Retour sur l’assassinat de Mgr Munzihirwa et Mgr Emmanuel Kataliko par des mains invisibles du FPR/AFDL

Au moment où l’Est de la RD-Congo est au cœur de l’actualité avec des manifestations monstres contre la Monusco à Butembo et à Beni et à l’organisation d’une conférence au Sénat français ce 02/12/202019 sur une suite à réserver aux crimes documentés par le rapport Mapping, le texte qui suit, tiré d’une conférence donnée par Prof. S. Bucyalimwe Mararo le 3 novembre 2018 et intitulé : « Legs de Mgr Christophe Munzihirwa et Mgr Emmanuel Kataliko », tombe à point nommé. Les deux évêques ont payé de leur vie leur franc-parler dans la dénonciation des atrocités commises par le tandem FPR/AFDL de Paul Kagame et de Laurent-Désiré Kabila.

Depuis 1993, avions compris les véritables enjeux de la guerre qui venait d’être déclenchée au Nord-Kivu, en particulier le génocide planifié et qui passe par la liquidation des élites. Des arguments convaincants sont contenus dans le document du journaliste américain Keith HARMON SNOW (The plunder and depopulation of central Africa or the Politics of genocide in Central Africa, 2013)[1] et dans mon récent livre « Nord-Kivu (RD Congo) : vingt-quatre ans des tueries programmées (mars 1993-mars 2017) » (Edilivre, mars 2018). La mort violente de Mgr l’Archevêque MUNZIHIRWA et la mort à petit feu de Mgr l’Archevêque Emmanuel KATALIKO (mots de Mr l’Abbé Richard MUGARUKA, octobre 2000) font partie de ce plan macabre.
 
J’ai connu ce dernier de loin quand j’étais grand séminariste à Murhesa (1968-1970) et le premier de plus près quand j’étais membre du Groupe Jérémie à Bukavu (1992-1996). De plus, j’étais numéro 2 après lui sur la liste des gens à liquider par les envahisseurs de l’époque. Moi j’ai eu la chance d’avoir échappé à la « machine à tuer » qu’est l’APR (Armée Patriotique Rwandaise) ; j’ai passé 5 mois en cachette (novembre 1996-mars 1997) dans les quartiers de Kadutu qui étaient jusque-là impénétrables ; ma fuite du pays relevait aussi du miracle étant donné le contrôle qui se faisait aux nombreuses barrières érigées entre Mumosho et Kalundu.
 
Mais, j’ai lu certains de leurs écrits et lettres pastorales ainsi que certaines études faites sur leurs vies et œuvres respectives. C’est dire donc que je dispose de riches éléments qui me permettent de parler correctement d’eux. Bien qu’étant différents de caractère, relativement posé pour l’un, quelque peu flamboyant pour l’autre, ils avaient, en dehors du fait de partager le ministère sacerdotal et d’être chefs de l’église locale, deux dénominateurs communs : un ascendant intellectuel et moral et un amour pour leurs peuples et leur pays. Dans une brochure publiée à Bruxelles, en octobre 1997 (« Mgr Christophe MUNZIHIRWA »), l’Abbé Joseph MUKABALERA, qui est l’un des initiateurs de cette journée de commémoration, disait de Mgr Christophe que son postnom « Mwene Ngabo » signifie justement « le fils ou l’homme du peuple ». Il ressort de témoignages de beaucoup de gens qu’il a été ainsi durant toute sa vie. En étant beaucoup plus précis, l’Abbé MUKABALERA l’a dépeint par ces quelques traits : un homme simple, un homme renoncé, un homme spirituel, un homme intellectuel ou un observateur attentif et un fin analyste qui n’hésitait pas à dénoncer le mal, les situations des faits. Ailleurs, il ajoutait : « Il était ennemi n°1 du mensonge, de la tricherie et de la duplicité. Il avait un goût inné de la vérité … Pendant que les uns dormaient et que les autres buvaient et mangeaient, lui, Christophe, faisait la sentinelle ».
 
