Rwanda : Pour le régime du général Paul Kagame, le documentaire de la BBC est une « affaire d’Etat ». Pourquoi?

Evode Uwizeyimana

Evode Uwizeyimana

Le 01 octobre2014, la chaîne britannique de télévision publique BBC Two a diffusé pour la première fois un documentaire intitulé « Rwanda’s Untold Story ». Aussitôt, dans les cercles du pouvoir à Kigali, ce fut un tollé. Les réactions le plus souvent épidermiques et dictées par les services de propagande officiels ont éclaté dans tous les sens. A Kigali même, des jeunes « Intore », la milice du parti-Etat qu’est le FPR, a été jetée dans les rues pour scander des slogans hostiles à la BBC tout en chantant les louanges du président Kagame.  Les femmes aussi furent mises à contribution : des centaines parmi elles ont convergé vers le bureau local de la BBC dans un quartier de Kigali, mais certaines d’entre elles croyaient encore être là pour dénoncer «  l’Allemagne qui avait arrêté leur Rose Kabuye » !

A Londres, toutes les représentations du régime en Europe reçurent ordre d’acheminer des manifestants devant le siège de la BBC. Sur le plan des mesures gouvernementales, les émissions de la BBC en langue Kinyarwanda furent suspendues au Rwanda sans que l’on sache pourquoi étant donné que le documentaire est en anglais et qu’il est diffusé sur la seule chaîne TV accessible à quelques rares privilégiés rwandais. Mais, ce n’était pas fini car l’inénarrable ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement Louise Mushikiwabo déclara entre-temps que son gouvernement étudiait encore la réponse à réserver à la BBC suite à cet « affront » fait au « Rwanda » et à son cher président Paul Kagame. Il semble que la fameuse réponse ne va pas tarder à venir puisque Kigali vient de mettre en place une Commission dite « Des experts pour analyser le documentaire de la BBC, Rwanda : Untold Storry ».

Avant de réfléchir sur la nécessité, de voir la mission et la composition pour le moins bizarre de cette Commission, il y a lieu de se poser la question de savoir pourquoi ce simple documentaire de quelques minutes a fait sortir de ses gonds un des régimes les plus prétentieux du monde. A défaut d’apporter une réponse absolue, force est de constater ce qui suit :

– Le petit documentaire s’attaque et fait écrouler les mythes fondateurs du régime du FPR-Inkotanyi, mythes dont il tire une légitimité à laquelle il ne pourrait jamais prétendre. En effet, jusqu’ici, la conquête du pouvoir par une armée étrangère était présentée comme une mission humanitaire « pour arrêter un génocide ».

Dans ce cadre, les mensonges du régime même les plus grossiers étaient tolérés sinon occultés par la même communauté internationale pour ne pas embarrasser leur protégé. C’est ainsi que les statistiques fantaisistes ont été admises comme fiables dès lors qu’elles allaient dans le sens de la propagande du FPR. Pour la première fois, le documentaire de la BBC a osé sortir de ce carcan, sans polémique,  mais par un raisonnement et des calculs élémentaires.

– Paul Kagame étant l’auteur de l’élément déclencheur du génocide à savoir l’assassinat du président Habyarimana le 6 avril 1994, au lieu de se glorifier de cet « acte de guerre » comme il commençait à le clamer tout haut après le forfait, avait été sommé par ses complices et maîtres de tout nier et avait reçu toutes les assurances pour l’aider à en être disculpé. Le documentaire de la BBC lui ouvre les yeux et lui montre que ces grandes puissances qui l’ont poussé dans sa conquête du pouvoir savent tout ce qui s’est passé et sont à mesure de le révéler au monde quand bon leur semble.

– Avec les témoignages de personnalités comme Carla Del Ponte qui fut Procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) et qui démontrent que Kagame et son FPR ont bénéficié d’une impunité voulue et exigée par les puissances qui pourtant étaient au courant des crimes que son armée commettait, n’augurent rien quant à l’avenir du dictateur et de son régime le moment où les mêmes puissances n’auront plus besoin de lui.

