Paul Kagame, l’homme politique de l’année 2018 ?
Introduction
Rarement dans l’histoire politique de l’Afrique et même du monde moderne l’on aura vu un chef d’Etat monopoliser l’espace médiatique, politique et diplomatique de la région et du monde comme vient de le réaliser le général Paul Kagame du Rwanda durant l’année 2018 qui vient de s’écouler.
Aussi étonnant et extraordinaire que ça puisse paraître, ceci s’explique pourtant par le souci de ses créateurs et protecteurs de le redynamiser et de lui donner un souffle nouveau pour qu’il reste leur agent zélé et intéressé dans la région car il présentait des signes inquiétants d’essoufflement où ses flancs se dégarnissaient quant à la défense à outrance de sa dictature.
Failles et brèches dans son mur de défense apparues en 2017
Il y a eu d’abord ce tripatouillage de la Constitution qu’il avait lui-même dictée en 2003 mais dans lequel il avait omis d’y insérer la possibilité qu’il puisse être président à vie. Il a corrigé cette faute s’est fait élire à un troisième mandat de 7ans avec plus de 98% des voix et en inculpant ceux qui avaient osé le défier dans cette mascarade électorale.
Il y eu ensuite l’échec de l’opération d’installer au Burundi un régime « à la rwandaise ». Paul Kagame était en effet chargé, comme fer de lance, d’installer au Burundi un régime identique à celui qui règne sur le Rwanda depuis 1994. Ce malheureux pays devait être victime d’une agression armée et au passage y provoquer des tueries de masses vite qualifiées de « génocide ». Les conquérants qui prendraient alors le pouvoir seraient présentés comme des « sauveurs venus pour arrêter le génocide ». Dès lors le pouvoir qu’ils installeraient à Bujumbura serait non seulement minoritaire et répressif envers la majorité, mais jouirait d’une impunité totale de la part de la communauté internationale. Exactement comme ce fut le cas des éléments tutsi de l’armée ougandaise qui ont envahi le Rwanda en 1990 et qui se sont emparés du pouvoir en1994 en brandissant « l’arrêt d’un génocide ». Ce plan macabre pour le Burundi semble (pour l’instant !) avoir échoué et Paul Kagame en a perdu les plumes.
« Last but not least », il y a enfin l’activité de l’opposition tant externe qu’interne qui n’ a pas baissé les bras mais a montré, après 2017, sa capacité de mobilisation de l’opinion et même a fait ses entrées dans les milieux des ONG et des médias qui généralement n’écoutent que Paul Kagame. On peut citer la percée médiatique et diplomatique de la coalition de cinq partis d’opposition qui se présentent sous l’acronyme P5 ou encore le courage (ou la témérité c’est selon…) et la ténacité de deux dames : Victoire Ingabire et la jeune Diane Rwigara.
C’est face à ce que ses maîtres et conseillers, que sont les lobbies occidentaux qui contrôlent les médias et influencent les politiques étrangères des Etats ou entités qui ont créés et soutiennent Kagame, ont appelé « des ratés », qu’ils lui ont concocté un programme pour 2018 susceptible de le relancer et de le maintenir comme l’homme fort et incontournable de l’Afrique.
Chantiers
Présidence de l’Union Africaine
Pour ses créateurs, conseillers et maîtres que sont les lobbies occidentaux, Paul Kagame devait, pour 2018, resplendir sur les flots de l’Afrique tumultueuse. Pour cela, il devait être à la barre. Rien n’est plus simple que de l’amener au gouvernail du navire. Ce fut chose faite dès janvier 2018. Ce faisant, ses maîtres lui assuraient de trouver ainsi des rentrées pour son KCC (Kigali Convention Center_centre de conférences) budgétivore et le plus cher de la région. Il pourra ainsi y convoquer des réunions intempestives et autres sommets-bidons en sa qualité de président de l’Union Africaine. Mais au-delà de cette considération économique, ses conseillers et maîtres entendaient qu’il pèse, au cours de sa présidence, sur les orientions et les décisions de l’Union Africaine pour qu’elles soient toujours dans le sens que l’entendent les mêmes maîtres (UE, USA, GB, Israël,…).
