Retour sur un massacre. La destruction de Tingi Tingi

Paul Kagame a récidivé. Entre 1996 et 1998, sous le couvert de l’AFDL de Laurent Désiré Kabila, son armée a massacré des centaines de milliers de réfugiés hutu à travers tout le territoire congolais :  Kibumba (octobre 1996), Mugunga et Osso (novembre 1996), Hombo et Biriko (décembre 1996) dans la province du Nord-Kivu ; Kashusha et Shanje (novembre 1996) dans la province du Sud-Kivu ; Tingi-Tingi et Lubutu (février-mars 1997) dans la province du Maniema, et Boende (avril 1997), …

 

Au mois de décembre 2019, cette même armée rwandaise, avec la complicité de l’armée congolaise, a attaqué la région de Kalehe au Sud Kivu. Des morts se comptent par milliers car les soldats rwandais au sol, appuyés par des hélicoptères de combat, ont massacré sans répit les pauvres réfugiés sans défense. Près de 2000 rescapés furent capturés et séquestrés dans le camp militaire de Nyamunyunyi où ils mouraient journellement par la faim doublée de mauvais traitements. Le CICR a protesté mais en vain.

 

Cette énième attaque des réfugiés hutu en RDC nous pousse à revenir sur un autre massacre horrible, celui de Tingi Tingi.

 

Tingi Tingi reste célèbre dans la mémoire collective des rwandais rescapés de la chasse à l’homme par les rebelles coalisés de Laurent-Désiré Kabila et de Paul Kagame. Dans leur fuite, les réfugiés hutu arrivent au Maniéma et à bout de souffle, ils font un campement à Tingi-Tingi. Le 2 février 1997, ils reçoivent la visite de Madame Emma Bonino, alors Commissaire européen à l’Action Humanitaire. Madame Emma Bonino fut sidérée de voir cette masse de réfugiés aussi émaciés et squelettiques au point qu’elle déclara, en découvrant ces réfugiés, que sa visite à Tingi Tingi constituait une descente aux enfers.

 

Emma Bonino lança un appel pathétique à la Communauté Internationale l’invitant à venir en aide aux réfugiés rwandais. Ces derniers verront enfin leur traitement s’améliorer peu à peu dans le courant du mois de février 1997. Hélas, pour une courte durée, puisque vers fin février 1997 déjà, toutes les ONG se retirent du camp de Tingi Tingi en alléguant les problèmes d’insécurité ! En réalité, elles avaient eu vent de l’information sur la destruction prochaine des camps et l’insécurité invoquée n’était qu’un alibi.

 

C’est dans ce contexte tendu qu’interviendra, le 7 février 1997, la visite, au camp Tingi Tingi, de Madame Sadako Ogata, alors Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Loin de satisfaire les attentes de la population, cette visite se passa plutôt dans un climat d’écœurement et de découragement général parmi les réfugiés, car Sadako Ogata ne put promettre aux réfugiés ni la survie, ni la sécurité, ni la protection. Pourtant, les « rebelles », qui s’étaient déjà emparés, dans l’après-midi du 13 janvier 1997, du pont stratégique sur la rivière Oso, continuaient inexorablement leur progression vers Amisi, à quelques kilomètres de Tingi Tingi. Comme par hasard, le séjour de cette illustre personnalité du HCR correspondra avec l’attaque des « rebelles » sur le camp des réfugiés rwandais d’Amisi.

 

 

 

À la suite de la destruction du camp d’Amisi, les réfugiés reprendront le chemin du supplice, après avoir enregistré de fortes pertes en vies humaines sur place, principalement parmi les enfants, les femmes et les vieillards trop épuisés pour pouvoir encore marcher. Les rescapés pourront seulement passer quelques jours dans le camp de Tingi Tingi, avant de se voir de nouveau obligés de reprendre l’exode, lorsque, le 1 mars 1997, le camp sera attaqué par les « rebelles ».

 

L’état de santé fragile des réfugiés sautait aux yeux. Il est donc évident que, de nouveau, beaucoup de réfugiés mourront dans le camp de Tingi Tingi, parce qu’ils seront tout simplement incapables de se déplacer. Les médias internationaux ont fait état de plus de 25.000 réfugiés morts dans cette attaque de Tingi Tingi qui abritait au total environ 260.000 réfugiés.

 

La destruction des camps de Tingi Tingi fut précédée, comme ailleurs, par une intense campagne médiatique de diabolisation des réfugiés hutu au point de leur prêter des exploits militaires imaginaires contre les rebelles de l’AFDL de Laurent Kabila. En clair, l’intoxication visait à présenter ces camps comme des objectifs militaires et ainsi justifier à priori une offensive sur eux. Toute voix qui a tenté de mettre à découvert cette machination se fera traiter de tous les noms sous prétexte qu’elle « tentait d’amener la communauté internationale à sympathiser avec des criminels ».

 

Les rescapés de Tingi Tingi seront achevés tout le long du parcours de plus de 250 kilomètres vers Kisangani, notamment à Kasese et à Biaro où les « rebelles » ont encerclé, pendant plus de 4 jours le gros de ces infortunés. Plusieurs ONG sur place, qui n’ont pas été autorisées à voir les réfugiés, parlèrent déjà de la solution finale en accusant les « rebelles » de vouloir exterminer ces réfugiés par la faim. C’est par exemple le cas de Stephen SMITH, dans Libération du 20 mai 1997.

 

De même, le Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, accusa Laurent Kabila et ses « rebelles » de vouloir en finir avec les réfugiés, en les tuant à petit feu par la faim. De son temps, son prédécesseur Boutros Boutros Ghali avait tenu les mêmes propos pour dénoncer le complot ourdi contre les réfugiés, en empêchant l’arrivée de la « Force Internationale d’Intervention Humanitaire » à l’Est du Zaïre. Il avait dit qu’il s’agissait d’un « génocide par la faim » mais, malheureusement, il n’avait pas été écouté par ceux qui avaient le pouvoir d’arrêter ce génocide.

 

Finalement, à peine 100.000 personnes atteindront Kisangani et les environs. Même cet effectif, aussi ahurissant qu’il paraisse de part le nombre de manquants, ne fait pas l’unanimité, puisque même le porte-parole du HCR, Paul Stromberg, refusera de donner aux journalistes un quelconque chiffre exact, alors qu’il avait tous les moyens de le savoir. A-t-il eu peur ou honte de le dire ? Seule l’histoire le dira. De 260.000, les réfugiés seront ainsi réduits à 100.000 en quelque temps. RFI, au 25 avril 1997, parlera même de 85.000 personnes. Où sont donc parties les autres, soit environ 160.000 personnes ?

 

Le témoignage récent (mars 2017) de l’avocat américain Reed Brody qui a fait partie d’une équipe des enquêteurs qui s’est rendue sur place quelques mois plus tard après ce massacre donne de la chair de poule : « Quelque 190.000 réfugiés hutus rwandais ont été massacrés dans les forêts de l’est du Congo-Kinshasa, notamment dans la clairière de Tingi Tingi ». Il signale même qu’il a subi des pressions américaines pour ne pas enquêter sur ce massacre.

 

Gaspard Musabyimana

 

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