En poursuivant la pastorale de son prédécesseur, Mgr Emmanuel KATALIKO déclarait, dans son Message de Noël 1999[2], ces mots qui font office à la fois de programme d’actions et de testament : « Aujourd’hui, nous, Église, nous ne pouvons pas trahir l’espérance que Jésus nous a apportée. Nous, ses fidèles, nous sommes appelés à continuer la mission de Jésus: annoncer la vie et la vie en abondance; résister au mal sous toutes ses formes; dénoncer tout ce qui avilit la dignité de la personne… C’est au prix de nos souffrances et de nos prières que nous mènerons le combat de la liberté, que nous amènerons également nos oppresseurs à la raison et à leur propre liberté ».
 
Leurs actions
 
J’aimerais mettre en évidence ci-après quelques faits qui nous permettent de comprendre ou d’apprécier la nature de leur combat dont les Congolais devraient absolument s’inspirer. Je situe ce combat à la période qui va de juillet 1994 (début de l’afflux ou mieux de l’invasion des réfugiés hutu rwandais et burundais) au 4 octobre 2000 (mort de Mgr l’archevêque Emmanuel KATALIKO).
 
1. Après l’invasion de l’Irak en mars 2003, l’ambassadeur américain à Bruxelles a été au plateau de la télévision. A la question de savoir si l’élimination d’OSAMA bin LADEN signifierait leur victoire en Irak, il a dit que l’expérience congolaise du début des années 1960 leur a appris une chose : « le syndrome LUMUMBA« . Il évoquait la stratégie de déstabiliser un État, une organisation en coupant la tête. En tuant LUMUMBA, toutes les institutions démocratiques mises en place le 30 juin 1960 ont été démantelées ; ainsi, en tuant les deux Archevêques, on tuait la résistance du Kivu, voire du pays tout entier.
 
2. Autant ils se sont toujours montrés très critiques vis-à-vis du régime dictatorial de MOBUTU, autant ils ont condamné avec la plus grande énergie le nouvel ordre de colonisation-exploitation imposé de Washington, Tel-Aviv, Bruxelles et Londres sous le fallacieux drapeau de la « guerre de libération ». C’est pourquoi leurs messages forts faisaient peur aux conquistadors du 21ème siècle et à leurs mercenaires de l’Afrique des Grands Lacs. Ils ont refusé la soumission. Je crois que vous n’avez pas encore oublié le principe de « submit or die » qui est en vogue dans la région depuis juillet 1994. Autrement dit, ils ont préféré mourir au lieu de vivre dans l’humiliation et le déshonneur.
 
3. Leur assassinat a été relégué dans le registre des détails par la CENCO (Conférence Épiscopale Nationale du Congo) et surtout par la classe politique et la fameuse communauté internationale. Même leur cas n’est jamais évoqué dans les brouhahas individuels et collectifs qu’on entend dans les divers médias sociaux des Congolais depuis 2015. Ceux qui les honorent en font malheureusement des héros des villages alors que ce sont des héros nationaux de la stature de P.E. LUMUMBA.
 
A lire aussi : L’archevêque du RD-Congo, qui avait alerté la communauté internationale sur le sort des réfugiés rwandais, a été assassiné en octobre 1996
 
4. Dans l’exercice de la triple mission de l’évêque (mission de gouverner, mission d’enseigner et de proclamer l’Évangile et mission de sanctification), ils ont joint les actes à la parole. Ne lit-on pas dans la bible cette recommandation ? : « N’aimons pas en parole et avec la langue, mais en actes et avec vérité » (1 Jean 3 :18). C’est justement cette attitude d’enseigner par l’exemple à laquelle faisait allusion l’évêque de Ouagadougou, Mgr Philippe OUEDRAOGO le 11 août 2012 ; l’évêque, disait-il en substance, est appelé à « aimer l’Église Famille de Dieu telle qu’elle est, avec ses beautés et ses défis déconcertants, à vivre et à annoncer l’Évangile avec générosité et audace, être pour tous un Père et un maître de foi ».
 
Jetons un regard sur leurs actions.
 
Gouverner (être « serviteur du peuple »).
 
