De l’Onuc à la Monuc/Monusco : les opérations de l’ONU en RD-Congo ont toujours eu « une mission dans la mission »
De l’Onuc à la Monuc
La première opération de l’ONU, dénommée Onuc, a été déployée Congo entre juillet 1960 et juin 1964. « L’ONUC (Organisation des Nations Unies au Congo) a été établie par le Conseil de sécurité par la résolution 143 (1960) du 14 juillet 1960.
Son mandat était de rétablir la loi et l’ordre mis à mal par les déchirements internes et les guerres de sécession qui éclatèrent en juillet 1960 et qui portaient le cachet “Belgique, Etats-Unis et Grande Bretagne”, trois puissances qui, depuis 1942, étaient liées par un accord économico-financier qui plaçait le contrôle de toutes les richesses du Congo entre leurs mains. Un Congo indépendant dirigé par des nationalistes constituait un grand danger pour cet ordre colonial C’est pourquoi, il fallait étouffer à tout prix la dynamique nationaliste. Mabika Kalanda (2002) d’heureuse mémoire le résume par ce bout de phrase: “La lutte de libération prit fin avec l’assassinat de Lumumba”. Jusqu’aujourd’hui, nous en subissons les coups.
De la Monuc à la Monusco
La seconde opération qui est en cours depuis décembre 2000 comporte deux phases.
– La phase Monuc (décembre 2000-juin 2010): « Après la signature, en juillet 1999, de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka entre la République démocratique du Congo (RDC) et cinq États de la région (Angola, Namibie, Ouganda, Rwanda et Zimbabwe), le Conseil de sécurité a créé, par sa résolution 1279 du 30 novembre 1999, la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC). La mission devait à l’origine élaborer des plans en vue de l’observation du cessez-le-feu et du désengagement des forces, et maintenir la liaison avec toutes les parties à l´accord de cessez-le-feu. Par une série de résolutions ultérieures, le Conseil a étendu le mandat de la MONUC au contrôle de l’application de l’accord de cessez-le-feu et lui a attribué plusieurs autres tâches connexes ».
– La phase Monusco (juillet 2010-septembre 2017) : « La MONUSCO a remplacé la précédente opération de maintien de la paix – la MONUC- le 1er juillet 2010, selon le mandat établi par la résolution 1925 (2010) du Conseil de sécurité du 28 mai. Ce changement reflète la nouvelle phase dans laquelle le pays est entré. La MONUSCO est autorisée à recourir à tous les moyens nécessaires pour mener à bien son mandat concernant, entre autres, la protection des civils, du personnel humanitaire et des défenseurs des droits de l’homme immédiatement menacés de violence physique, ainsi que le soutien du Gouvernement de la République démocratique du Congo dans ses efforts de stabilisation et de consolidation de la paix ». Comme son nom l’indique, le mandat est de stabiliser l’Est de la RDC, nid de la guerre.
Le contexte de leur déploiement
C’est celui des années 1960 : décolonisation et conflit Ouest-Est dont la RDC fut le champ d’affrontement et ce, à travers les sécessions (Katanga et Sud-Kasaï) orchestrées par des multinationales occidentales. C’est aussi celui des années 1990 : fin de la guerre froide et projet de la mise en place d’un nouvel ordre régional en Afrique des Grands Lacs (partie intégrante du Nouvel Ordre Mondial réactivé par le président Georges Bush père en 1991) par les Etats-Unis au détriment de la France et de la Belgique avec pour enjeu le contrôle des richesses de la RDC. La voie choisie fut l’utilisation d’une guerre par procuration, menée officiellement par le Rwanda et l’Ouganda (la guerre du couple NRA/FPR au Rwanda, 1990-1994, était le prélude à la guerre actuelle en RDC) propulsés du coup au rang des protectorats américains.
« La guerre du Rwanda était une guerre totale. Tous les moyens furent utilisés pour détruire le pays et peuple hutu. L’objectif ultime était les ressources du Congo, alors Zaïre. Les Etats-Unis acceptèrent de soutenir le FPR pour qu’en retour ce dernier agisse comme ‘a U.S. proxy force’ dans l’invasion du Congo et le contrôle de ses ressources. Aujourd’hui, les Etats-Unis possèdent plusieurs bases militaires au Rwanda et le Rwanda n’est rien d’autre qu’une colonie américaine et anglaise gouvernée par des voyous qui contrôlent la majorité du people au moyen d’intimidation, de désinformation et d’assassinat. Tout ceci ne pouvait avoir lieu si ceux qui, à l’ONU, comme Kofi Annan; alors chargé du Département des Opérations de paix, avaient fait leur travail. Tout ceci ne pouvait se passer sans la connivence des pays membres de l’OTAN et l’Ouganda. Mais, la première responsabilité repose sur les Etats-Unis et, en particulier, les régimes de Bill Clinton et de George W. Bush et, puis, avec Mr Obama. Comme Boutros Boutros Ghali; le Secrétaire Général de l’ONU à l’époque, l’a dit à l’historien canadien, Robin Philpot en 2004; ‘Les Etats-Unis sont à 100% responsables de ce qui s’est passé au Rwanda’ » (Christopher Black, 2008).
