Géopolitique  de l’Afrique des Grands Lacs.  Etapes dans la réalisation du « modèle rwandais » 

modele-rwandais-imageIntroduction

Comme nous l’indiquions dans un article précédent (Echos d’Afrique du 08/08/2016) :

« Nous appelons « modèle rwandais », un régime qui serait installé dans un autre quelconque  pays du monde et qui aurait les caractéristiques du régime installé au Rwanda depuis 1994. ».  

Nous avions alors indiqué les principales caractéristiques du « modèle rwandais  à savoir :

  • Un régime dictatorial d’après les normes généralement reconnues en science  politique ;
  • Un régime qui ne peut être critiqué ni dans la presse ni dans les institutions internationales, mais au contraire qui ravit ses thuriféraires en les rémunérant grassement ;
  • Un régime pour lequel même les institutions internationales sont promptes à mentir ou à falsifier les statistiques quand il faut le défendre. »

Dans l’étude de la Géopolitique dans la région des Grands Lacs en Afrique, il est intéressant de se pencher sur les étapes qui ont abouti à imposer un régime clanique et dictatorial dans un des pays les plus surpeuplés et les plus pauvres du monde, dictature qui risque de passer dans l’Histoire comme le « modèle rwandais » car elle est en passe d’être implantée dans toute la région des Grands Lacs.

Le présent article a pour but de faire découvrir les étapes de la conquête du Rwanda, d’abord pour y essayer un « modèle rwandais », ce qui fut atteint  en 1994,  et par la suite, tenter  d’y instaurer une nouvelle dynastie tutsi qui étendra son influence dans toute la région dans un avenir plus au moins proche.

Etapes

[1]  1986-1988 : Prise de conscience que la reconquête du Rwanda par le armes, par les Tutsi, était désormais possible.

Après près de 27 ans d’exil dans les pays voisins et plusieurs tentatives infructueuses de reconquérir par les armes le pouvoir au Rwanda, les féodo-monarchiques peuvent se consoler. En ce début de 1986, leurs descendants nés ou en ayant grandi en Ouganda viennent de prendre le pouvoir dans ce pays à la faveur d’une rébellion  dirigée par Yoweri Kaguta Museveni, un ougandais de la tribu hima affiliée aux Tutsi, et dans laquelle ils s’étaient engagés en masse. Désormais, quasi maîtres de l’Ouganda dans l’armée dans laquelle ils étaient dominants (vice-ministre de la Défense, chef des  Renseignements militaires, chef des Services logistiques, chef du Service médical, plusieurs commandants des grandes unités…), les ex-réfugiés tutsi rwandais ( car  entretemps  naturalisés ougandais ), même les plus sceptiques, prirent alors conscience que s’ils sont parvenus à conquérir l’Ouganda, s’emparer militairement du modeste Rwanda de leurs ancêtres n’était qu’un jeu d’enfant. Il suffit d’être déterminé et de s’en donner les moyens.

[2]  1988-1990 : Cette période fut mise à profit pour l’élaboration des plans stratégiques en vue de la reconquête. C’est à cette époque que l’organisation dénommée « Rwandese Welfare Foundation » (RRWF), qui se présentait comme culturelle et qui regroupait les réfugiés rwandais en Ouganda, se transforma en une organisation politico-militaire, le Front Patriotique Rwandais (FPR). La lutte armée, comme moyen de conquête du pouvoir au Rwanda, fut adoptée lors du congrès des réfugiés rwandais tenu  à Washington aux USA du 17 au 20 août 1988. Le FPR deviendra ainsi une structure politique accompagnatrice de la conquête militaire et entreprendra des recrutements.

[3]  1990-1992 : Le caractère international de la guerre déclenchée le 01 octobre 1990  étant évident, les Tutsi et leurs souteneurs vont très vite s’atteler à légitimer cette  guerre d’agression.  Fort de la complicité des grandes puissances  occidentales, et constatant la naïveté du régime de Juvénal Habyarimana qui croyait en la bonne foi de ses anciens alliés français et belges alors qu’ils se moquaient de lui, l’Ouganda de Yoweri Museveni s’employa à faire occuper par les éléments tutsi de son armée, une portion du territoire rwandais . Cet objectif fut atteint dès juin 1992. Ainsi, les éléments tutsi de l’armée régulière de l’Ouganda pouvaient désormais être reconnus  comme une alternative au régime démocratique hutu en place depuis 1961. Ce qui fut vite acquis, ouvrant ainsi la voie aux négociations.

[4]  1992-1993 : Parallèlement à l’occupation d’une portion du territoire rwandais, le FPR occupa aussi le terrain politique en manipulant les opposants internes pour en faire ses alliés objectifs notamment par la signature d’un pacte à Bruxelles en juin 1992 par l’entremise des puissances occidentales.  Ces opposants à Habyarimana se retrouveront  comme des « dindons de la farce »après la conquête militaire du Rwanda par le FPR en 1994 comme nous allons l’indiquer plus loin.

