Analyse de la thèse de doctorat de Jean Damascène Bizimana, secrétaire exécutif du CNLG

Monsieur BIZIMANA Jean Damascène est connu pour ses propos extrémistes, outranciers, voire racistes, sur la société rwandaise. Pourrait-on dès lors lire les prémisses de tels débordements dans sa thèse de doctorat ?  

RAPPORT (post quem) SUR LA THESE soutenue  publiquement par Jean Damascène BIZIMANA  à l’Université de Toulouse I, Faculté de Droit sur «La contribution du Tribunal Criminel International pour le Rwanda à l’édification de la justice pénale internationale», le 13 février 2004, en vue de l’obtention du grade de Docteur en droit

                    Sous la direction de Jean-Marie CROUZATIER

Membre du jury :

1. GAUDUSSON Jean du Bois de, Professeur, Université de Bordeaux IV
2. TERPAN Fabien, Professeur, Université de Toulouse III
3. MARTIN Pierre-Marie, Professeur, Université de Toulouse I
4. JUROVICS Yann, Maître de Conférences, Université d’Amiens,
ancien juriste à la Chambre d’appel TPIR/TPIY
5. CROUZATIER Jean-Marie, Professeur, Université de Toulouse I

 

La thèse de Mr. Jean-Damascène BIZIMANA se propose d’aborder le problème de la création d’une justice pénale internationale à travers l’exemple du TPIR sur le Génocide rwandais, ce sujet étant éminemment controversé, beaucoup de personnes trouvant une telle justice rarement équitable, certains la qualifiant même de justice des vainqueurs.   Le but de l’auteur est de montrer comment « le TPIR a mis en œuvre les conditions de possibilité d’une justice pénale internationale indispensable à la paix, à la sécurité et au progrès de l’humanité ». L’auteur de la thèse, à travers l’analyse des acquis et des lacunes du TPIR, cherche à montrer que la justice pénale internationale existe bel et bien mais qu’elle est encore balbutiante et qu’elle a encore du chemin à faire. Il s’agirait donc « d’une juridiction internationale indépendante et impartiale » qui jugerait tous les coupables, contrairement aux Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo qui n’ont fait que juger les vaincus.

 

C’est à ce niveau qu’un doute s’installe quant à l’impartialité de Jean-Damascène, qui, comme tous les Rwandais, fait partie prenante du drame rwandais : il est né là-dedans, comme Obélix dans la potion magique. Sera-t-il vraiment neutre et impartial ? Cette crainte est renforcée par cette précaution prise par l’Université de Toulouse I qui avertit que «l’Université n’entend ni approuver ni désapprouver les opinions personnelles du candidat » ! C’est vraiment inhabituel et inquiétant ! Pourquoi tant de précautions ? On se rassure un peu car trois pages plus loin, le candidat cite le Psaume 84,2 qui affirme qu’ «Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent ». Ainsi soit-il, pourrions-nous dire, du moins si l’auteur suit vraiment ces préceptes!

 

L’ouvrage présenté par l’impétrant totalise 588 pages en deux tomes, le premier avec 306 pages, le second avec 282 pages.  La thèse proprement dite compte 521 pages et 5 pages de conclusion générale, ce qui est manifestement insuffisant au regard du volume de la thèse. Elle comprend également 2 pages de sigles et abréviations (pages 9-10) et 2 pages présentant les principaux termes techniques employés par le TPIR. Dans le texte, aucun document illustratif n’a été intercalé, photos, figures, tableaux, cartes ou diagrammes, ce qui peut se comprendre étant donné la nature de la thèse. La bibliographie présentée pages 526-559 paraît très riche avec des ouvrages tant anglophones que francophones. Elle est regroupée en ouvrages généraux, en ouvrages spécifiques, en articles et rapports et en documents tirés de sites internet. Une table des matières prolifique (15 pages) détaille le contenu de la thèse, comme s’il suffisait de la lire pour en comprendre le contenu. En annexe (pages 576 à 588), on retrouve la chronologie des événements marquant le TPIR de 1994 à 2003 avec tous les jugements qui ont été rendus durant cette période. On ne doit pas non plus oublier les 1765 notes de bas de page!

