Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose !
En histoire, on dit souvent qu’un mensonge mille fois répété finit par devenir une vérité. Ce fut le cas depuis l’antiquité. Le récit des guerres puniques, puis celui de la guerre des Gaules, ont été écrits par le vainqueur, c’est-à-dire par les Romains, au détriment, bien sûr, de la vérité historique. Dernièrement, j’ai lu une biographie d’Hannibal[1] dans laquelle l’auteur affirme que la célèbre bataille de Zama n’a jamais eu lieu, qu’elle a tout simplement été inventée par la propagande romaine. D’abord surpris par une telle assertion, je me suis ensuite dit qu’après tout il ne serait pas complètement impossible que cet historien tunisien ait raison. Tant d’exemples, proches et lointains, m’incitent à le croire.
La France unanime dans sa résistance à l’occupant, unie derrière le Général de Gaulle, est l’un de ces mythes qui perdurèrent des décennies durant, même si cette belle légende est remise en question depuis les années 70. Le narratif de la guerre d’Algérie est un autre cas d’école. Les autorités d’Alger avaient besoin, après l’indépendance, d’offrir à leur population un beau récit national, décrivant un peuple opprimé, exploité mais toujours héroïque, se levant courageusement pour rejeter à la mer les colonialistes honnis, coupables de tous les crimes, incluant même le plus absolu, le plus imprescriptible de tous, celui de génocide ! Les bien-pensants de France se chargèrent complaisamment de relayer ce mythe venu d’outre-Méditerranée afin de donner mauvaise conscience aux Français, dont la plupart d’entre eux n’ont pas vécu cette guerre, et à entrainer, peu à peu, les dirigeants français successifs sur la voie de l’expression d’un repentir officiel, lequel repentir transformerait définitivement les mensonges venus d’Alger en vérités absolues et officielles, ne devant surtout pas être remises en cause, sous peine de se voir être taxé de colonialisme, voire de racisme.
Les mensonges entourant la tragédie rwandaise relèvent de la même logique. Un régime arrivé au pouvoir par la force et dans le sang n’ayant de cesse d’essayer de légitimer son maintien au pouvoir en présentant à son peuple et à l’opinion mondiale une histoire largement réécrite. Depuis la prise de Kigali par les forces du Front Patriotique Rwandais, il y a exactement 23 ans, leur chef, l’actuel général-président Paul Kagame, fait tout son possible pour incriminer la France, coupable d’avoir entretenu des relations étroites avec le régime précédent, celui du président Juvénal Habyarimana. Rappelons tout de même ce dernier était, jusqu’en 1994, le pouvoir légitime et internationalement reconnu. Habyarimana, même s’il n’était pas un parangon de démocratie et de respect des droits de l’Homme, avait plutôt bonne réputation, du fait des efforts qu’il déployait pour le développement et pour la manière dont son gouvernement gérait l’aide internationale. La France n’a donc pas à rougir d’avoir entretenu des relations avec son régime. Il est historiquement aberrant de juger ledit régime à l’aune des crimes de masse commis après l’assassinat de président Habyarimana.
Depuis 1994, année après année, les mêmes accusations contre la France refont surface. Le plus souvent, il s’agit des mêmes vieilles allégations, recyclées, parfois présentées comme de nouvelles « révélations ». Comme pour la guerre d’Algérie, la présentation mensongère de ce qui s’est passé au Rwanda, fabriquée par les autorités de Kigali, est habilement relayée en France par des associations prétendant se battre pour la mémoire des victimes du génocide. Le but étant, là aussi, de convaincre l’opinion que les autorités françaises cacheraient un inavouable secret et que la France est bel et bien compromise dans la perpétration de crimes contre l’humanité.
