La déportation de Munyakazi est un échec moral et une occasion qui conforte P. Kagame dans la chasse à ses opposants politiques
L’article ci-après a été rédigé à partir d’un billet de Bill Zlatos, un écrivain indépendant vivant à Ross, USA.
Léopold Munyakazi était enseignant dans un lycée de banlieue de la ville de Pittsbutgh. Le 14 juin 2017, il a été condamné à perpétuité avec isolement. Ses amis et connaissances sont tombés de haut car tout le monde sait que cette lourde sentence a été prise sur base de fausses accusations.
Munyakazi a été déporté le 28 septembre 2016 au Rwanda après une bataille de près de 10 ans pour obtenir l’asile politique aux États-Unis. Il avait des inquiétudes réelles car il venait de sortir de prison pour des accusations similaires de génocide. Ses rêves d’avoir échappé au dictateur rwandais se sont évanouis.
Le cas de Munyakazi n’est pas seulement une perte pour lui et sa famille mais également la liberté d’expression et la liberté académique en prennent un coup, sans parler de la situation des autres opposants politiques qui affrontent Paul Kagame et qui risquent donc d’être intimidés par ce précédent de déportation inique.
Une des amis de M. Munyakazi, Christine Frechard, qui vit à Highland Park, lui a parlé avant qu’il ne monte dans l’avion devant l’emmener au Rwanda. Elle témoigne : «J’ai rencontré deux héros dans ma vie, et il en est un ». Un autre ami de Munyakazi, affligé par cette décision américaine, est le poète et dissident chinois Huang Xiang.
Il y a deux ans, le Rwanda a publié une liste de suspects de génocide vivant à l’étranger, y compris M. Munyakazi, et a autorisé la confiscation de leurs biens. Timothy Longman, un érudit africain de l’Université de Boston, a déclaré que certains suspects avaient été impliqués dans un génocide, mais beaucoup ne l’étaient pas.
Le cas de M. Munyakazi montre à quel point le gouvernement poursuit les Rwandais à l’étranger, accusant beaucoup d’entre eux de génocide pour pouvoir s’accaparer de leurs biens immeubles et de leurs propriétés », a écrit M. Longman dans un courrier électronique.
Il est dit que le président Paul Kagame a aidé à arrêter le génocide, à rétablir l’ordre et à réduire la corruption. Néanmoins, le Rwanda, sous sa direction, a tué ou essayé de tuer un nombre incalculable de ses compatriotes, au Rwanda ou à l’étranger, selon le Globe and Mail de Toronto. Cette violation massive des droits de l’Homme a provoqué des manifestations en 2011 aux Etats-Unis en réaction à la décision de l’Université Carnegie Mellon d’ouvrir un campus dans la capitale rwandaise, Kigali.
Munyakazi, 67 ans, est un Hutu qui a épousé une Tutsi avec laquelle il a cinq enfants. Il parle anglais, français et kinyarwanda et détient un doctorat en linguistique et en phonétique. Il a été emprisonné sans accusations comme bon nombre de Hutu après le génocide. Libéré cinq ans plus tard, il a été autorisé à enseigner l’université nationale du Rwanda. Entre-temps il a demandé un passeport et l’a obtenu. C’est avec ce document de voyage qu’il a pu sortir du pays et demander l’asile politique aux États-Unis.
Munyakazi est arrivé à Pittsburgh en 2004 et a d’abord vécu et travaillé à Highland Park en tant que serveur. En 2005-2006, il a enseigné le français dans le district scolaire des Highlands et a ensuite enseigné à Montclair State University dans le New Jersey et Goucher College dans les environs de Baltimore.
C’est dans cette université que M. Munyakazi lors des débats publics, a contesté la version officielle du génocide de 1994. M. Munyakazi l’appelait une guerre civile et un fratricide, mais pas un génocide. Le Rwanda l’a tout de suite accusé de négationnisme. Paul Kagame a actionné ses lobbies aux USA et une équipe de l’émission « reality show » de la TV NBC a été dépêché à Goucher pour demander pourquoi le collège avait embauché un tueur. Goucher l’a suspendu, et les États-Unis ont entamé des formalités de sa déportation.
Munyakazi a clamé son innocence en arguant entre autres qu’il a sauvé cinq Tutsi en cherchant pour eux de faux documents. Plusieurs intellectuels rwandais qui ont croisé M. Munyakazi pendant le génocide, clament son innocence.
« Je ne peux pas imaginer quelqu’un [au Rwanda], libéré de la prison, engagé par l’université dirigée par l’État, c’est qu’alors personne ne l’accusant de rien », a déclaré Noel Twagiramungu, professeur à l’Université du Massachusetts Lowell et ancien étudiant de M. Munyakazi. « Les nouvelles accusations ont été fabriquées, comme pour lesquelles il a été arrêté en 1994. Le motif serait qu’il est considéré comme un opposant politique par les autorités rwandaises ».
Twagiramungu a déclaré que le gouvernement rwandais surfe sur les émotions causées par le génocide pour inventer des accusations visant à faire taire les critiques en emprisonnant les opposants politiques. Ancien dirigeant d’un groupe des droits de l’homme au Rwanda, Twagiramungu a fui le pays après des menaces de mort.
Susan M. Thomson, professeure agrégée d’études sur la paix et les conflits à l’Université de Colgate, appelle M. Munyakazi victime d’une « campagne de frottis » et considère que sa déportation est un « échec moral ». Auparavant, le Rwanda avait envoyé des menaces de mort voilées à Mme Thomson à cause d’un livre critique qu’elle avait écrit.
Les défenseurs des droits de l’homme craignent que la déportation de M. Munyakazi n’encourage le Rwanda à fabriquer de fausses accusations contre des dissidents.
« Pourquoi s’en empêcherait-il si cela semble fonctionner? », a écrit le professeur Filip Reyntjens de l’Université d’Anvers dans un courriel. Il est un des universitaires déclarés « persona non grata » après un mémo « modérément critique » en 1994.
L’organisation sans but non lucratif Freedom House classe le Rwanda comme « non libre » car il bafoue les libertés d’expression et les libertés civiles. En raison des doutes sur le fait que des procès équitables ne peuvent pas avoir lieu au Rwanda, la France et la Grande-Bretagne refusent d’extrader les suspects accusés de crimes par le Rwanda. Seuls les États-Unis et le Canada confortent le Rwanda dans sa hargne contre les opposants politiques.
Les nouvelles du verdict de Munyakazi ont attristé Ofelia Calderon, un avocat de l’immigration à Fairfax, Virginie, qui l’a défendu gratuitement. Sa déportation continue à lui ronger le cœur. Elle se demande ce qu’elle aurait pu faire pour le sauver.
Avant que le tribunal prononce sa peine d’emprisonnement, Ofelia Calderon a prédit un sort sombre pour son client: « Il aura un faux procès, puis il sera reconnu coupable, puis il sera torturé et tué », a déclaré madame Calderon. « Il sera tué soit officiellement, soit officieusement ».
Selon un article paru l’an dernier, les autorités pénitentiaires rwandaises lui auraient injecté un poison qui affaiblit son raisonnement. Le résultat, conclut le journal : l’intellectuel est devenu affable, passe son temps à « danser comme n’importe qui, qui souffre mentalement ».
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