Ce même texte est subdivisé en trois parties manifestement déséquilibrées avec 78 pages pour la première (pages 29 à 107), la 2° avec 198 pages (de 108 à 306) et la 3° avec 218 pages (de 307 à 525) ! Il est évident qu’un plan de cette nature peut difficilement permettre la présentation d’un argumentaire cohérent, la première partie étant atrophiée! Au niveau formel, quoique le style soit relativement facile à lire avec peu de fautes d’orthographe, la thèse se lit très mal car l’utilisation de titres, de chapitres, de sections, de paragraphes, de lettres et de chiffres  ne permet pas au lecteur de se situer par rapport à l’ensemble de la thèse.

 

Dans une introduction générale de 15 pages (pp.13-28), le candidat cherche,  à partir d’un résumé des différentes tentatives historiques de création d’une juridiction pénale internationale réprimant « le génocideles crimes contre l’humanité et les violations graves du droit international », à définir une problématique de recherche centrée sur le rôle décisif du Tribunal Pénal Internationale pour le Rwanda « en vue de la répression des auteurs de ces crimes ». Malheureusement, cette problématique, et donc l’objet de la thèse, n’est pas explicitement énoncée et on est obligé de la deviner, curieusement d’ailleurs à travers des citations, comme si l’auteur n’osait pas se prononcer lui-même. On pourrait cependant se hasarder à l’énoncer comme suit. Les Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo « n’étaient pas des tribunaux internationaux au sens moderne du terme », puisqu’on n’a pas jugé le massacre des officiers polonais par les Soviétiques à Katyn ou le bombardement de Dresde par les Anglo-américains. Il s’agissait donc d’une justice des vainqueurs qui n’était nullement impartiale.

 

C’est pour cela que beaucoup de gens considéraient ce genre de tribunaux comme des masques destinés à «dissimuler la raison du plus fort », comme une « marionnette des Américains », « une justice spectacle », ou encore « d’être plus souvent utilisées comme tribunes médiatiques que comme organes chargés de dire le droit ». L’impétrant s’insurge contre de telles interprétations car au contraire « l’option de rendre la justice pour rétablir, maintenir et consolider la paix » a été un changement de cap salutaire. Ainsi, poursuit l’auteur, à travers les péripéties juridiques de la mise en place du TPIR, on peut dire que « le TPIR constitue une étape déterminante dans la longue marche d’instauration d’une juridiction pénale internationale permanente ».

 

La problématique proprement dite de la thèse pourrait être ainsi résumée à travers ces observations de l’auteur : « Constatant d’un côté les progrès considérables réalisés par le TPIR, et de l’autre côté l’étendue de ses manquements, nous en concluons (déjà ici ? !!!) qu’il ne mérite ni l’indignité ni l’excès d’honneur. Pour rester objective, notre analyse sera menée en évitant deux écueils tentants, celui de diaboliser le Tribunal et celui de l’angéliser. Nous pensons avec Charles CHAUMONT lorsqu’il décrivait l’ONU, que le Tribunal d’Arusha peut se placer « quelque part entre le ciel et l’enfer ». C’est en fait cela l’objet annoncé de la démonstration de l’auteur. Bigre! Voilà une approche qui risque d’être assurément manichéenne, avec d’un côté les Bons et de l’autre les Mauvais ! Il sera certainement intéressant de savoir ce qui relève du domaine céleste et la partie infernale, car justement le risque de parti-pris est évident. Mais que diable peut-on trouver de céleste, et donc relevant de la sainteté, dans un procès sur les horreurs qui ont été commis au Rwanda ? On voit déjà poindre le caractère mégalomane et outrecuidant du personnage !

Pour ma part, la thèse aurait dû être construite autour da la question de recherche suivant : « En quoi le TPIR est-il différent, en termes d’indépendance et d’équité, des juridictions de Nuremberg et de Tokyo qualifiées de justice des vainqueurs ? », ce qui lui aurait permis de relever les innovations du TPIR en termes juridiques mais aussi en termes d’indépendance et d’impartialité. Il aurait ainsi évité les élucubrations fracassantes sur le ciel et l’enfer dont on ne retrouve d’ailleurs pas la moindre trace dans la suite de la thèse !  Dans cette introduction, l’auteur n’annonce pas sa méthodologie et on ne sait pas comment il a fait pour recueillir les informations.