Mgr Emmanuel KATALIKO a hérité d’un diocèse, Beni-Butembo (1966), qui était jusque-là contrôlé par les missionnaires blancs. Il a dû s’atteler à la tâche de l’africanisation du clergé et à sa consolidation ; sous son magistère, l’Église catholique s’est imposée dans toutes les sphères de la vie. Il a su imposer sa marque et son autorité sur l’ensemble des territoires de Beni et de Lubero. Roger KASEREKA est de cet avis lui qui, en 2004, écrivait ceci : « L’autorité politique du RCD-ML s’effondre devant l’autorité ecclésiastique, surtout l’Église catholique très crédible au sein de la population de la région, toutes confessions confondues. Celle-ci a une large audience et requiert la confiance des habitants dans tout le territoire de RCD-ML. Elle fait siennes les revendications de la base et les canalise. De cette façon, elle captive, par ses entreprises, les hommes d’affaires de la région et les chefs coutumiers avec qui elle coopère pour la cohésion sociale des peuples de la contrée »[3].
 
Dans l’ensemble, son diocèse est resté en dehors des secousses politico-ethniques et l’insécurité qui régnaient dans le reste de la province du Nord-Kivu entre mars 1993 et août 1996, soit à la veille de l’invasion. C’est pourquoi, sa pastorale de cette époque y a été moins contrariée que dans la suite.
 
Quant à Mgr Christophe MUNZIHIRWA, il a pris en main un Archidiocèse, Bukavu en 1993/1994, au moment où il était confronté à divers problèmes d’ordre interne (clivage au sein du clergé et de la chrétienté, mégestion dans l’un ou l’autre service, l’une ou l’autre paroisse) et à la crise des réfugiés hutu rwandais et burundais. Il a été fauché au moment où il était en train d’y mettre de l’ordre et de faire le plaidoyer pour le traitement correct de la question des réfugiés et des populations locales, je dirais des faibles, des pauvres, des sans voix. Ses détracteurs l’ont traité à tort de chef des interahamwe et d’extrémiste.
 
Sa mort n’a pas réjoui que ses ennemis extérieurs, elle a réjoui aussi certains confrères au sein de la Compagnie de Jésus et de la Conférence épiscopale provinciale de Bukavu et ceux qui, au sein de son clergé, voyaient d’un mauvais œil les changements qu’il (lui la sentinelle) était en train d’introduire.

A la veille de l’invasion, il est resté pratiquement la seule autorité qui, à Bukavu, était au four et au moulin, les autorités politico-administratives et militaires ayant pris la poudre d’escampette. Il a été tué quand il venait de présider une réunion si pas de sécurité, du moins de vigilance. Il savait qu’il allait être tué ; mais, il est resté serein jusqu’à la dernière minute. Père Simon-Pierre METENA M’NTEBA, Provincial des Jésuites, l’atteste dans les lignes qui suivent : « Mzee MUNZIHIRWA était un ancien, un sage … Je me rappelle encore la dernière conversation que nous avons eue ensemble en septembre dernier, l’avant-veille de son retour à Bukavu. Il me disait : ‘Ne sois pas étonné d’apprendre la mauvaise nouvelle, prie seulement pour que le Seigneur et la Vierge-Marie nous accompagnent jusqu’au bout du chemin’. À ma réaction un peu sceptique qui lui reprochait de voir les choses en noir, il m’a répondu avec son sourire si caractéristique et qui semble dire à son interlocuteur » Tu ne sais pas les enjeux, tournons la page, plus tard, tu comprendras »[4].
 

photo france-rwanda.info


 
D’aucuns attestent que lorsqu’on lui a appris qu’il allait être tué, la réponse aurait été la suivante : « Qu’on me tue ». Il fallait être Mzee MUNZIHIRWA pour réagir de la sorte. C’est le signe d’un courage et d’un engagement exceptionnels car quelqu’un d’autre à sa place aurait pris la fuite et laissé ses fidèles. Il a préféré mourir au milieu d’eux. Quel bel exemple !
 
Enseigner et propager l’Évangile (être « serviteur de la Parole »)
 
Mgr l’Archevêque Christophe MUNZIHIRWA et Mgr l’Archevêque Emmanuel KATALIKO ont, comme dit la bible, parlé à temps et à contretemps, c’est-à-dire en usant de « la liberté de parole au nom de l’Évangile ». Leur source d’inspiration se trouve sans doute dans 2 Tm, 4,2 où il est dit ceci : « … proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, encourage mais avec patience et souci d’instruire »..
 
