L’ONU au Rwanda : 1990-1994. Les non-dits et le paradoxe.
Mandatée par les superpuissances qui l’instrumentalisent, l’Organisation des Nations Unies (ONU a une réussit dans son bilan : celle d’avoir permis la conquête du Rwanda par les éléments tutsi de l’armée ougandaise en 1994. C’est la seule opération au monde que cette institution internationale a réussi, puisqu’elle lui a permis d’accorder le pouvoir à un groupe de son choix. Paradoxe : la même ONU est accusée par le régime qu’il a installé au Rwanda d’« inaction et de non assistance en personne en danger » etc… Et l’ONU encaisse sans broncher et même se livre aux séances de « mea culpa » ridicules. Plus l’ONU se livre à l’auto-flagellation, plus le régime militaire et dictatorial installé à Kigali en juillet 1994 enfonce le clou par des manœuvres de diversion et le chantage au génocide jusqu’à demander des comptes à la même ONU qui ne serait pas intervenue pour « arrêter le génocide » en 1994 ! Pour essayer de comprendre ce jeu de dupes, il y a lieu d’analyser de plus près l’action de l’ONU au Rwanda à cette époque.
Troupes de l’ONU au Rwanda
L’attitude de l’ONU commence à être suspecte après l’invasion du Rwanda par les éléments tutsi de l’armée régulière de l’Ouganda le 01 octobre 1990. Au lieu de condamner vigoureusement cette agression avérée d’un pays membre par un autre pays membre, consigne est donnée à New York pour que le conflit soit considéré comme de « type interne » et qu’il n’y a pas de menace pour la paix et la sécurité internationale, l’une des conditions classiques pour toute intervention et médiation de l’organisation. Dans cette option, l’ONU entend compter sur la diplomatie menée par une organisation régionale, à savoir l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Comme par hasard, le Secrétaire Général de cette organisation se trouve être le tanzanien Salim Ahmed Salim très proche des militaires tutsi d’Ouganda et de Tanzanie tandis que la même OUA est présidée cette année 1990 par Yoweri Museveni , le chef de l’Etat agresseur. L’ONU et l’OUA vont désormais opérer en toute complicité dans ce dossier. Comme la guerre continuait à faire rage et sur demande pressante du gouvernement du Rwanda, le 22 juin 1993, le Conseil de Sécurité adopta la résolution 846 qui vint confirmer l’option de l’organisation de ne s’impliquer que pour aider les agresseurs. Le Conseil n’autorisait qu’une « Mission d’observation des Nations Unies Ouganda-Rwanda » (MONUOR) composée de 80 observateurs militaires. Celle-ci ne serait déployée que le long de la frontière, du côté ougandais. En fait une façon d’exonérer l’Ouganda de toute accusation d’agression tout en continuant à berner le Rwanda. Le côté rwandais serait, quant à lui, surveillé par un Groupe d’observateurs Militaires neutres (NMOG, Neutral Military Observer Group, GOMN en français) relevant directement de l’OUA, groupe auquel le Secrétaire Général des Nations Unies adjoignit deux experts militaires chargés seulement d’apporter une aide logistique pour un déploiement plus rapide du NMOG. En fait un groupe d’espions officiels au profit des agresseurs que sont les éléments tutsi de l’armée de l’Ouganda désormais présentés comme une rébellion au nom de Front Patriotique Rwandais (FPR).
L’implication directe de l’ONU dans ce conflit devenant incontournable avec la signature des accords d’Arusha le 3 août 1993 qui prévoyaient la mise en place d’une force militaire internationale de l’ONU, il a fallu deux bons mois avant que le Conseil de Sécurité n’autorise la mise sur pied d’une « Mission d’assistance des Nations Unies au Rwanda » (MINUAR) .
La mission dévolue à cette MINUAR 1 était très large et on peut considérer que les moyens mis à sa disposition pour effectuer des tâches aussi diverses que délicates étaient volontairement dérisoires. La MINUAR ne disposera au maximum que de 2548 hommes dont 1428 seront déployés dans une première phase. Le déploiement par phase ne débutera que le 2 novembre 1993. La volonté de réduire au maximum cette force et surtout de déguerpir dès que les rebelles tutsi seraient à mesure de donner l’assaut final apparait dans le point 9 de la résolution 872 du Conseil de Sécurité qui en invite le Secrétaire général à s’y préparer.