La présidence de l’UA permettrait à Paul Kagame de glisser sur les dossiers compromettants et lui garantirait la continuité de l’impunité pour ses crimes contre la paix ou économiques internationaux : par exemple les accusations étayées de preuves de la déstabilisation du Burundi par les forces qu’ils hébergent conjointement avec la Belgique, le pillage de la RDC dont les ressources illégalement retirées des provinces occupées des Kivu sont chargées à Kigali comme si elles étaient produites au Rwanda.
Hold-up sur l’OIF
L’on se souviendra comment le jeune président français Emmanuel Macron, qui était au fait de ce qu’est réellement Paul Kagame car étant des milieux de ceux qui l’ont créé et l’entretiennent, lui a offert la tête de la Francophonie. Il n’a pas hésité à confier le sort de cette organisation censée promouvoir la langue française, la culture démocratique dans ses états membres, à un pays qui venait de bannir la langue française dans son enseignement et dont le régime représenté par la Secrétaire Générale de l’OIF ainsi nommée, est une des pires dictatures du continent.
Paul Kagame, toujours bien conseillé, a exigé et obtenu, l’enterrement du dossier de l’attentat terroriste du 06 avril 1994 qu’il a commis et qui a déclenché le génocide mais ayant aussi coûté la vie à trois citoyens français dont les familles demandent justice depuis 25 ans mais en vain. Sans parler de deux chefs d’Etats africains et leurs suites qui, eux, ne pèsent de toute façon pas lourds dans ce dossier devant les français.
Faire baisser la pression de l’opposition
Dans la foulée de la main basse sur l’OIF, pour donner le change et impressionner, et pourquoi pas les retourner, Paul Kagame a libéré par surprise plusieurs prisonniers dont une femme politique de taille, Madame Victoire Ingabire Umuhoza, présidente du parti FDU-Inkingi et un chanteur-compositeur de renom Kizito Mihigo. Il va ensuite libérer la jeune opposante Diane Rwigara et sa maman Adeline Rwigara qui venait de passer une année en prison après la tentative de Diane de se présenter contre Paul Kagame à l’élection présidentielle d’août 2017, tentative alors considérée par le régime comme « une atteinte à la sécurité de l’Etat ». L’affaire sera définitivement close quelques semaines plus tard quand une cour prononcera l’acquittement pour ces deux personnes et leurs coaccusés.
Toujours selon ses créateurs et conseillers, Paul Kagame devrait profiter de la présidence tournante de l’UA pour banaliser, et au mieux diaboliser son opposition qui s’avère de plus en plus déterminée et cohérente dans ses revendications. C’est dans ce cadre que les tabloïds contrôlés par ses services secrets insulteront bassement la ministre des Affaires étrangères de l’Afrique du Sud quand elle a révélé avoir reçu un des principaux leaders de l’opposition ayant trouvé asile dans ce pays. Quant aux ténors de sa diplomatie, ils s’empressaient de souligner que Lindiwe Sisulu n’avait pas à évoquer un P5 et encore moins envisager des pourparlers entre ce groupement de partis et le régime de Kigali.
Pour diaboliser ses opposants, Paul Kagame n’avait pas à chercher loin. Ses puissants lobbies, qui contrôlent les rouages des organisations internationales comme l’ONU, ont mandaté des « experts » qui devaient conclure au caractère « terroriste » des organisations et personnalités que désignerait le régime de Kigali. Aussitôt dit, aussitôt fait ! La coalition P5, qui regroupe cinq partis démocratiques dont certains ont pignon sur rue dans les capitales occidentales, seraient déclarées par l’ONU « mouvement terroriste ».
De même, le parti RNC ainsi que son leader Kayumba-Nyamwasa réfugié en Afrique du Sud, seraient désormais considérés par l’ONU comme « terroristes » et traités comme tel. Ainsi donc, avec la fin de l’année 2018, Paul Kagame comptait voir s’éloigner le spectre du dialogue avec son opposition, bien mieux s’ensuivrait la neutralisation avant l’élimination de cette opposition désormais qualifiée de « terroriste » par l’ONU sur sa demande.
Sur le plan personnel, assurer un avenir doré à sa progéniture
L’on se souviendra que dans les révélations des « Panama Papers » concernant les fortunes cachées dans des paradis fiscaux, apparaissait le nom d’un rwandais sur le
compte de qui étaient déposés des centaines de millions de dollars. Rien d’étonnant en cela sauf que ce rwandais se trouvait être un jeune étudiant de 24ans encore inscrit au Massassuchett Institute of Technology (MIT) aux USA et donc logiquement non encore sur le marché du travail et des affaires.