 

Dans la première partie (78 pages) que l’auteur intitule « La création du TPIR comme volonté des Nations-Unies de réprimer les crimes internationaux », la plus courte tout en étant cependant intéressante, l’impétrant se propose d’analyser, dans 2 titres subdivisés en 4 chapitres, pourquoi le Conseil de Sécurité des Nations Unies a mis en place le TPIR, ainsi que l’originalité de cette juridiction qui représente une première dans les relations internationales, le TPIY n’ayant pas eu la même portée. Cette juridiction a donc été créée « pour la répression des crimes commis au Rwanda ou par des citoyens rwandais, en vue du rétablissement et du maintien de la paix dans cette région ».

 

Le titre 1 cherche à définir les fondements juridiques à la base de la création du TPIR à travers les normes du droit international conventionnel (convention de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977 et la convention pour la prévention et la répression du génocide de 1948). En même temps, l’auteur de la thèse souligne que le TPIR a été créée par une résolution du Conseil de Sécurité, qui n’était pas habilité à le faire,  pour éviter d’adopter une convention internationale qui aurait retardé les choses, étant donné la lenteur et la lourdeur des procédures d’adoption d’un traité. De ce fait, beaucoup de juristes ont contesté cette procédure, déniant au Conseil de Sécurité le pouvoir de créer un organe judiciaire de ce type, mais le TPIR a trouvé sa légitimité dans « le pouvoir d’interprétation discrétionnaire reconnu au Conseil de Sécurité ».

 

Malgré tout, cette légitimité du TPIR a été mise en cause dans l’affaire Kanyabashi, car sa défense a invoqué l’inviolabilité da la souveraineté nationale, l’incompétence du Conseil de Sécurité pour la création de ce tribunal ou la protection des droits de l’homme, le caractère interne du conflit rwandais et enfin le manque d’indépendance et d’impartialité du Tribunal. L’impétrant trouve que ces allégations sont exagérées car « les tribunaux pénaux internationaux disposent de véritables pouvoirs décisionnels qu’ils tirent de leurs statuts et de leurs règlements de procédures et de preuve. Leur création par le Conseil de Sécurité n’a aucune influence sur l’indépendance du procureur et des juges qui, la pratique l’a prouvé, ne font qu’appliquer le droit ». Ce n’est pourtant pas ce qu’affirme Mme Carla del Ponté et d’autres à propos de cette indépendance, comme on va le souligner dans la suite!

Au chapitre II du titre I, l’auteur montre que le TPIR a intégré les principes du procès de Nuremberg avec la responsabilité pénale de l’individu en rejetant l’excuse de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques, la responsabilité pénale de ceux-ci étant aggravée, « l’arrêt Kambanda montre l’importance que prend l’abus d’autorité en cas de crimes internationaux », le jugement Ruggiu qui n’occupait aucune position d’autorité officielle lui ayant apporté la clémence du jury. De même, les autorités subalternes ont été sévèrement condamnées étant donné « leur responsabilité individuelle dans les massacres », comme le montre le cas Akayezu, Musema, Kayishema/Ruzindana et Bagilishema. De même, le TPIY a considérablement influencé le TPIR sur les plans juridique et matériel.

 

Le titre II se propose d’analyser le processus de création du TPIR à travers les travaux préparatoires à l’institution du TPIR (Commission des droits de l’homme des Nations Unies, commission des experts indépendants de l’ONU), celle-ci (l’ONU) ayant qualifié, en des termes clairs et dénués de toute ambiguïté, les massacres contre les Tutsi de « génocide au sens de l’article 2 de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, tout en soulignant qu’elle n’a découvert aucune preuve indiquant que des éléments tutsi avaient commis des actes dans l’intention de détruire le groupe ethnique hutu en tant que tel, au sens où l’entend la convention sur le génocide de 1948 ». Vraiment ? Et les différents rapports qui ont été faits à ce propos ?