[5]  1994 : L’assaut final pour la prise du pouvoir par les armes au Rwanda par la minorité tutsi fut déclenché le 06 avril 1994. Ce jour-là, un commando du FPR parvint à abattre l’avion dans lequel se trouvait le président Juvénal Habyarimana qui revenait d’un sommet régional tenu en Tanzanie. Il fut tué avec toute sa suite tout comme le président du Burundi Cyprien Ntaryamira qui voyageait avec lui. Le lendemain, Paul Kagame, qui commandait l’armée tutsi du FPR, ordonna une offensive générale sur tout le front  à savoir le long de la frontière avec l’Ouganda, sa base arrière, et dans Kigali où il disposait des milliers de combattants acheminés par la force des Nations Unies « la MINUAR » commandée par un général canadien au nom de Roméo Dallaire, Kagame refusera tout cessez-le-feu et même exigera le départ des troupes des Nations Unies qui ne seront plus appelées qu’après juillet 1994 quand il aura conquis tout le pays. Il va alors prétendre avoir « arrêté un génocide », ce qui constituera par la suite la seule source de légitimité de son pouvoir et de jouir de l’impunité totale pour ses crimes de guerre et contre l’humanité commis au Rwanda-même et dans les pays voisins.

[6]  1994-1995 : Début des désillusions des « dindons de la farce »

Les Hutu, qui ont aveuglément accompagné les Tutsi venus d’Ouganda dans leur conquête mais  sont, aujourd’hui, soit morts assassinés par leurs anciens alliés tutsi ou se retrouvent en exil ou en prison ou bien alors ils rasent les murs au Rwanda comme « Hutu de service » car considérés comme des « génocidaires » de père en fils. En effet, ils étaient nombreux à avoir œuvré à ce que le FPR gagne du terrain tant politique que militaire, à avoir même trahi les institutions du pays au profit d’un ennemi qui l’attaquait de l’extérieur et à avoir démoralisé les forces armées qui, pourtant les défendaient ainsi que leurs biens. Tout cela dans l’espoir d’être associé au régime qui allait remplacer celui de Habyarimana. Cette catégorie était si confiante et fière de son jeu politique qu’elle était adoubée par la Communauté internationale à travers la presse des mêmes puissances qui avaient décidé d’offrir le Rwanda aux Tutsi et qualifiaient ces opposants de  « Hutu modérés », d’opposants « démocrates ». Ils étaient encouragés, par divers moyens, à accompagner (les yeux fermés) les conquérants tutsi qui, eux,  avaient leur  agenda caché.

Effectivement après la conquête en juillet 1994, ces « Hutu modérés » seront associés à un soi-disant « Gouvernement d’Union Nationale » et occupèrent même des postes apparents au plus haut niveau (président de la République, Premier ministre, Vice-Premier ministre, etc.) mais dont les  vrais patrons étaient des Tutsi venus d’Ouganda (Vice-président avec  son propre Cabinet doublant celui qui était  présenté comme effectif). Ces Tutsi  les utilisaient pour se donner le temps de s’adapter à leur nouveau pays conquis et surtout pour la consommation externe pour faire prévaloir que ces Hutu avaient été récompensés pour leur appui à la conquête.

Une année après leur aventure, les « Hutu modérés » commencèrent à se rendre à l’évidence qu’ils s’étaient trompés mais il était trop tard  pour eux mêmes et malheureusement pour tout le peuple. Ils furent alors éliminés un à un. Ceux qui n’étaient pas assassinés étaient jetés en prison ou trouvaient la mort dans des conditions mystérieuses.  Les rares plus chanceux parvinrent à s’exiler et depuis plus de 20 ans, ils broient du noir.


 

A LIRE AUSSI : Autopsie du « modèle rwandais » que les superpuissances entendent étendre à toute l’Afrique


 

A l’époque (1991-1994), ces Hutu étaient très courtisés et médiatisés par la presse occidentale qui les présentait comme « des vrais patriotes, le salut du Rwanda après Habyarimana, les garants de l’unité et de la sécurité des Rwandais  etc… ». Hélas, aujourd’hui, la même presse ne parle plus de ces politiciens hutu dits « modérés » des années 1991-1994 et quand elle en parle, c’est pour évoquer leur naïveté et pour vanter l’habileté politique des Tutsi qui les ont utilisés. En effet, qui entend encore parler des personnalités comme Pasteur Bizimungu, Seth Sendashonga, , Dismas Nsengiyaremye, Théoneste Lizinde ou encore Anastase Gasana ?

[7]  1995-1998 : Le FPR commence à honorer sa part du contrat avec les superpuissances. En effet, la soldatesque tutsi de Kagame est mise en avant pour  conquérir le Zaïre pour le compte des Superpuissances occidentales qui, désormais, dominent le monde. Ce sera l’occasion de jauger le degré de l’impunité dont jouira désormais le régime tutsi au Rwanda et dans la région: les massacres dont furent victimes les réfugiés hutu en RDC, que d’aucuns qualifieront de « génocide » seront tout simplement occultés et même les quelques rapports qui en parlent seront aussitôt mis sous le boisseau.