Les masques vont de tomber quand en ce 28 décembre 2018, Paul Kagame a donné officiellement la main de sa fille Ange à Billy Ndengeyingoma, un jeune homme à sa hauteur, – au propre comme au figuré -, le même jeune milliardaire signalé dans « Panama Papers » auparavant. On ne cherchera pas à savoir si la cagnotte de quelques centaines de millions de dollars accumulés sur le compte du jeune Billy au Panama proviennent simplement des restes de l’argent de poche qu’il recevait de son papa Cyrille Ndengeyingoma, ou si son futur beau-père Kagame lui refilait un chèque à son anniversaire ou à Noel !
Influer sur les résultats des élections en RDC quitte à jouer les prolongations
Comme baroud d’honneur Paul Kagame qui doit céder la présidence de l’UA à l’égyptien Sissi n’entend pas s’effacer de la scène sans influer sur l’avenir proche de la RDC après les élections du 30 décembre 2018. Aussitôt les résultats provisoires annoncés, Paul Kagame use de sa position à l’UA pour relayer les positions de l’Union Européenne à ce sujet.
L’on se souviendra que cette Union Européenne, spécialement la Belgique, avait choisi et imposé Martin Fayulu à toute l’opposition politique à part à Félix Tshisekedi qui a rompu le pacte de Genève au dernier moment. Pour l’UE, le prochain président serait donc Martin Fayulu ou alors ce serait le rejet total et donc le chaos si c’était le candidat de la majorité présidentielle qui arrivait en tête. Quelle ne fut pas sa déception quand ce fut le troisième larron qui arriva en tête !
C’est de cette déception que Paul Kagame fut chargé par l’Union Européenne d’exprimer, avant de quitter la présidence de l’UA. Car, il faut le souligner, depuis quelques années, l’UA est réduite en une caisse de résonnance des désidératas de l’ONU (plus précisément de certains membres du Conseil de Sécurité) et surtout de l’Union Européenne qui a ainsi recolonisé, par voie détournée, l’Afrique. On le voit avec des présidences en exercice de cette Union Africaine de certains (on ne citera pas de noms) comme Paul Kagame du Rwanda qui ont été créés et promus par ces puissances ou qui étaient, avant leur accession au pouvoir, leurs agents et qui le restent.
C’est ainsi Paul Kagame convoqua, en catastrophe, une réunion à Addis Abeba le 17/1/2019 et à l’issu duquel, un communiqué bizarre fut rendu public. Paul Kagame demande tout simplement que puisque les résultats provisoires ne donnent pas le candidat de l’UE Martin Fayulu gagnant, la Cour Constitutionnelle suspende la proclamation des résultats définitifs en attendant son passage à Kinshasa pour leur dire quoi faire. Il semble que la plus haute juridiction de la RDC n’ait même pas prêté attention à cette plaisanterie de mauvais goût puisque le 19 janvier 2019, elle a déclaré Felix Tshisekedi élu président de la République Démocratique du Congo sans attendre l’arrivée à Kinshasa du maître du Rwanda et de l’Union Africaine qu’est Paul Kagame.
Bilan et leçons à tirer
Le bilan de l’année 2018 pour Paul Kagame est mitigé. Il a marqué des points dans quelque dossiers, dans d’autres il devra confirmer et dans certains, il s’est dégarni ou a tiré sa dernière cartouche.
Dans tous les cas, nous pouvons en tirer quelques leçons : depuis 1990, dans la crise rwandaise, les fondamentaux restent :1) Infantilisation des peuples africains : ce sont les puissances et acteurs extérieurs qui tirent les ficelles en utilisant leurs pions comme Kagame. 2) Pas de justice mais « deux poids deux mesures » ; exiger la transparence dans les élections en RDC ou la limitation des mandats au Burundi mais acclamer les 99% de Paul Kagame ou financer son référendum pour une présidence à vie. 3) Une dictature n’est jamais recyclable d’elle-même, mais est à renverser. 4) Le FPR de Paul Kagame n’est pas une fatalité pour le peuple rwandais.
Bruxelles, le 20 janvier 2019
Emmanuel Neretse
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