 

Le même titre II se penche sur le caractère international des crimes commis au Rwanda pour justifier la création du TPIR, à travers les règles du droit international et le caractère international de ces crimes en montrant que ceux qui ont été commis au Rwanda relèvent du génocide mais aussi de crimes contre l’humanité. Ceux qui pensent que ces tueries s’inscrivaient dans le cadre du conflit entre les FAR et le FPR oublient que « même si le génocide contre les Tutsi a été concomitant au conflit, il est d’une nature fondamentalement différente du conflit. L’on peut certes admettre que son exécution a pu être facilitée par le conflit, en ce sens que les combats entre les deux belligérants ont servi de prétexte à la propagation d’incitation à commettre le génocide, mais ce dernier a été exécuté parallèlement au conflit. Ce sont deux situations parfaitement différentes et non assimilables », affirme-t-il.

 

On voit bien ici que pour ceux qui connaissent ce qui s’est passé réellement sur le terrain, on a du mal à accepter de telles affirmations de l’impétrant ! Les crimes ont été commis au fur et à mesure de la guerre et d’abord par le FPR. Cependant, il faut bien admettre que les propos de l’auteur, quoi que partisans, restent dans la logique des possibles. Esprit partisan, certes, mais qui reste dans les limites recommandées pour une thèse pouvant être soutenue !

 

Dans une 2°partie pléthorique (198 pages) intitulée « Le droit régissant le TPIR : l’édification des règles fondamentales de la justice pénale internationale», l’auteur présente en 2 titres subdivisés en 4 chapitres les dispositions statutaires qui permettent de rendre des jugements impartiaux ainsi qu’un « règlement de procédure et de preuve et diverses directives internes destinés à garantir le déroulement d’un procès juste et équitable ». L’auteur veut également montrer que le TPIR peut servir d’exemple dans la construction d’une justice pénale internationale efficace ! Ici on attend évidemment de voir comment il est différent des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo en jugeant tous les auteurs de crimes contre l’humanité ! Va-t-il juger tous les responsables de crimes sans distinctions ?

Le titre I cherche à montrer que tout a été fait pour que les jugements du TPIR puissent assurer le respect intégral des droits de l’homme en conformité avec les grands textes internationaux protégeant les droits fondamentaux de la personne humaine. Pour cela, les compétences du TPIR ont été bien définies : génocide, crimes contre l’humanité mais aussi les incitations à commettre ces crimes et cela avec primauté sur les juridictions nationales. C’est dans ce sens que le TPIR a introduit des demandes de dessaisissement à la Belgique pour les affaires Kanyabashi, Elie Ndayambaje, Alphonse Higaniro et à la Suisse pour l’affaire Alfred Musema.

 

Cette indépendance et cette impartialité se manifestent également à travers la composition des chambres et le mode d’élection des juges : sûr et certain, l’indépendance des juges et leur impartialité sont garanties et honni soit qui mal y pense! Il suffirait d’ailleurs de voir les conditions tellement rigoureuses imposées par le Conseil de Sécurité au niveau des compétences de haut niveau dans la désignation de ces juges et leur remplacement. On pourrait citer pour cela les cas de Clément Kayishema et Obed Ruzindana qui ont été débouté par la Chambre d’appel pour leurs allégations d’interférence du Rwanda dans leurs jugements ! Drôle de preuve, Nayigizi étant jugé par Xavier, comme le disait notre regretté professeur, Xavier Nayigiziki.

 

Le jugement de Jean-Paul Akayezu revêt d’ailleurs une importance historique car le viol a été ajouté dans les actes d’accusations, de même  que les plaidoyers de culpabilité de Jean Kambanda et d’Omar Serushago ! Ajoutons à cela que le Parquet et le Greffe ont été organisés en vue de garantir l’indépendance et l’impartialité du TPIR ! Le Bureau du Procureur a été exemplaire à ce niveau, celui-ci ayant manifesté toute son indépendance et son impartialité dans sa stratégie d’enquête et de poursuite ! La méthode équilibrée (ne souriez pas, s’il vous plaît !) du Procureur Louise ARBOUR (1996-1998) a permis de poursuivre les grands responsables tandis que Carla del PONTE (1999-2000) s’est attelée en plus à la recherche de la qualité de l’accusation!