Mgr Christophe MUNZIHIRWA fit face aux défis de la crise des réfugiés et de l’invasion du pays par des armées multinationales sous l’étiquette de l’AFDL.
 
Dans ses homélies, ses lettres pastorales et correspondances, il ne cessait de dénoncer l’arbitraire du régime de MOBUTU, notamment les abus dont les agents de l’ordre étaient coupables, le transfert de problèmes politiques et ethniques du Rwanda et du Burundi au Zaïre, la complicité des grandes puissances dans la tragédie rwandaise et la politique raciste, hégémonique et suicidaire du FPR, les infiltrations et l’encerclement de la ville de Bukavu par les militaires du FPR et ses alliés, … […] Contrairement à tous ceux qui les analysent sous la grille exclusivement ethnique, il a situé tous les évènements tragiques du Kivu, voire du pays alors Zaïre dans la géopolitique régionale et internationale : « La violation des droits de l’homme fait que notre continent est devenu le continent des réfugiés. Sur les quelques 15 millions de réfugiés dénombrés dans le monde, il y en a plus de 6 millions qui se trouvent en Afrique…Nous sommes particulièrement touchés par ce qui se passe sur les collines proches de chez nous, le Zaïre. Au Burundi, puis au Rwanda, des guerres fratricides n’arrivent pas à s’apaiser ; leurs conséquences sont incalculables. Nous avions cru à une bourrasque ; mais au Rwanda la violence est devenue une tempête de longue durée que la sagesse nationale n’a pas pu arrêter. […] »[7].
 
Dans son message du 22 octobre 1996, il fut plus explicite : « Comme lors de l’invasion du Rwanda, la population et le clergé sur place se rendent compte que cette invasion a été longuement et soigneusement préparée pour occuper une partie du Zaïre. Les hommes de guerre qui sont sur place parlent anglais, alors que les Zaïrois, y compris les Banya-mulenge parlent français. On les voit s’installer à des endroits stratégiques et y déterrer les armes depuis longtemps cachées sous le sol dans les villages où résident les simples Banya-mulenge illettrés. Ceux-ci sont alors accusés d’avoir été de connivence avec les envahisseurs… Cette guerre surprise a comme intention réelle, déclarée de temps en temps en kinyarwanda, d’empêcher le retour des réfugiés rwandais chez eux et de faire souffrir ce Zaïre qui a hébergé pendant trente ans les Tutsi actuellement à la tête du Rwanda. Prière d’ »alerter les Nations-unies, le Gouvernement américain, le Gouvernement Allemand et l’Union Européenne de nous venir en aide ». Il oubliait, par moment, que toutes ces institutions étaient les commanditaires de ce qui arrivait au Zaïre et dont les effets néfastes se sont amplifiés depuis lors jusqu’aujourd’hui à la fin de l’année 2018.
 
Face à tous ces problèmes, il préconisait le règlement de la crise des réfugiés dans leurs pays ; ce qui suppose l’arrêt des tueries et un vrai programme de réconciliation nationale au Rwanda et au Burundi. Il demandait au gouvernement congolais de jouer un jeu franc dans la gestion de cette crise où la carte du FPR s’imposait visiblement. Je me rappelle que lorsque le gouvernement de Léon KENGO a rapatrié de force plus de 10.000 réfugiés en sachant ce qui les attendait là-bas, il a dit à peu près ceci : on a l’impression que nos autorités sont prêtes à vendre leurs citoyens comme le faisaient des chefs africains aux temps de la traite des Noirs.
 