Le phénomène « Roméo Dallaire »
Le Commandement militaire de la MINUAR I fut confié à un officier canadien qui comme il l’avouera lui-même plus tard dans son livre, ignorait tout du Rwanda mais engagé et fanatisé à outrance. Le général Roméo Dallaire avait en effet été désigné en juin 1993 pour conduire la Mission d’observation des Nations Unies Ouganda/Rwanda (MONUOR). Il arriva au Rwanda juste après la signature des Accords d’Arusha pour une mission de reconnaissance de 12 jours. Il fut spécialement encadré par les gens hostiles au président Habyarimana dont il était convaincu que c’était un dictateur dont il fallait débarrasser le Rwanda via les combattants tutsi venus d’Ouganda.[Roméo Dallaire, 2003, p.75-76 ;96 ;100]
Durant ce séjour, il côtoya les figures de proue de l’opposition radicale, de la mouvance du FPR dont il avait rencontré la direction politique et militaire par l’entremise de Yoweri Museveni . Depuis lors, il n’a plus caché son admiration pour Paul Kagame.
Lorsqu’il débarque à Kigali le 21 octobre 1993, le général Dallaire est convaincu qu’il vient en croisade contre une dictature incarnée par Habyarimana. Pour se couvrir diplomatiquement, il va imposer le concept d’ « extrémistes » pour qualifier tous ceux qui n’étaient pas d’obédience FPR. Il va aussi se caractériser par une « indiscipline militaire » incroyable pour un militaire de son rang en mission de maintien de la Paix de l’ONU. En effet il va superbement ignorer son chef politique qui est le Représentant Spécial du Secrétaire général de l’ONU au Rwanda et va le court-circuiter jusqu’à adresser directement des rapports à New York sans l’en informer. Au Rwanda même, il s’imposa comme le seul interlocuteur politique que ce soit avec le Président de la République, les ministres les partis politiques…Bref, il était sorti de son rôle militaire. Le pauvre diplomate camerounais du nom de Jacques Roger Booh Booh, qui sur papier était son patron, était perçu par les Rwandais comme étant son chauffeur ou tout au plus son secrétaire. Le général Dallaire lui-même s’en est vanté.
Les troupes de l’ONU face à la crise : 06 avril 1994
Rappelons qu’à la veille du déclenchement de l’assaut final des éléments tutsi de l’armée ougandaise pour s’emparer du pays dont le signal fut l’assassinat du Président Habyarimana, il y avait au Rwanda quelques 2400 casques bleus relevant de 24 nationalités différentes et dispersés dans différents endroits. Le contingent le plus important est fourni par le Bangladesh (937) et le Ghana (841). La Belgique avait 428 hommes mais son contingent constituait sur le plan logistique et politique le noyau dur de la mission. Le 7 avril 1994 dans l’après midi, Paul Kagamé déclara la reprise des opérations sur tous les fronts dont
celui de Kigali où il avait infiltré des milliers de combattants avec l’aide ou la complicité de la MINUAR. La réaction de la MINUAR, embrigadée par le général Dallaire, fut de ne rien entreprendre qui pourrait gêner la progression du FPR ou donner du répit aux FAR. Au contraire la MINUAR céda les positions stratégiques qu’elle occupait autour de Kigali aux combattants du FPR en leur laissant des munitions et des rations suffisantes pour y tenir à outrance en cas de nécessité. Parallèlement le général Dallaire, s’employait à distraire ce qui restait du commandement des FAR dans des réunions interminables et qui ne décidaient de rien, ou encore à suivre et même à piloter l’évolution politique comme la mise en place du gouvernement intérimaire le 09 avril 1994.
Amnésie à New York ou « secrets d’Etats » ?