[8]  1996-2000 : Toujours pour honorer sa part du contrat, le FPR contribue à rendre l’Est de la RDC un territoire qui échappe au pouvoir central à défaut de faire sécession mais exploité par les multinationales. Désormais, depuis 1996, le Rwanda est devenu le principal pays de la région exportateur de minerais jadis introuvables sur son territoire comme le coltan, l’or, le diamant,…

[9]  2000-2003 : Paul Kagame est jugé assez mûr et assez sûr pour apparaître au grand jour comme le « délégué », le « bras armé »  des superpuissances dans la région. Il est appelé alors  à mettre fin à la longue période dite de transition instaurée au Rwanda depuis sa conquête militaire du Rwanda en 1994 et d’organiser un semblant d’élections pour légitimer sa prise du pouvoir par les urnes.

[10]  2003-2010 : Consolidation du « modèle rwandais »tant sur le plan interne que régional. Désormais présenté comme un président élu à presque 100% des voix par les Rwandais, Kagame va être présenté comme un modèle en Afrique  et ce modèle est mis à l’essai pour son imposition dans les Etats voisins. Une fausse image d’un Rwanda en plein « boom économique » grâce à un « homme providentiel » qu’est Paul Kagame est véhiculée par les plus grands médias du monde qui n’hésitent même pas à manipuler les statistiques ou à occulter les rapports les plus réalistes.

[11]  2010-2017 : Préparation de l’opinion à la fondation d’une nouvelle dynastie « tutsi-ega ». Kagame étant un tutsi du clan « bega », son clan fonderait une nouvelle dynastie qui remplacerait celle de « tutsi-nyiginya » qui a régné sur le Rwanda jusqu’en 1959.  Les Rwandais sont amenés à crier haut et fort que personne d’autre n’est capable de régner sur le Rwanda sauf Paul Kagame ou celui qu’il désignerait. Des millions de pétitions sont signées parfois par des analphabètes, et acheminées au Parlement avec une forte médiatisation internationale   pour prouver que les Rwandais souhaitent que Kagame soit leur « président à vie ». Il s’en suivra un amendement de la Constitution, suivi d’un référendum pour l’adopter et tout fut joué avant fin 2016.

Pour la suite, après 2017, mais en tout cas avant 2034, Kagame se proclamera « roi du Rwanda » sous le nom de règne de Kagame Ier  ou alors il aura déjà installé son fils Ivan Cyomoro au trône. Il en a eu le feu vert de la part de ses créateurs.

Ce rapide passage en revue des étapes de la conquête du pouvoir au Rwanda par un groupe de Tutsi venus d’Ouganda montre que tout est piloté de l’extérieur. Autrement dit, que le peuple rwandais subit les événements conçus et pilotés par les puissances étrangères, ayant comme bras armé Paul Kagame et sa clique.

Perspectives d’avenir

2017 : L’année marquera de toute évidence le début du règne de Kagame Ier, dont le royaume devrait englober à terme l’actuel Rwanda, le Burundi,  les deux Kivu, l’Ouest de la Tanzanie et l’Ouest si pas l’entièreté de l’Ouganda. Cela pourrait prendre du temps pour faire prendre forme à ce royaume ou cet empire. Mais les Tutsi et leurs commanditaires sont connus pour être très patients. Il suffira de semer le chaos partout autour du Rwanda de Paul Kagamé (Burundi, Est de la RDC, Tanzanie et pourquoi pas en Ouganda), ce qui rendrait aux yeux du monde ce royaume moyenâgeux de Paul Kagame   comme le seul « havre de paix et de postérité » dans la région mais surtout ferait occulter le contentieux causé par la conquête et le servage de la majorité du peuple rwandais ( Hutu, Twa  et Tutsi de l’intérieur) par une bande de Tutsi armés venus d’Ouganda en 1994. Un peu comme ce que l’on observe ailleurs. Depuis le démembrement de l’Irak, le chaos provoqué en Libye, la disparition de l’Etat au Yemen, la campagne en cours visant la disparition de la Syrie en tant qu’Etat…il ne reste au Moyen Orient qu’un seul Etat sans problème car stable, organisé et prospère : c’est l’Etat d’Israël. Qui ose encore parler, dans les instances internationales, du conflit israélo-palestinien ? Qui peut encore oser proposer une solution définitive à ce conflit ? Personne, car ce n’est plus prioritaire ni d’actualité compte tenu de la situation dans la région. C’est ce rôle que l’on veut  faire jouer le Rwanda de Paul Kagame dans la région des Grands Lacs.

Le peuple rwandais, mais aussi les autres peuples de la région des Grands Lacs, devraient se préparer à affronter ce que les maîtres du monde leur préparent avec Paul Kagame comme bras armé dans un avenir proche et tirer des leçons du chaos et de la désolation semés au Moyen Orient et au Maghreb qui profitent aux mêmes maîtres du monde parrains de Paul Kagame  et à leurs supplétifs locaux au mépris des peuples concernés.

Emmanuel Neretse
22/09/2016

 

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