Joseph SAGAHUTU, un prêtre hutu (réfugié rwandais) qui a travaillé à un moment à Burhale (paroisse natale de Mgr MUNZIHIRWA), donne ce témoignage sur Mgr MUNZIHIRWA : « Au cours de notre conversation que j’ai eue avec lui avant de me rendre à Burhale et qui n’a duré qu’une trentaine de minutes, il me parle des prophètes du temps de l’exil à Babylone pour conclure que l’on devait combattre toute atteinte à la dignité humaine et surtout encourager les réfugiés à espérer car le désespoir était, en effet, leur première tentation… Partageant l’angoisse des réfugiés dont le sort était désormais devenu le sien et de tous les siens, l’archevêque de Bukavu exhortait ses fidèles et surtout les réfugiés si menacés à la conversion des cœurs et à la solidarité. Dans sa lettre pastorale adressée à « ses frères et sœurs réfugiés » en date du 18 novembre 1995, il dit : ‘Ces souffrances de l’exil doivent être une purification pour préparer un avenir meilleur, plus lucide et plus solidaire. C’est la division ethnique et régionale qui a mis votre patrie à sang et à feu’. Espérer contre toute espérance, malgré les problèmes insurmontables que vivaient tous les jours les réfugiés rwandais et burundais au Zaïre (RDC), voilà le message central de sa lettre pastorale dans laquelle il invitait les chrétiens à entrer dans la dynamique de Jésus-Christ, fils de Dieu ‘qui naît petit à petit dans la déchirure de l’histoire humaine, et qui sait qu’il mourra sur la Croix pour sauver le monde’ « [8].
 
Mgr MUNZIHIRWA a demandé à ses confrères d’Europe d’aider les Congolais de cette partie du pays meurtrie à diffuser la bonne information en dénonçant la politique nocive de leurs gouvernements et médias qui sont à leur service. Il demandait aux gens de ne pas déserter leurs résidences et leurs champs car l’objectif était de les contraindre à fuir pour s’y installer : « Bien Chers, restez dans vos paroisses. Ne vous laissez pas intoxiquer par les médias étrangers, qui sont à la solde des lobbies qui soutiennent le gouvernement du Rwanda. C’est par elles que l’armée du FPR organise l’intoxication de la population pour créer la panique. Ne vous laissez pas non plus intoxiquer par les militaires qui n’ont pas été sur terrain et qui n’ont pas vu l’ennemi…Soyons unis pour sauver la nation »[9].
 
A l’occasion, il rappelait à ses frères que les ancêtres n’ont jamais laissé une moindre portion du Bushi à passer entre les mains d’un envahisseur étranger et les exhortait à ne pas trahir cette tradition : « En 1964, quand le gouvernement provincial prit les armes aux côtés du colonel MULAMBA et des vaillants soldats, KABARE et NGWESHE et LUNGANGI avaient déjà alerté la population pour ne pas permettre aux rebelles de pénétrer chez eux. Cette partie de notre histoire devra nous servir d’exemple. Ne laissons pas l’ennemi pénétrer chez nous. Ne laissons un libre accès en fuyant notre ville. Et ne prêtons pas oreille à tous ceux qui de loin débitent des mensonges pour semer la panique et la zizanie « [10]. Malheureusement ce message n’est pas passé car, au Bushi, par exemple, plusieurs membres de l’élite intellectuelle corrompue ont choisi de servir l’ennemi, le paroxysme ayant été atteint avec la création du fameux Mudundu40[11] par l’Armée Patriotique Rwandaise et le RCD-Goma. […]
 
Mgr Emmanuel KATALIKO fit face au régime FPR/AFDL/RCD ou au régime d’occupation. Il a été témoin des massacres massifs et sélectifs à répétition, du démantèlement des infrastructures économiques et sociales et du transfert des outils de production au Rwanda, au Burundi et en Ouganda, de l’occupation, voire de l’appropriation illégale des biens meubles et immeubles par les envahisseurs, etc.
 
Ayant compris que les véritables acteurs (commanditaires ou « silent actors ») de cette politique génocidaire sont des impérialistes euro-américains qui, à travers une petite poignée d’Africains, Congolais y compris, voulaient mettre la main basse sur les richesses du Congo, c’est à eux que beaucoup de messages étaient adressés :
 
« La victoire de l’ethnie Tutsi en 1994, a jeté sur notre territoire congolais une marée de réfugiés hutu estimée à près de deux millions. Deux ans après, en 1996, une petite rébellion des Banyamulenge, (Tutsi d’origine rwandaise depuis longtemps sur le sol congolais), embrase toute la région et puis tout le pays, sous prétexte de revendication de nationalité. En fait ce n’était qu’un prétexte puisqu’on s’est aperçu que l’objectif proche était de détruire, sur le sol congolais, les camps.
 