 

Le titre II se voudrait une démonstration de l’application du droit à un procès juste et équitable depuis la période d’enquête jusqu’à la mise en accusation du suspect mais aussi pendant les phases du jugement. Pendant la période d’enquête, les « pouvoirs exorbitants du Procureur » ont été encadrés en attribuant des droits spécifiques aux suspects, en contrôlant les actes d’accusation qui revêtent un caractère public. Les règles d’établissement et d’exécution des mandats d’arrêts ont été rendues strictes car seul un juge ou une Chambre du TPIR a la compétence de délivrer un mandat d’arrêt et si un Etat n’exécute pas le mandat d’arrêt ou l’ordre de transfert, « le tribunal, par l’intermédiaire du Président, peut en informer le Conseil de Sécurité ». Une fois l’accusé transféré au Tribunal, il a droit à un procès juste et équitable, avec la présomption d’innocence, le droit à la défense avec la recherche d’avocats compétents, l’accusé étant autorisé à être présent à son procès tout en pouvant intervenir pour sa défense. Pendant la phase du jugement, les moyens de preuves (témoignages à charge et à décharge, les dépositions des témoins-détenus, les réquisitions, les plaidoiries…), sont strictement encadrés.

 

Même les aveux ou la plaidoirie de culpabilité ont été examinés avec sagesse comme les aveux de Jean Kambanda, Georges Ruggiu et Omar Serushago. Celui-ci s’est livré lui-même et a plaidé coupable : c’est un « cas classique de plaidoyer de culpabilité » tel que prévu par la loi. Par contre, Jean Kambanda a plaidé coupable au départ mais il s’est rétracté par après mais la Chambre d’Appel a rejeté tous ses arguments. Le cas Ruggiu est également spécifique car il a plaidé non coupable au début mais a par la suite plaidé coupable.

Les cas d’incohérences dans les déclarations des témoins ont également été abordés par le TPIR dans le sens d’une justice impartiale. Pour le prouver, l’auteur évoque les cas du procès Kayishema/Ruzindana où des contradictions ou des omissions entre les déclarations écrites des témoins et leurs dépositions orales devant la cours ont été constatées. Pour ces deux cas, « certaines contradictions et imprécisions… ont été soigneusement analysées sous l’éclairage des circonstances dans lesquelles se trouvaient les témoins ». Ainsi Ignace Bagilishya a été acquitté en première instance du fait des « discordances apparues dans les récits des témoins ». Mais pourrait-on se demander, ces juges savent-ils que la société rwandaise ne sanctionne pas le parjure et que le mensonge n’est pas à proprement parler un délit ? Amafuti y’umugabo ni bwo bulyo bwe, affirme l’adage populaire !

 

En fin de compte, l’auteur de la thèse persiste et signe, tout a été fait pour que tous les jugements du TPIR soient rendus de façon indépendante et impartiale, n’en déplaise aux gens mal intentionnés! Oui, tout est parfait dans le meilleur des Mondes, ou plutôt des Justices !  Tu parles !

 

Une troisième partie tout aussi volumineuse et redondante que la seconde (218 pages) et subdivisée elle aussi en deux titres eux-mêmes organisés en 4 chapitres, Monsieur Bizimana s’évertue à souligner avec force le rôle de pionnier du TPIR dans le développement du droit international et humanitaire mais en même temps à relever certaines de ses lacunes. En effet, si « le TPIR a fait un travail de qualité en honorant les efforts entrepris par les Nations Unies pour mettre fin à l’impunité et au cycle de violences atroces dans le monde, notre constat aboutit à la reconnaissance de plusieurs zones d’ombre remettant en cause l’efficacité même du TPIR ». S’agirait-il par hasard du caractère univoque des jugements du TPIR qui n’a jugé qu’une partie des criminels ? Allons-nous apprendre enfin en quoi le tribunal d’Arusha est différent de ceux de Nuremberg et de Tokyo qualifiés de tribunal des vainqueurs, puisque l’auteur n’en a rien dit dans les deux premières parties ? Hasardons-nous à l’espérer, sans doute avec un excès d’optimisme, car on ne voit rien apparaître dans ce sens quand on regarde les intitulés des deux titres de cette 3°partie !