Antoine de Saint-Exupéry est depuis longtemps l’un de mes auteurs favoris. Malheureusement, le patronyme de cet écrivain de talent, héros de la France Libre, est sali, de nos jours, par un journaliste se nommant lui aussi Saint-Exupéry et qui, depuis des années, tente de se faire un prénom grâce au génocide rwandais. Déjà en 2004, Patrick de Saint-Exupéry avait commis un pamphlet intitulé « L’inavouable », lequel pamphlet fut réédité en 2009 sous un nouveau titre : « Complices de l’inavouable ». Cet ouvrage se présentait comme une lettre adressée aux hommes politiques qui étaient au pouvoir en France au moment des massacres du Rwanda, les mettant directement en cause, sans avancer la moindre preuve. Cet ancien journaliste du Figaro semble avoir fait sienne la célèbre tirade communément attribuée – mais à tort – à Bazile, dans « le Barbier de Séville » de Beaumarchais : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ». Patrick de Saint-Exupéry vient de récidiver avec une pseudo « longue enquête » parue dans la revue qu’il dirige, nommée « XXI ». Ce journaliste prétend apporter une sensationnelle révélation : à la faveur de la déclassification de documents secret défense ordonnée par François Hollande, un haut-fonctionnaire – qu’il ne nomme pas – aurait « découvert » un document officiel donnant ordre aux forces françaises de l’Opération Turquoise de réarmer les vaincus de 1994, à savoir ceux qui venaient de massacrer les Tutsi et dont une grande partie avait fui en territoire zaïrois, après la chute de Kigali. La photocopie du soi-disant « document officiel » n’est bien sûr pas jointe à cette « longue enquête » qui ressemble davantage à une suite d’accusations sans preuves. Les grands médias français, du Monde au Figaro, sans oublier les principales radios du service public, se sont empressées de relayer les « révélations » de la revue XXI, sans la moindre précaution. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose !
Depuis 2003, j’ai beaucoup écrit sur la tragédie rwandaise, à tel point que je suis à présent découragé, ayant l’impression de devoir toujours reprendre les mêmes arguments face aux mêmes mensonges qui, régulièrement, refont surface dans nos grands médias. Chaque fois, je réaffirme que ce que l’on s’acharne à nous présenter comme étant la vérité ne correspond guère à ce qui s’est réellement passé au Rwanda entre 1990 et 1994. Oui, c’est vrai, des massacres de masse que l’on peut qualifier de « génocide » ont bien eu lieu dans ce malheureux pays. Mais les perpétrateurs appartiennent aux deux camps, à celui du vaincu bien sûr, mais aussi à celui du vainqueur. De nombreux journalistes étrangers étaient présents à Kigali lors des épouvantables « cent jours » de folie qui suivirent l’attentat contre l’avion transportant les présidents du Rwanda et du Burundi, le 6 avril 1994. Ils ont pu témoigner de l’ampleur des atrocité commises par les milices hutu à l’encontre des Tutsi ou de ceux que les médias ont qualifié de « Hutu modérés ». Malheureusement, aucun correspondant de presse, aucun reporter, ne se trouvait dans les territoires conquis par les forces du Front Patriotique Rwandais. Or, ces dernières, au gré de leur fulgurante avance, ont également commis des massacres de masse. Cet aspect du génocide fut quasiment occulté par les grands médias. Ces derniers ont même présenté des victimes du FPR comme ayant été assassinées par les paramilitaires hutu. Ce fut en particulier le cas des cadavres charriés par la rivière Kagera jusqu’au lac Victoria, en Ouganda. Des images atroces de corps ballonnés et les mains liées dans le dos avaient été montrées par les télévisions et les journaux du monde entier en affirmant qu’il s’agissait de Tutsi massacrés par les milices hutu et jetés à la rivière. Or, il aurait suffi de jeter un coup d’œil à une carte du Rwanda pour s’apercevoir qu’il s’agissait d’un mensonge : la Kagera ne coulait pas dans le territoire encore contrôlé par le pouvoir hutu. Son cours se trouvait en effet dans la zone déjà occupée par la rébellion du FPR. Mais sans doute les envoyés spéciaux n’avaient-ils pas de cartes du Rwanda à leur disposition !