N’importe quel journaliste d’investigation, pour autant qu’il veuille s’intéresser à cette accusation redondante comme quoi l’ONU aurait abandonné le Rwanda peut découvrir que la décision du retrait de la MINUAR prise par New York était dans la ligne de l’option retenue par l’ONU dictée par les USA, de laisser le FPR remporter une victoire militaire totale avant toute chose. Par honte ou par mépris de l’opinion, aucune instance de l’ONU n’ose évoquer l’ultimatum de Paul Kagamé de considérer toute troupe étrangère au Rwanda en avril 1994 comme « ennemi », ou tout simplement la demande officielle que le FPR a adressée à l’ONU à New York lui demandant de ne pas intervenir car, prétendait-t-il, il n’y avait plus aucun Tutsi à sauver. La délégation du FPR était composée de Gerald Gahima et de Claude Dusaidi, et c’était encore en avril 1994. C’est dans ce cadre qu’il faudrait comprendre la consigne donnée par Bill Clinton à son administration de ne pas utiliser le terme de génocide avant la prise complète du pouvoir par le FPR. De même on comprendra le calvaire du Secrétaire général des Nations Unies Boutros Boutros Ghali incompris et contrarié par l’américaine Madeleine Albright qui finalement aura sa peau et le remplacera par le docile Koffi Annan qui justement était au moment de la conquête, le patron du Département de Maintien de la Paix à qui le Général Dallaire s’adressait directement de Kigali.
On comprendra aussi pourquoi la proposition de la France d’établir une « zone humanitaire sure », avec la fameuse « Opération Turquoise » fut d’abord fortement combattue par les parrains du FPR et qu’elle ne fut autorisée qu’après avoir donné des garanties qu’elle ne devrait pas contrarier ou retarder la victoire militaire totale des éléments tutsi issus de l’armée ougandaise. Lorsque le régime de Paul Kagamé tire à boulets rouges sur la France notamment pour cette opération Turquoise, c’est comme pour dire : «… on l’a échappé bel, si l’opération Turquoise avait été autorisée quelques semaines avant que nous, les combattants tutsi ne nous rendions militairement maîtres du Rwanda, nous serions soumis à la règle du partage du pouvoir selon les accords d’Arusha comme au Burundi. »
Pour cette appréhension, le régime du FPR en veut à mort à la France, alors que l’opération « Turquoise » a pu sauver des milliers de tutsi qui étaient condamnés à mourir si les fiançais n’étaient pas intervenus. Incompréhensible.
Après la conquête du pays par les éléments tutsi de l’armée ougandaise, comme planifié, l’ONU put revenir !
C’est en considérant la rapidité et la facilité avec lesquelles fut décidée la MINUAR II que l’on se rend compte que le retrait de la MINUAR I était de permettre au FPR de s’emparer du pouvoir sans que l’ONU ne soit officiellement témoin des crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui devaient nécessairement accompagner cette conquête. Comme par hasard, cette MINUAR II fut mise sous le Commandement d’un autre général canadien qui était justement conseiller militaire au Département de Maintien de la Paix dirigé par Koffi Annan. La MINUAR II reçut plus de moyens en hommes et en matériels que la MINUAR I alors que la guerre était finie comme venait de le déclarer le FPR le 17/7/1994. Et pour cause, cette force avait pour mission non écrite de consolider le nouveau régime. Ce faisant l’ONU venait de légitimer une conquête militaire d’un pays souverain membre de l’ONU par des éléments de l’armée d’un autre pays membre aussi de l’ONU. Un précédent historique. Enfin la MINUAR II devait permettre à la multitude d’ONG d’absorber les capitaux massivement versés sur le terrain c’est-à-dire dans un Rwanda intentionnellement détruit.
Le TPIR ou un coup de pouce politique de l’ONU au régime illégitime et impopulaire installé par la force en 1994.
Le Tribunal Pénal International pour la Rwanda fut créé dans la foulée de la conquête du pays par les éléments tutsi de l’armée ougandaise. Dans sa résolution 955 du 8 novembre 1994, le Conseil de Sécurité de l’ONU instituait ce tribunal ayant sur papier pour mission d’enquêter et poursuivre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis au Rwanda et dans les pays voisins entre le 01 janvier et le 31 octobre1994. Mais on se rendra compte que ce tribunal était un instrument utilisé pour faire taire à jamais les dignitaires de l’ancien régime renversé en 1994 tout en assurant l’impunité aux criminels tutsi du FPR.