– Enfin, sur le plan interne, le documentaire détruit en quelques minutes la propagande du régime tutsi dans son entreprise de lavage des cerveaux et de chosification de la majorité hutu qui se caractérise par des campagnes et décisions controversées comme : le bannissement de la langue française dans l’enseignement sans transition ; la diabolisation des régimes d’avant 1994 et la réécriture de l’histoire du pays selon l’idéologie de l’UNAR ancêtre du FPR actuel parti-état ou la chasse aux opposants avec l’accusation vague et passe-partout de « véhiculer l’idéologie du génocide ».

Ce constat peut amener n’importe quel dictateur même le plus téméraire et inconscient à s’alarmer. Voilà pourquoi le documentaire de la BBC dérange au plus haut niveau le pouvoir dictatorial de Paul Kagame.

Une « Commission BBC »

Comme on l’a vu, le régime vient de mettre en place une commission nationale chargée de se pencher sur le documentaire de la BBC. Sans autre précision sur sa mission, on peut supposer qu’elle doit rassembler les éléments pouvant amener le gouvernement rwandais à porter plainte contre la BBC et demander des dommages et intérêts et même plus loin servir de base à ce que des lois internationales  sanctionnent ce genre de publications, à savoir celle qui critiquerait le régime en place au Rwanda. Cependant en considérant la composition même de cette commission, nous pensons que le chemin est encore long et que ce n’est pas celle-ci qui contribuera à faire admettre au Monde que la propagande du FPR véhiculée depuis son invasion du Rwanda venant d’Ouganda en 1990 doit être prise comme «  la vérité absolue sur ce qui s’est passé au Rwanda ».

Composition de la « Commission BBC »

La commission est composée de cinq personnalités. Mais trois d’entre elles ont d’emblée attiré notre attention car leur profil permet de se faire une idée sur la qualité du rapport final qu’ils vont produire et la crédibilité à lui accorder.

Martin Ngoga

Ce tutsi qui est né et grandi en Tanzanie a été, après la prise du pouvoir du FPR, le représentant du Rwanda auprès du TPIR à Arusha. Il s’est alors distingué dans la chasse aux collaborateurs des avocats de la défense, à l’intimidation des témoins à décharge et à la mise en place d’un véritable « syndicat de délateurs » appelés abusivement témoins à charge. Il reçut alors une promotion spectaculaire et devint « Procureur général du Rwanda ».  A ce poste prestigieux, il se distingua dans la fabrication et la publication des listes sauvages de ceux qu’il appelait les « génocidaires » en alertant toutes les polices du monde notamment Interpol qui exécutait sans broncher ses injonctions. Il s’est avéré que sur ses listes figuraient même des personnes décédées bien avant 1990 mais dont les nouveaux maîtres du pays voulaient faire condamner pour s’emparer de leurs propriétés ou dissuader leurs proches de revenir au Rwanda tout en les déstabilisant dans les pays d’exil.

C’est sûrement lui qui va rédiger l’Acte d’Accusation dans des termes qui lui sont familiers quand il s’agit d’accuser les « génocidaires »  ou les « négationnistes ». Quelle crédibilité auront les conclusions du « Commissaire » Martin Ngoga ?