 

En effet, le premier titre (101 pages) nous invite à prendre connaissance du rôle du TPIR dans l’édification d’une jurisprudence quant à l’interprétation des crimes internationaux, donc à « l’édification des normes fondamentales du droit international pénal et humanitaire ». On le voit bien, c’est à partir du TPIR qu’une jurisprudence a été établie par rapport au crime de génocide en confirmant son caractère « coutumier », en définissant les catégories sociales protégées contre le génocide (groupe national, groupe racial, groupe religieux, groupe ethnique). Dans ce cadre, il a fallu établir que les Tutsi constituaient un groupe ethnique sans se baser comme d’habitude sur les critères culturels et linguistiques qui sont les mêmes pour les trois groupes peuplant le Rwanda. Il a fallu pour cela tricher un peu en concluant par un tour de passe-passe « à l’existence d’une règle coutumière au Rwanda permettant l’identification des personnes comme appartenant au groupe hutu ou tutsi ».  Puisque les Rwandais savent ce qu’ils sont et que les Tutsi sont étiquetés comme tel, c’est que les Tutsi constituent un groupe ethnique à part entière par ceux qui voulaient les tuer, et le tour était joué !

 

L’auteur a continué sa thèse en énumérant  les 8 actes (pp.332-333) que le TPIR a considérés comme relevant du génocide en appuyant ses démonstrations avec les procès Akayezu, Kayishema/Ruzindana, Bagilishema. Le cas Akayezu est particulier car il a été convaincu de viol, ce crime n’étant pas considéré auparavant comme relevant du génocide ! Le procès Kambanda a en outre permis aux juges de mettre en évidence l’existence d’un complot à l’échelle nationale au Rwanda en 1994 « dans lequel étaient impliqués les plus hautes autorités de l’Etat et des éléments de la société civile, en particulier les miliciens » (p.352) ! Pourtant on n’a jamais pu remonter à ces personnes et dans la suite, le TPIR a reconnu qu’il n’avait pas pu trouver la moindre trace de ce complot !

 

Au chapitre II du premier titre, Mr. Bizimana explicite ce que le TPIR interprète comme crimes contre l’humanité et comme crimes de guerre, avec « l’inhumanité des actes, le caractère généralisé ou systématique, l’attaque contre une population civile, l’attaque pour motif discriminatoire, l’assassinat, l’extermination et d’autres actes inhumains », même quand ils sont commis dans le cadre d’un conflit non international ou interne, ce qui n’était pas le cas auparavant. C’est surtout Rutaganda qui a fait les frais de ces nouvelles dispositions.

 

Le titre II revient sur le fait que le TPIR reste « un tribunal expérimental de la justice pénale internationale » (p.412) mais qu’il a prouvé la viabilité de ce type de juridiction car il a poussé les Etats « à considérer avec beaucoup d’égards le respect des droits de l’homme par la traduction en justice des responsables des violations du droit international humanitaire, et en même temps il pousse à la prudence les auteurs potentiels des crimes internationaux ». Mr. Bizimana aurait dû ajouter que cela n’est vrai que pour les pays africains car aucun criminel du monde occidental n’a jamais été jugé, alors que de nombreux crimes ont été commis, au Proche-Orient par exemple. Les USA ont d’ailleurs catégoriquement refusé de reconnaitre et d’intégrer la Cour Pénal Internationale de La Haye qui aurait pu juger les crimes commis par les Américains et leurs alliés !