Violation de la souveraineté des Etats voisins couverte par l’ONU
L’ONU qui dans ses missions devrait prévenir les menaces à la paix mondiale et intervenir en cas de violation se montre dans le cas du régime installé par ses soins au Rwanda comme complice des crimes de guerre et crimes contre l’humanité du FPR. Les invasions successives des pays voisins comme la RDC ou la déstabilisation d’autres comme le Burundi ne sont jamais condamnées par l’ONU mais au contraire elles sont occultées quand les victimes ne sont pas présentées comme des bourreaux (cas du Burundi). Même quand ses fonctionnaires ou des experts mandatés par elle incriminent le régime de Paul Kagamé dans des rapports bien fouillés et tout à fait crédibles, la même ONU choisit de mettre ces rapports sous le boisseau ou de renvoyer ces rédacteurs. Ce fut le sort du « Mapping Report » (août 2010) concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commis entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République Démocratique du Congo,.
L’ONU aide le régime tutsi du FPR à entretenir une armée surdimensionnée
L’armée de Paul Kagamé est passée de quelques centaines de tutsi qui appartenaient à l’armée régulière ougandaise et qui se sont emparés du Rwanda en 1994 avec l’aide de l’ONU à une masse de plus de
200.000 hommes (et femmes) sans compter les éléments supplétifs (milices du parti au pouvoir dite DASSO, démobilisés employés dans des sociétés de gardiennage etc.) pour un pays d’une population d’un peu plus de 10 millions d’habitants s’étendant sur seulement 29.338 km², il faut avouer que c’est un peu trop, mais que surtout n’importe quel gouvernement du monde confronté à une telle situation aurait du mal à gérer : entretenir, nourrir et équiper une telle armée. Mais pour le cas du Rwanda butin de guerre offert aux éléments tutsi de l’armée ougandaise par la même ONU, cette organisation est là pour y subvenir. La solution a été vite trouvée. Il suffit d’engager massivement l’armée de Paul Kagame dans les missions de maintien de la paix de l’ONU partout à travers le monde. Ainsi on les retrouve au Darfour, en Centrafrique, au Soudan du Sud, au Mali, en Côte d’Ivoire , en Haïti etc. De cette façon c’est l’ONU qui paie la solde et les équipements de la majorité de presque tous les deux cents milles soldats de Paul Kagamé qu’il ne saurait entretenir autrement avec risque des mutineries pouvant aller au renversement de son régime pourtant installé par l’ONU.
Attitude du régime tutsi face à l’ONU : un chantage politique et diplomatique permanent.
Face à cette réalité, comment alors comprendre les larmes de crocodile que verse le régime de Paul Kagame chaque fois qu’il évoque le rôle de l’ONU alors qu’il apparaît que cette organisation a permis à cette clique, non seulement la prise du pouvoir par les armes, mais aussi elle a continué à la soutenir et à lui assurer l’impunité face à ses crimes innombrables. Pourquoi la même ONU a encaissé sans broncher et s’est mise même à genoux devant cette clique qu’elle a elle-même mise sur le trône du Rwanda contre toute logique ?
D’après nous, ce chantage politique et diplomatique du régime illégitime du FPR est favorisé par le fait que :
- Dans les puissances qui dominent l’ONU, les décisions politiques sont dictées par les lobbies ayant offert le Rwanda aux tutsi : USA, GB, Belgique ;
- Certaines de ces puissances n’ont pas de politique étrangère propre et doivent suivre la ligne de celle du grand allié américain : France, Canada, Pays Bas ,les pays scandinaves (Suède Norvège, Danemark)
- Le deal entre la France et les Etats Unis sur leurs zones d’influence en Afrique interdit à la France de prétendre encore à une quelconque influence au Rwanda, tandis qu’il accorde aux anglo-saxons toute la latitude d’y faire ceux qu’ils veulent.
- Enfin, c’est une preuve supplémentaire s’il en fallait, que les institutions internationales bien en vue comme l’ONU et l’UA sont en réalité dans l’étau des lobbies ayant installé la clique des tutsi venus d’Ouganda au pouvoir au Rwanda.
Emmanuel Neretse
10/5/2016
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