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La population locale s’est étonnée de voir qu’une armée puisse détruire des camps des réfugiés sous protection de l’ONU sans qu’il ait eu la moindre protestation ni condamnation de la part de la communauté internationale… Nous ici localement, nous devons tout subir et nous taire, en tout cas nous n’avons pas le droit d’être entendus parce qu’il y a eu le génocide qui est la cause suprême, il en va de même de l’attitude que doivent adopter toutes les nations ainsi que la communauté internationale pilotée par les USA. En effet, on joue beaucoup sur le sentiment de culpabilité de la communauté internationale face au génocide de 1994. Le régime de Kigali capitalise sans relâche sur le génocide en rappelant continuellement aux Occidentaux leur apathie et leur non-intervention face à cet événement. Mais ce régime oublie que son plus grand allié, les USA, a forcément influencé le Conseil de sécurité de l’ONU dans la résolution du 27 avril 1994, pour mettre fin à la mission de la MINUAR juste au moment où il aurait été important d’en renforcer son dispositif pour éviter le pire. Au contraire, on a laissé faire, donnant carte blanche au FPR. Donc tout serait permis au régime de Kigali, pourvu qu’il rappelle à une communauté internationale qui se sent coupable de son inaction dans le génocide de 1994″[13].
 
« Des pouvoirs étrangers, avec la collaboration de certains de nos frères congolais, organisent des guerres avec les ressources de notre pays. Ces ressources qui seraient pour le développement, pour l’éducation de nos enfants, pour soigner les malades, pour nous faire vivre d’une manière plus humaine, servent à tuer… Notre Pays et nous-mêmes, nous sommes devenus des objets d’une exploitation qui est appuyée par une stratégie de la terreur »[14][…]
 

Mgr Emmanuel Kataliko


 
Leçons à tirer de leurs actions
 
Les deux prélats nous ont appris à ne jamais nous résigner face aux tragédies qui secouent le Kivu et le pays, à parler[19] et à nous engager dans des actions visant à défendre cet espace vital. Nous connaissons le prix à payer s’il en est besoin : c’est le sacrifice suprême. […]
 
Les deux prélats ont assumé courageusement et honnêtement leurs responsabilités de pasteur et de conducteur d’hommes ; dans ce sens, ils ont servi de modèle de leadership et de levain dans une société en profonde crise. Comme ils l’ont démontré plus d’une fois, ils ont appliqué l’adage selon lequel « si l’on veut affronter, combattre un mal, il faut le nommer, l’appeler par son nom ». Ci-après un cas parmi d’autres : « États voisins. ‘Nous demandons aux gouvernements de Kigali et de Bujumbura de régler leurs problèmes internes chez eux et de ne pas les exporter chez nous au Zaïre. Nous demandons spécialement aux Tutsis du Rwanda (c’est moi qui mets en gras et souligne), que nous avons maintes fois accueillis comme réfugiés, de ne pas cracher dans le puits où ils ont bu. Aujourd’hui, ils nous récompensent par des bombes. Qu’ils se rappellent que l’histoire tourne » (Mgr Christophe MUNZIHIRWA, 27.10.1996) »[21].
[…]
 


 
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Les deux prélats ont dénoncé toute manifestation de haine[22] et d’intolérance, appelant l’unité des Congolais dans la lutte contre l’invasion et l’occupation du pays par des groupes d’intérêts étrangers. Ils égratignaient au passage les collabos, y compris certains de leurs confrères dans l’épiscopat. L’une des preuves est cette interpellation faite par Mgr Emmanuel KATALIKO à partir de son exil forcé à Butembo à Mgr Faustin NGABU (ancien président de la CEZ/Conférences Épiscopale du Zaïre) suite à ses accointances manifestes avec le RCD-Goma:
 
« … Excellence, je suis quelque peu forcé à cet éloignement, c’est, je l’espère bien, à cause de mon « Message de Noël 1999 » aux chrétiens de mon archidiocèse, dont maintenant l’opinion internationale est saisie et qui n’a rien d’incendiaire. N’en déplaise à ceux qui lui prêtent des intentions diaboliques, c’est un message d’espérance qui en appelle à la conversion de tous pour voir en face nos malheurs, pour sortir du marasme socio-politique qui nous plonge dans la misère sans nom qui ne fait que s’aggraver….dans le message me transmis, par votre méditation, de la part de M. le Président ILUNGA, branche RCD/Goma, l’aspect de conversion et de réconciliation attendu de mon message, a été occulté. Quel rapport direct établir entre ce message élaboré dans un contexte précis d’un peuple écrasé, meurtri et humilié pour des mobiles idéologiques nébuleux et mon passé comme ancien pasteur de Butembo-Béni ? …[23].
 