Le rôle dominant des Etats-Unis
Ce fut les ressortissants des petits Etats comme le souligne Paul-Henry Gendebien (1967) au sein de l’ONUC (…).
Mais Washington préféra les Américains et leurs principaux alliés européens essentiellement dans la Monuc/Monusco. On constatera que l’américain William Lacy Swing a dirigé la RDC pendant la période la plus cruciale pour placer les rebelles pro-Rwanda (Joseph Kabila, Azarias Ruberwa et consorts) au pouvoir (mai 2000-décembre 2007) avant d’être nommé à la tête d’une organisation aussi sensible aujourd’hui en pleine crise des réfugiés dans le monde, l’IOM (Organisation Internationale des Migrations). Les Congolais l’appelaient à juste titre le “gouverneur général du Congo” (Noël Obotela, 2004), fonction qu’il exerçait sous le drapeau du CIAT (Comité International pour l’Accompagnement de la Transition).
Son patron, le Secrétaire Général de l’ONU qui l’a nommé n’était autre que celui qui, en tant que responsable des opérations militaires de l’ONU à l’époque a couvert l’assassinat des présidents rwandais et burundais, respectivement Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira le 6 avril 1994, Koffi Annan. L’homme de Washington, ce ghanéen d’origine avait été récompensé pour cela en étant promu à ce poste. On retiendra également que c’est le même qui, après l’invasion de l’Irak, obtint avec l’ONU le prix Nobel de la paix, une affaire visiblement politique. Les autres responsables (l’Anglais Alan Doss, l’Allemand Martin Kobler et le Nigérien Mama Sidikou) n’ont fait que gérer l’ordre hima-tutsi qu’il a mis en place ou dont il a consolidé les bases.
Leurs actions
Deux semaines après la proclamation de l’indépendance, la RDC connut une vague des sécessions appuyées par certains lobbies et services de sécurité, surtout américains, anglais et belges. Croyant en la neutralité de l’ONU, le gouvernement de Joseph Kasa-Vubu et de Patrice-Emery Lumumba fit appel aux troupes de l’ONU.
Une fois dans le pays, ces troupes prirent position pour les sécessions (groupe de Moïse Tshombe à Elisabethville et groupe d’Albert Kalonji à Bakwanga) et pour une partie de l’équipe au pouvoir à Léopoldville (camp du président Joseph Kasa-Vubu). Au départ, leur action consista à détruire les institutions démocratiquement élues (élimination du camp des nationalistes chapeauté par le premier ministre élu Patrice-Emery Lumumba qui fut tué le 17 janvier 1961) pour enfin agir contre les sécessions en faveur d’une nouvelle équipe des marionnettes autour de Joseph-Désiré Mobutu, le nouveau maître de Léopoldville (Alan James, 2000).
Onuc_Monuc_MonuscoCe fut pratiquement le même scénario que le pays connut entre 2000 et 2002. En 1996 et en 1997, la RDC alors Zaïre fut frappée par une agression extérieure appuyée par les Etats-Unis ; ceux-ci placèrent les rebelles, étrangers principalement regroupés dans l’AFDL, au pouvoir. A leur arrivée en décembre 2000, les troupes de l’ONU furent déployées à Kinshasa et à l’Ouest du pays alors que la guerre se déroulait à l’Est. C’est après l’entrée du RCD-Goma dans les institutions centrales à Kinshasa conformément à l’accord global et inclusif (Pretoria, 17 décembre 2002) que ces troupes se déployèrent à l’Est. Et là encore, elles couvrent jusqu’à présent les actions des armées rwandaise et ougandaise car elles ne se sont jamais positionnées aux frontières entre la RDC et les deux pays agresseurs (Ouganda et Rwanda) et les groupes armés alliés que certains médias attribuent à leurs “supplétifs congolais”.
Le premier acte fut l’assassinat du président AFDL autoproclamé, Laurent-Désiré Kabila, le 16 janvier 2001 (Emmanuel Nashi, 2007), soit trois semaines après l’arrivée des troupes de la MONUC à Kinshasa. Le deuxième acte fut l’imposition d’un jeune homme qui venait de débarquer en RDC en provenance du Rwanda en septembre/octobre 1996 sous le drapeau du FPR. Encore dans la vingtaine et possédant une formation scolaire douteuse ; il portait les bottes (“les bottines d’un jardinier”, mots de Honoré Ngbanda, président de l‘Apareco/ Alliance des Patriotes pour la Refondation du Congo) et le nom de “commandant Hyppo” (diminutif de Hyppolite). C’est après la prise de Kisangani (troisième grande ville du pays) par les troupes du FPR et alliées, soit à la veille de la chute de Kinshasa que, par magie, il prit le nom de Joseph Kabila3.