 

L’auteur énumère ensuite les progrès qui ont été réalisés grâce au TPIR, notamment la promotion du droit international en Afrique, la mise sur pied du Tribunal spécial pour la Sierre Léone ou la réaffirmation du principe d’abolition de la peine de mort. Elle a même réussi à établir la « jonction d’instance en vue de procès en commun » pour les affaires suivantes :

  • « Le dossier dit de Butare qui vise six accusés : Pauline Nyiramasuhuko, Arsène Shalom Ntahobali, Sylvain Nsabimana, Alphonse Ntezilyayo, Joseph Kanyabashi et Elie Ndayambaje,
  • Le dossier dit de Cyangugu qui concerne trois accusés : André Ntagerura, Emmanuel Bagambiki et Samuel Imanishimwe ;
  • Le dossier du Gouvernement I qui vise quatre accusés : Casimir Bizimungu, Justin Mugenzi, Prosper Mugiraneza et Jérôme Bicamumpaka ;
  • Le dossier du Gouvernement II qui vise six accusés : Edouard Karemera, André Rwamakuba, Augustin Bizimana, Callixte Nzabonimana, Mathieu Ngirumpatse et Joseph Nzirorera ;
  • Le dossier des militaires I qui concerne trois accusés : Gratien Kabiligi, Aloys Ntabakuze et Théoneste Bagosora ;
  • Le dossier des militaires II regroupant : Augustin Ndindiliyimana, François-Xavier Nzuwonemeye, Innocent Sagahutu, Augustin Bizimungu et Protais Mpiranya ;
  • Le dossier des médias concernant : Jean-Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana et Hassan Ngeze. » (page 445)

Mais quelles collusions peut-on trouver entre le Général Kabiligi et le Colonel Bagosora, ou entre le Général Ndindiliyimana et le Colonel ou Major Mpiranya ? Allons, mettons tout le monde dans le même panier et au trou!

 

La thèse est terminée par la présentation des limites du TPIR qui révèlent l’état embryonnaire de la justice pénale internationale. Ces limites se retrouvent dans les anomalies au sein des organes du TPIR comme le greffe (excès de pouvoir, mauvaise gestion financière, manque de personnel qualifié à des postes clefs), le bureau du Procureur (blocage dû à l’éclatement des services du Procureur, personnel insuffisant et peu qualifié, absence de direction opérationnelle des enquêtes et poursuites), les Chambres où les juges sont des Professeurs d’universités plutôt que de vrais juges. Mr. Bizimana fustige ensuite les lacunes d’ordre juridique avec des retards dans l’exécution des procédures relatives aux procès, dans le traitement des requêtes urgentes ainsi que les carences dans la sécurité et la protection des témoins.

 

L’auteur poursuit en relevant les irrégularités administratives et juridiques comme le partage d’honoraires entre conseils de la défense et les accusés comme le prouvent les affaires Nzirorera et Prosper Mugiraneza. En fait, les prévenus se sont enrichis aux frais de la Princesse ! La malheureuse, que tout le monde plaint! De plus, continue l’auteur, certains agents du Tribunal étaient corrompus, surtout que le recrutement des enquêteurs de la défense était fait sur la base de partage d’honoraires, cela étant accompagné de nombreuses surfacturations.

 

C’est à la fin de cette 3°partie que Jean Damascène dévoile tout le caractère partial de son argumentaire. Pour illustrer l’échec du TPIR, il met en évidence les mésententes entre le Tribunal et la société rwandaise à travers les Associations des rescapés AVEGA et IBUKA qui, à un certain moment, l’ont boycotté. Cependant, IBUKA et AVEGA représente-t-elles à elles seules la société rwandaise ? On peut évidemment en douter. Il évoque ensuite les difficultés d’assurer l’anonymat des témoins qui sont en outre molestés par les avocats de la défense au cours d’interrogatoires scandaleux. Les malheureuses (ce sont souvent des femmes) ont été traumatisées par les viols et voilà qu’on leur pose des questions indiscrètes !