C’est cette sale réalité qu’a mise en évidence l’Américain Timothy LONGMAN qui, dans un texte intitulé « Congo : a Tale of Two Churches » (in America Magazine, 2 April 2001) a opposé les diocèses de Bukavu et de Goma en décrivant le premier comme proche du peuple et le dernier proche du régime criminel du RCD-Goma :
 
« In Bukavu, the Catholic Church has been a constant voice for social justice” giving the example of Archbishops Monsignor Christophe MUNZIHIRWA and Monsignor Emmanuel KATALIKO who payed the highest price with their assassination by the RPF/RCD-Goma. In contrast, the Catholic Church in Goma has played a much less constant prophetic role ».
 
L’intéressé ne le cache pas car, dans deux lettres adressées à Azarias RUBERWA en date du 15 décembre 2000 et reprises dans notre dernier livre collectif « L’Entre-deux-lacs, Kivu et Édouard »[24], Mgr NGABU lui demandait de mettre hors d’état de nuire un commerçant de Goma qu’il accusait de collaborer avec Kinshasa et d’avoir aidé trois de ses prêtres à fuir vers le Kenya et de fermer les frontières pour les autres prêtres qui tenteraient de déserter son diocèse.
 
Prof. Dr Stanislas Bucyalimwe Mararo
 


 
Notes
[1] https://www.youtube.com/watch?v=Yg6kPY7QC3M.
[2]NDLR : le texte de ce message a été publié dans le numéro 192 (Noël 1999-Nouvel an 2000, 38ème année) de la revue L’Africain, pages 1-2.
[3] Dynamique locale et géopolitique des Grands Lacs : cas du territoire sous contrôle du RCD-ML. Mémoire de maîtrise, IOB, 2004.
[4] Simon-Pierre METENA M’Nteba, « L’homélie faite à Kinshasa-Gombe en l’Église du Sacré-Cœur le 9 novembre 1996 « , in Memoriam Mgr Christophe, serviteur et témoin. Bukavu, Éditions Loyola, 1997, p. 15.
[5] Mgr Christophe MUNZIHIRWA, Lettre à Mr l’Ambassadeur des États-Unis d’Amérique à Kinshasa. Concerne : évolution inquiétante de la situation au Sud-Kivu. Bukavu, le 3 juin 1996, p.1.
[6] Ce n’est pas étonnant car l’extermination des Hutu par le FPR est attestée par un ancien soldat, Jonathan MUSONERA, qui explique comment le FPR a planifié et massacré systématiquement les populations, notamment les intellectuels, de Byumba, Mutara et Kibungo ‘ https://www.youtube.com/watch?v=ZxsbK5dGn9U ). Pour les détails, lire Abdul Joshua RUZIBIZA, Rwanda. L’histoire secrète, 1990-1994. Editions du Panama, 2005 ; Davd HIMBARA, KAGAME’S Killing Fields. Page Numbers Source, July 2017; Judi REVER, In Praise of Blood. The crimes of the Rwandan Patriotic Front. Random House Canada, March 2018.
[7] Christophe MUNZIHIRWA, Les nations veulent-elles se servirde l’Afrique des Grands Lacs ? L’Église devant le défi de la violence et de l’hypocrisie. Bukavu, le.. octobre 1996, pp. 1-2, 5.
[8] Joseph SAGAHUTU, Espérer contre toute espérance. Témoignage d’un rescapé de massacres de religieux au Congo. Éditions Source du Nil, 2009, pp. 3-5.
[9] Mgr Christohe MUNZIHIRWA, Lettre aux Curés et aux Vicaires. Objet : Restez fermes dans la charité. Bukavu, le 27 octobre 1996, p. 1. C’était deux jours avant son assassinat. Comme pour dire, il est mort au front.
[10] Idem, p . 2.