Mfizi Christophe

Ce hutu originaire de Gisenyi comme l’ancien président Habyarimana fut pendant plus de 15 ans le tout puissant directeur de l’Office Rwandais d’Information (ORINFOR), le service étatique qui gérait les médias notamment la Radio Rwanda ainsi que la presse écrite du régime. Il fit sensation quand à la faveur du multipartisme, il changea son fusil d’épaule pour rejoindre l’opposition naissante qui flirtait avec la rébellion du FPR qui avait attaqué le pays à partir d’Ouganda en octobre 1990. Christophe Mfizi, pour ses talents littéraires, fut alors mis à profit pour diaboliser le président Habyarimana qui, malgré tout, restait populaire dans la population. L’on se souviendra de son fameux pamphlet « Ikiguri-Nunga » ou « Le Réseau Zéro » dans lequel il « révélait » ou inventait l’existence d’une organisation criminelle évoluant dans le cercle restreint du président Habyarimana. Une dizaine d’années plus tard, le même Christophe Mfizi était confondu devant le TPIR et il fut incapable d’établir formellement l’existence de son fameux « Réseau Zéro » dont l’un des membres présumé alors jugé parle le TPIR était principalement accusé d’appartenir. Il fut si confus que le Procureur du TPIR n’osa pas présenter  son rapport d’expertise comme pièce à conviction, malgré que Christophe Mfizi  avait perçu une somme de 10.000 dollars pour élaborer ce document fantaisiste intitulé « Le Réseau zéro B ». L’accusé, dont au passage le nom avait servi à Mfizi de donner le titre à son pamphlet de 1991, fut acquitté de tous les chefs d’accusations. Auparavant Christophe Mfizi aura acquis le titre « à vie » d’Ambassadeur, puisqu’en 1994, en guise de remerciement, le FPR après sa prise du pouvoir, le nomma Ambassadeur du Rwanda à Paris. Arrivé à son poste, il se rendit à l’évidence : il n’était qu’un faire-valoir. En effet il était constamment humilié par ses «  subordonnés formels » mais en réalités ses patrons car ils étaient des tutsi venus d’Ouganda. On raconte même qu’il lui arrivait d’être giflé par son chauffer ! De guerre lasse, il démissionna et demanda l’asile politique en France. Hélas !, confronté aux aléas de la vie de réfugié auxquels s’ajoutaient les problèmes d’ordre privé, C.Mfizi se résolut à refaire allégeance à Paul Kagame qui, dans son « indulgence proverbiale », le reprit parmi les Hutu de service.

Voici l’homme qui est ajourd’hui appelé à juger le documentaire de la BBC et à faire des recommandations au gouvernement de Kagame. Quelle crédibilité sera-t-elle accordé aux recommandations du vieux Mfizi vus son parcours et surtout sa situation actuelle ?

Evode Uwizeyimana

Alors là, avec Evode Uwizeyimana, le FPR a touché le fond du ridicule. Voici un garçon qui, il y a encore quelques mois, d’abord comme un « jeune  juriste vivant au Canada », ne tarissait pas de reproches envers le régime du FPR surtout sur les antennes de la …BBC ; voici un mec qui, il y a à peine quelques mois, était membre du parti d’opposition RDI Rwanda Rwiza, mis en place par l’ancien Premier ministre Faustin Twagiramungu, n’a cessé de pourfendre le régime pour ses crimes et diverses violations des droits de l’homme ; voici un homme qui, après un problème familiale qu’il eut au Canada, a négocié et obtenu son retour au Rwanda où il fut nommé « Conseiller » au ministère de la Justice et qui, dans sa première interview à Kigali, n’a pas nié ses prises de positions antérieures hostiles au régime  et a évoqué la prescription et le classement sans suite…  Et c’est ce même homme qui doit juger, en tant que « spécialiste du droit », le documentaire de la BBC ! Quelle crédibilité accorder aux considérations de « Maître » Evode Uwizeyimana ?

En conlusion

Le régime Kagame a certes été touché et ébranlé dans  ses fondements par le documentaire de la BBC « Rwanda’s Untold Story ». Mais ses réactions sont ridicules, disproportionnées et non productives. Il en va de même de cette « Commission » composée de personnalités qui peuvent se revendiquer de tout comme  l’arbitraire (Martin Ngoga), la mesquinerie ( Christophe Mfizi) et l’opportunisme primaire (Evode Uwizeyimana) ; mais surtout pas de commissaires indépendants. On croyait qu’après 20 ans de pouvoir et 24 ans de propagande mensongère, le FPR pouvait nous réserver mieux dans sa lutte pour sa survie. Hélas !, c’est raté.

Jane Mugeni
05/11/2014

 

 

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