 

L’auteur nie ensuite les accusations de certains observateurs qui affirment que les Associations de rescapés sont inféodées au FPR car « la plupart des accusations formulées par les victimes-témoins sont véritablement authentiques et qu’elles ne peuvent pas être classées dans le registre d’une moindre pression des autorités rwandaises » (p.493)! D’ailleurs, les victimes ne comprennent pas que leurs bourreaux soient mieux traités qu’elles, car « ceux-ci reçoivent un per diem qui dépasse de très loin le revenu quotidien d’un rwandais moyen, ils reçoivent tous les soins appropriés, alors que les victimes qui ont été contaminées du SIDA par ces mêmes accusés sont des laissés pour compte. Une telle situation suscite l’indignation et la révolte légitimes des survivantes » (page 510) ! Quant à ceux qui disent que le TPIR ne juge que les responsables hutu sans toucher aux criminels du FPR, « à notre avis, l’importance de cet élément du problème est trop surévaluée » et n’est pas nécessaire à la réconciliation nationale, mission que le TPIR ne peut d’ailleurs pas remplir puisqu’il ne juge que quelques cibles en laissant en liberté des milliers d’autres criminels!

 

Une conclusion de 5 pages qui résument le texte de façon superficiel et maladroite, plutôt que de revenir sur la problématique, conclut la thèse en insistant sur le rôle pionnier du TPIR, en montrant que l’impunité des criminels a vécu. Il s’agirait d’un bond en avant pour toute l’Humanité, l’Afrique en particulier, car le TPIR, malgré ses insuffisances, a pu juger en toute indépendance les crimes commis au Rwanda, quel que soit le rang social des criminels! Malheurs aux prétendants génocidaires de tous bords car les TPI sont là pour les épingler.

 

Au total, on a affaire à une thèse sans thèse, partielle et partiale, car on reste sur sa faim, du moins si, comme subodoré dans l’introduction, la thèse avait pour but de mettre en évidence le caractère indépendant et impartial du TPIR. On ne trouve en effet aucune réponse à la question cruciale annoncée au début et qui est de savoir en quoi le TPIR est différent des juridictions de Nuremberg et de Tokyo qualifiées de tribunaux institués par les vainqueurs de la seconde Guerre Mondiale, pour juger les vaincus !

 

Au moment de la soutenance de la thèse, d’après l’auteur,  le TPIR, dont les procès ont débuté en janvier 1997, avait prononcé 11 jugements pour 13 accusés (p.144). Neuf parmi eux furent jugés coupables (Jean-Paul Akayezu, Clément Kayishema, Obed Ruzindana, Georges Rutaganda, Alfred Musema, Elizaphan Ntakirutimana, Gérard Ntakirutimana, Eliézer Niyitegeka et Laurent Semanza), trois ont plaidé coupable (Kambanda, Serushago et Ruggiu), un acquitté (Bagilishema) et enfin deux libérations (Ntuyahaga et Rusatira). Si je n’ai pas la berlue, ils sont tous Hutu, n’est-ce pas ? Cela veut-il dire que le FPR n’a pas commis de crimes ? Pourtant, le Rapport Gersonny avait bien documenté les massacres commis par le FPR en 1994 mais il a été mis sous le boisseau, les conclusions de M. Hourigan ont été enterrées par la Procureure Louise Arbour et d’autres rapports encore. Que dire du quasi limogeage de Carla del Ponte à la demande du gouvernement américain quand elle a commencé à remettre en cause le FPR ?

 

Indépendance et impartialité du TPIR ? La bonne blague ! N’en déplaise à Monsieur Bizimana, le TPIR n’a été ni indépendant, ni impartial et il ne jouera aucun rôle dans la réconciliation des Rwandais, car son action a été déplorable. Mais pouvait-il en être autrement, avec la pression des Américains ? Ce qui est sûr, c’est que le caractère « raciste » et mégalomane du personnage Bizimana transparaît à travers toute la thèse.

Néanmoins, la thèse de Jean Damascène BIZIMANA fourmille d’une multitude d’informations inédites et elle méritait d’être soutenue, quitte à expliquer les manquements relevés dans les lignes qui précèdent. Je présume que mes confrères les ont soulignés eux aussi et que l’impétrant y a bien répondu.

 

UWIZEYIMANA Laurien
Professeur des Universités

 

Jean-Damascène Bizimana

Doc PDF Analyse du thèse de doctorat de Jean Damascène Bizimana, Secrétaire Exécutif du CNLG

 

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