Il semblerait que chaque fois que Paul Kagame fait face à des difficultés, des accusations contre la France resurgissent. En France, une enquête est diligentée depuis des années au sujet de l’attentat contre le Falcon présidentiel qui coûta la vie à deux chefs d’Etat et à leurs entourages respectifs, ainsi qu’à l’équipage, composé de militaires français. Cette enquête a connu des hauts et des bas, au gré des pressions politiques et des changements de juges d’instruction. Il semblerait qu’elle soit à présent sur le point d’aboutir et que ses conclusions confirment ce que nombre d’observateurs ont toujours suspecté, à savoir que les missiles furent bel et bien tirés par des éléments du FPR, sur ordre de Paul Kagame. Ce dernier a trop longtemps voulu faire diversion avec une thèse selon laquelle les responsables de l’attentat auraient été des « extrémistes hutu », laquelle thèse fut pendant des années relayée par les sympathisants de Kagame en Europe ainsi que par nos grands médias. Pourquoi diable est-ce que Kagame chercherait à faire porter par d’autres la responsabilité de la mort de son ennemi, Juvénal Habyarimana ? Tout simplement parce que cette mort fut l’élément déclencheur du génocide. Le régime du défunt président fut décapité et grandement déstabilisé par cet attentat. Ce qui permit aux plus radicaux de donner libre cours à leur haine des Tutsi, vus comme des soutiens du FPR, et qui encouragèrent les massacres. Paul Kagame avait fait un calcul parfaitement cynique. Il savait que, dans les circonstances qui prévalaient au début de 1994, il ne pourrait l’emporter ni politiquement, ni militairement. Or, Habyarimana avait accepté, pour sortir de la crise, la tenue d’élections ouvertes à tous les partis, y compris le FPR. Kagame était conscient que son mouvement, importé de l’Ouganda voisin, n’était pas enraciné dans le pays et ne jouissait donc que d’un très faible soutien populaire. Son groupe armé transformé en parti n’aurait donc eu aucune chance de l’emporter face à des partis mieux implantés. Il lui fallait à tout prix faire capoter le processus de paix en cours depuis les accords d’Arusha et reprendre les hostilités, après avoir porté un coup fatal à l’adversaire. Quel meilleur coup pouvait-il porter que de faire assassiner le chef de ses ennemis ? C’est ce qu’il fit, sachant fort bien que ce meurtre déstabiliserait le pouvoir de Kigali et les Forces Armées Rwandaises. Il savait aussi qu’un tel acte ne pourrait qu’occasionner de sanglantes représailles à l’encontre de sa propre communauté, la communauté tutsi. Mais il avait compris que de telles représailles augmenteraient encore le chaos dans le camp gouvernemental, tout en légitimant sa prise de pouvoir ultérieure. En effet, depuis 23 ans, les grands médias présentent régulièrement Paul Kagame comme étant l’homme qui mit fin au génocide, alors qu’il est celui-là même qui, pour des raisons d’ambition et de calculs politico-militaires, l’a déclenché !
Il est un autre facteur qui pourrait expliquer cette nouvelle vague d’accusations contre la France. L’homme fort de Kigali chercherait à « tester » les nouvelles autorités françaises, issues des dernières élections. Il l’avait déjà fait en 2007, après l’élection de Nicolas Sarkozy. A l’époque, il bénéficiait de circonstances très favorables, puisque l’un de ses soutiens inconditionnels, Bernard Kouchner, avait été nommé ministre des affaires étrangères. Cela avait permis d’organiser une visite du nouveau président à Kigali, durant laquelle ce dernier avait tenu des propos ambigus, tout en étant photographié en compagnie d’officiers rwandais recherchés par la justice française dans le cadre de l’enquête sur l’attentat contre l’avion d’Habyarimana. En 2012, après l’élection de François Hollande, Kagame avait à nouveau testé les autorités françaises. Là encore, il avait la sympathie active d’un membre éminent du gouvernement, en la personne de la garde des sceaux Christiane Taubira. Le test de 2017 aura-t-il les effets escomptés par le dictateur rwandais ? Rien n’est moins sûr. Certes, il n’a pu qu’être encouragé par les propos tenus à Alger par celui qui n’était encore que candidat à l’élection présidentielle, au sujet des crimes contre l’humanité du colonialisme français. Emmanuel Macron était âgé de 16 ans seulement lors du génocide de 1994. Que sait-il réellement de cette tragédie ? Ne serait-il pas possible de l’amener, grâce à ces nouvelles allégations, à exprimer le repentir de la France au sujet de ses prétendus crimes au Rwanda ? Je suis persuadé que Paul Kagame, en fin stratège, a fait un tel calcul. J’espère cependant que l’équipe du nouveau président français comprend quelques personnes sachant ce qui s’est réellement passé en 1994 et qui conseilleront utilement Emmanuel Macron, afin que le nouveau président ne tombe pas dans le piège tendu par le plus grand criminel encore au pouvoir.
« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! » Les semaines et les mois qui viennent nous révèleront si cette tirade peut s’appliquer aux relations franco-rwandaises.
Hervé Cheuzeville, 5 juillet 2017
Source : http://cheuzeville.net
[1] Hannibal Barca, l’Histoire véritable et le mensonge de Zama, Apollonia Editions, par Abdelaziz Belkhodja.
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