[11] MESEP, Walungu après les Mudundu40 : Etat des lieux. Bukavu, avril 2003 ; ADEPROSA asbl, Les territoires de Walungu et de Kabare à feu. Bukavu, le 21 avril 2003..[12] Mgr Sébastien Muyengo, » Mgr MUNZIHIRWA modèle et martyre de l’Église en République Démocratique du Congo « , in La Croix, 29 octobre 2016. Ayany succédé au très controversé Mgr Jérôme GAPANGWA déposé par le Vatican pour son implication avérée dans l’invasion des Tutsi, il est l’auteur de deux livres sur Mgr Christophe : MUNZIHIRWA : Mgr Christophe MUNZIHIRWA, la Sentinelle de Grands Lacs et: Mgr Christophe MUNZIHIRWA, un prophète levé chez nous ou Mgr Christophe MUNZIHIRWA, un prophète enlevé chez nous.
[13] Mgr Emmanuel KATALIKO, Un cri de détresse du peuple congolais au peuple des USA, Bukavu, le 24 décembre 1998. NDLR : On peut trouver le texte intégral sur le lien https://l-hora.org/?p=5321&lang=fr
[14] Mgr Emmanuel KATALIKO, Message de Noël 1999 aux fidèles de Bukavu. Bukavu, 25 décembre 1999.
[15] « Mgr Emmanuel KATALIKO, mort comme il a vécu » (ANB-BIA, Bruxelles, 11 octobre 2000.
[16] « La fonction de sanctification de l’Église » (http://www.vatican.va/archive/FRA0037/_P2P.HTM ).
[17] D’après le Concile Vatican II, l’évêque est appelé à » présider aux trois missions de l’Église » (https://liturgie.catholique.fr/accueil/mariage-et-ordre/lordre/lordination-episcopale/15976-presider-aux-trois-missions-de-leglise ).
[18]Justin NKUNZI, La pastorale Justice et Paix dans l’Archidiocèse de Bukavu. 25 ans de combat pour la promotion de la dignité humaine. Bukavu, Edition de l’Archidiocèse, août 2013, Commission Justice et Paix, Situation socio-pastorale actuelle du diocèse de Butembo-Beni. Butembo, novembre 2015.
[19] Le silence face à l’occupation et aux malheurs des Congolais serait un signe de complicité. Ainsi, nous ont-ils invités à parler, à dénoncer constamment ce qui ne va pas bien dans le pays, dans notre entourage!
[20]MABIKA KALANDA, » Pourquoi, en quoi et comment imiter Lumumba ? « , in Analyses sociales, vol.VIII, n°1, Janvier 2002, p. 19.
[21]« La RD Congo en 1996….. « , http://www.afriquespoir.com/cibles/page18.html Écrivant 17 ans après Mgr Christophe MUNZIHIRWA, Antoine Roger LOKONGO arrive à la même conclusion: » NOT TUTSI VULNERABLE IN CONGO, CONGOLESE ARE.The Tutsi have been the perpetrators of a genocide in Congo. It is unacceptable for them to use blackmail so as to entice the international community to sweep the crimes they have committed in Congo under the carpet and make themselves the untouchables… and continue to loot the wealth of Congo, rape, kill, occupy land from which Congolese have been forcefully removed. Numerous UN Security Council reports have ascertained this and the fact that Rwanda now sits in the UN Security Council as a non-permanent member could not be more ironical », LOKONGO, A. R., « Rwanda- The Tutsi Contradictions and Paul KAGAME’S War Crimes in Congo. A Response to KIMONYO, in Pambazuka News, Issue 614, 24 January 2013.
[22] » La haine fait surgir les conflits, alors que l’amour couvre toutes les fautes » (Proverbes 10 :12). Dans l’amour, on sent la dimension de tolérance.
[23] Lettre de Mgr Emmanuel KATALIKO à Mgr Faustin NGABU, Butembo, le 14 mars 2000, (http://benilubero.com/un-message-du-feu-mgr-KATALIKO-qui-a-tout-dit-et-predi
[24]Éditions Scribe, juillet 2018, pages 519-520.
[25]Nouvelle Revue Théologique, 2003/1, Tome 125, pp.65-76.
 
L’intégralité de la conférence est parue dans www.lafricain.net

 

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