Itinéraire d’une imposture : Patrick de Saint-Exupéry et le génocide rwandais
« Cet article est paru dans la « Revue Défense Nationale » et est rédigé par Maître Véronique TRUONG, avocate au Barreau de Paris.
Cet article concerne le (pseudo) journaliste Patrick de Saint-Exupéry qui accuse depuis des années la France et l’armée française de participation au génocide et tout récemment encore d’avoir voulu réarmer les FAR. Or, ce qu’il se garde bien de dire c’est qu’il a été condamné définitivement en 2015 pour diffamation et tout récemment encore, toujours pour le même motif, le 11 juillet 2017 par la Cour de Cassation. Nonobstant ces condamnations, il reprend imperturbablement ses accusations dénuées de tout fondement.
Et il faut bien constater qu’il fait des émules puisque Colette Braeckman a repris tout récemment dans un article publié sur son blog les pseudo affirmations de Patrick de Saint-Exupéry.
Les attaques qui se multiplient depuis quelque temps dans la presse française ne sont pas fortuites. C’est le contre-feu allumé par Kigali pour tenter de faire pression sur le nouveau président français, afin de l’amener à faire classer le dossier sur l’attentat du 6 avril 1994.
Le Professeur Lugan explique cela de façon lumineuse dans un article paru sur son blog .
MG. »
Patrick de Saint-Exupéry a publié dans la Revue XXI un nouvel article titré « Réarmez-les ». C’est qu’il y a du nouveau dans le dossier du génocide rwandais, et il ne révèle pas moins de l’existence d’une pièce occulte, « un ordre » qui serait signé par l’Elisée, et violerait l’embargo sur les armes voté par l’ONU le 17 mai 1994, un mois après le début du génocide : « Un ordre stupéfiant : fournir les armes aux assassins ». Il nous explique: ainsi que « sous couvert de (l’opération) Turquoise un autre ordre est donné : réarmer les assassins. Oui les réarmer. C’est stupéfiant.
Cet article a bénéficié, avant même qu’il ne soit publié, d’un large effet d’annonce, amplifié jusque: dans les pages du journal Le Monde ou de Libération, sans parler des radios qui ont immédiatement ouvert leur antenne à Patrick de Saint-Exupéry, sans contradiction ni même distanciation, tant il semblait acquis que l’article annoncé allait mettre au jour des pièces nouvelles et accablantes pour les politiques français, et livrer des preuves de leur implication dans le génocide du printemps 1994.
L’article de Patrick de Saint-Exupéry, serait donc l’ultime réquisitoire de: celui qui se présente comme le spécialiste de la question des grands lacs, et dont la mission depuis plus de vingt ans semble être de traquer la responsabilité française dans le génocide rwandais. D’où notre déception lorsque l’article fut enfin disponible. Car ces nouvelles preuves accablantes s’avèrent fort minces : témoins fantômes et anonymes, notes manuscrites en marge: d’instructions décrites de manière obscure, renvoyant elles-mêmes à d’autres instructions antérieures dont on ne saura rien. La plume se fait alors plus embarrassée, d’autant qu’on ne sait pas si le journaliste a recueilli lui-même le témoignage… Le lecteur ne peut pas dater ni dénombrer les prétendus ordres, et après trois lectures attentives et en dépit de l’effet hypnotique du style incantatoire de l’ensemble, la question demeure : où donc est la trace de l’ordre de réarmer ?
Mais peut-être s’agit-il tout simplement pour Patrick de Saint-Exupéry de répondre à l’analyse, livrée par Pierre Péan dans un récent 1 hebdo, accompagnée de celle d’Hubert Védrine. On pourrait le penser puisqu’il en fait état en p. 61 de la Revue XXI. Tout n’est pas négatif pourtant, puisque ce document a le mérite de constituer la seule réponse à ce numéro du 1 hebdo, lequel n’aura bénéficié d’aucun relais dam une presse main stream, manifestement tétanisée par le sujet et largement sous influence. Quoi qu’il en soit, ces deux documents du 1 hebdo traitaient de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Habyarimana et de la procédure pénale en cours, dont chaque frémissement suscite de nouvelles accusations de complicité de génocide.
Mais sans doute le recours à ces annonces fracassantes constitue-t-il pour l’auteur le seul moyen de revenir dans ce débat. Passons rapidement sur l’introduction de l’article qui fait référence aux travaux de Hilberg sur la Shoah, procédé douteux par lequel il entend confisquer toute possibilité de critique. Mais cet artifice ne peut prendre, compte tenu des manipulations qui jalonnent une mystification vieille de dix ans. Ce que les commentateurs taisent et que Monsieur de Saint-Exupéry se garde bien de dire à ses lecteurs et auditeurs, c’est qu’il a déjà été condamné pour diffamation à raison de ces mêmes accusations qui font l’objet d’un curieux recyclage, après une période de retraite purement tactique. Car comment oublier la violence des accusations portées en 2004 à l’occasion de la publication de son livre, L’inavouable, puis sa réédition en 2009 sous le: titre La France au Rwanda. Complices de l’inavouable, dont la couverture était composée de la liste des noms des militaires et personnalités politiques dénoncés à la même époque par le rapport officiel du gouvernement rwandais, dit Rapport Mucyo – mais sans doute n’était-ce là qu’une coïncidence.
