut convaincre personne.
Comment tirer des leçons du passé pour pouvoir se rassurer : « Plus jamais ça » ? Interrogée par l’écrivain Jean Hatzfeld, une agricultrice de Nyamata énonce : « L’intention est plus forte que le meurtre car l’intention survit quand le génocide est fini ».
Puisse chacun y réfléchir.
Jean-François DUPAQUIER
Ecrivain, journaliste, témoin expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda
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Lire également l’article mis en cause :
France-Rwanda. L’escroc Richard Mugenzi reprend du service à…Paris !
Source : musabyimana.net
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