Son imposition fut la plus grande humiliation que le peuple congolais a connue dans la longue et douloureuse histoire du pays. Le pouvoir de ce dernier fut légitimé à Sun City (9 avril 2002) avant d’être imposé aux élections truquées du 29 octobre 2006 et du 28 novembre 2011. Il régna maintenant en monarque, usant des biens immenses qu’il a acquis pendant les quinze années de règne pour arriver à ses fins et préserver les intérêts de ses frères parrains, Yoweri Kaguta Museveni (président de l’Ouganda) et Paul Kagame (président du Rwanda) sans oublier les multinationales occidentales.
Quant à la MONUC/MONUSCO, sa politique est non- interventionniste malgré la rhétorique concernant la neutralisation des groupes armés. Ensuite, les accords de paix actuels visent, contrairement à ceux du début des années 1960, à diviser le pays (Ludo Martens, 2000 ; Boniface Musavuli, 2015). L’installation récente des Consulats américain, belge et français ainsi que le transfert du commandement de la MONUSCO de Kinshasa à Goma confirment cette crainte. Car leur présence ne dissuade pas les infiltrations fréquentes des troupes du Rwanda et de l’Ouganda et les actions des grands criminels qui écument la province du Nord-Kivu. (…) L’internationalisation de la ville de Goma n’augure rien de bon pour l‘unité et l’intégrité territoriales. Car le processus de la balkanisation est, contrairement à ce que certains Congolais pensent, très avancé.
La durée de la MONUC/MONUSCO étant la plus longue, elle essaie de multiplier les actions, mais aussi les bavures. (…) Les Casques bleus sont impliqués dans des bavures (bombardement des civils), des viols sexuels, des trafics miniers et humains, voire des uniformes des FARDC et dans le recrutement des djihadistes dont le nombre est en progression au Nord-Kivu en général, en Territoire de Beni en particulier où les soldats de l’AFRICOM et de l’ONU se partagent le terrain avec ces derniers, le pétrole découvert récemment étant un facteur de cette convergence. Tous ces actes riment peu ou ne riment pas avec leur mission.
Leurs résultats : une paix en question
Dans les deux opérations de maintien de la paix, l’ONU a fait preuve de manque de neutralité. A ce sujet, elle a toujours appuyé un camp contre l’autre : le camp de Joseph Kasa-Vubu, de Mobutu, de Tshombe, de Kalonji et alliés contre les nationalistes dans les années 1960, le camp des Etrangers (“Tutsi Sans Frontières”) et alliés contre les nationalistes congolais dans les années 1990/2000. Elle a encouragé ou fermé les yeux sur la pratique d’une justice partiale. Non seulement, elle n’a fait aucune démarche pour que le dossier sur l’assassinat de PE Lumumba et plusieurs membres de son gouvernement soit être pris en main par la justice, mais aussi et surtout elle a trouvé normal que seuls les “seigneurs de guerre” de l’Ituri soient incarcérés et jugés par la Cour Pénale Internationale (CPI) alors qu’elle travaille avec ceux du Kivu (liés au régime sanguinaire du Rwanda) qui ont été intégrés dans les institutions nationales.
Conclusion
C’est en l’homme que sont logées les racines du mal ou de bien. Si la paix est de plus en plus menacée dans le monde (voir les discours sur « le désordre mondial ») ou, parfois, introuvable dans certaines régions du monde comme en RDC, c’est que le mal a pris le dessus sur le bien.
Etant donné que les deux opérations de l’ONU (ONUC et MONUC/MONUSCO) n’ont pas réussi à asseoir la paix souhaitée par les Congolais, la question fondamentale est celle de savoir comment changer les cœurs des hommes ou, pour reprendre l’expression d’un ami, « désarmer les esprits », et ainsi influer positivement sur les comportements des hommes et des femmes qui nous dirigent et qui dirigent l’ONU.
Cet article est un extrait d’un texte publié par
Prof. Dr Stanislas Bucyalimwe.
Voir l’intégralité du document:
LA MONUC_MONUSCO UNE REEDITION DE L’ONUC
A lire aussi
KIVU AND ITURI IN THE CONGO WAR
Notes
1. « MONUC : Mandat de la mission »
(http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/monusco/background.shtml).
2. MONUSCO: Mandat de la mission
(http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/monusco/mandate.shtml.
3. Pour la controverse sur son identité qui persiste après 16 ans de règne, lire Mwamba Tshibangu (2005).
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