Or, la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 18 décembre 2014 avait retenu le caractère diffamatoire de cette liste de noms jetés en pâture au public, même, relevait la Cour, à ceux qui ne l’achèteront ni ne le liront mais le verront sur les tables des libraires, en tant qu’elle portait une accusation de complicité dans la perpétuation du génocide rwandais. Surtout, la Cour excluait la bonne foi de Patrick. de Saint-Exupéry en estimant insuffisante la base factuelle qui aurait pu autoriser l’auteur à une telle accusation.
Il faut dire que la Cour de cassation, dans un arrêt précédent du 14 janvier 2014, avait largement tranché non seulement le droit mais les faits, en estimant que les termes de deux notes du général Christian Quesnot, chef d’état-major particulier du président Mitterrand, en date des 6 et 24 mai 1994, dans lesquels Patrick de Saint-Exupéry voulait lire la preuve de cette culpabilité française qu’il traque depuis vingt ans, étaient insuffisants pour établir une telle complicité. Il est aujourd’hui frappant de constater que la note du 6 mai 1994 est reprise par Monsieur de Saint-Exupéry, sans que cette condamnation semble lui poser problème, et accompagnée d’une interprétation toute personnelle mais qui se propose comme une lecture verbatim, ce qui laisse pour le moins perplexe. Il est tout aussi frappant que les médias de la presse écrite et radiophonique ne lui rappellent pas cette condamnation, ni surtout les attendus des Cours qui renvoyaient l’auteur à mieux étudier la question rwandaise.
Relevons toutefois que s’il pointe de nouveau la responsabilité des politiques, il n’est plus question de mettre en cause les militaires français. Bien au contraire, ceux-ci auraient fait valoir, dit-il, un droit de retrait. Mais les journalistes ne relèvent pas ce changement de positionnement, alors qu’ils devraient se demander pourquoi Monsieur de Saint-Exupéry ne parle plus d’une responsabilité militaire depuis sa condamnation. Que valent dans de telles conditions ces accusations qui reprennent inlassablement les mêmes vagues éléments auxquels il prétend donner corps. Aujourd’hui, ce sont un témoin indirect, une note et une mention attribuée sur un document à Hubert Védrine, renvoyant à d’autres notes dont il ne nous dit rien, éléments pour le moins ténus mais qui ont déjà convaincu des commentateurs largement conditionnés depuis plus d’une décennie d’accusations contre la France, sans même voir que ce que Monsieur de Saint-Exupéry nous présente comme les « ordres » de réarmement des Hutus annoncés dans le titre, se réduit en fin d’article à une simple « trace ».
Monsieur de Saint-Exupéry soutiendra-t-il longtemps ces accusations ? Rien n’est moins sûr, pourvu qu’on le lui demande en justice. Sans préjuger du contenu des notes à déclassifier, on peut prédire sans trop s’avancer que, comme par le passé, Monsieur de Saint-Exupéry, sans daigner se déplacer aux audiences pour ne pas à avoir à répondre à des questions gênantes, fera plaider qu’il n’a jamais accusé personne de complicité de génocide mais de déni, tout en se défendant d’avoir voulu rédiger un essai.
On voit qu’il sait le temps venu se défausser de ses fausses affirmations et de ses mystifications dont il n’est pas dupe lui-même. Cette piètre échappatoire devant les juges, là où le débat est contradictoire, et somme toute cette radicale absence de courage intellectuel, ne cadre pas avec les accents militants des accusations qu’il porte depuis deux décennies contre la France dans la presse. De la part d’un ancien prix Albert Londres, on attend un minimum de déontologie, et des vérifications même sommaires de ses sources, et non de pseudo-investigations affranchies au fil des ans de toute contrainte de vraisemblance.
Il existait au XVIII siècle un art de la calomnie, que l’historien Robert Darnton a disséqué, dont se prévalaient des journalistes déclassés reconvertis en maîtres chanteurs, de l’exil londonien où la nécessité, autant que la police des lettres du roi, les avait précipités. Ces textes, qu’on hésite à qualifier de libelle parce que ce dernier exercice reste exigeant, les liens entre la fiction, le fantasme et le réel y étant difficiles à déceler, restaient pourtant des textes à clef. L’article signé de Patrick de Saint-Exupéry dans les colonnes de la Revue XXI ne relève même pas de ce sous-genre, en ce qu’il livre immédiatement et trop platement l’inanité de ses prétendues énigmes.
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