Contribution au débat entre le Professeur Laurien Uwizeyimana et le Dr Charles Nzabagerageza.

Le 05 octobre 2020, « Echos d’Afrique » a publié les remarques et commentaires qu’a émis le Dr Charles Nzabagerageza suite aux déclarations que le Professeur Laurien Uwizeyimana avait émises sur Radio Urumuri

Le Dr Charles Nzabagerageza s’est alors longuement exprimé en tant qu’un intellectuel rwandais de la période post-coloniale, comme un ancien cadre politique de la IIè République (1973-1994) et surtout comme un “Umushiru” une catégorie que le Professeur Laurien Uwizeyimana avait longuement décrite dans son interview. Il faut donc reconnaître que le Dr Nzabagerageza est particulièrement bien indiqué pour commenter les propos du Professeur Uwizeyimana.

Cependant , l’on me permettra de relever  modestement quelques détails qui manquent au débat et qui pourtant pouvaient l’enrichir et permettre l’interprétation de certains faits et dires inculqués à l’opinion. Je me limiterai simplement sur les aspects militaires du débat et là encore, en restant strictement sur le plan technique.

 

La vérité sur l’assassinat du colonel Mayuya: avril 1988

 

Sur le Maj BEM Mutambuka

 

Le Major Mutabuka Gaspard n’était pas au Rwanda en Avril 1988 quand le Sergent Biroli a tiré à bout portant sur le Colonel Mayuya alors Commandant du Camp Kanombe et du Bn Para Cdo.

Le Maj Mutambuka était alors à Bruxelles où il était arrivé en septembre 1987 pour suivre le Cours d’Officiers Supérieurs et ensuite le Cours Supérieur d’Etat Major (BEM) qu’il a achevé en 1989 et ensuite est rentré au pays et affecté à Kanombe comme S3 du Bn LAA alors commandé par le Colonel Bagosora.

 

Pour rappel, le Major Mutambuka (alors Cdt à l’époque) avait été G2 a.i à l’EM AR de 1986 à 1987 quand le Major Anatole Nsengiyumva qui était le G2 en titre était allé suivre un stage à l’Ecole de Guerre à Paris. C’est dès le retour du Maj Nsengiyumva en 1987 et après lui avoir remis le SV G2 qu’il venait de gérer pendant près de deux ans que le Cdt Mutambuka fut envoyé à son tour au stage à Bruxelles.

 

Colonel Mayuya

Après l’assassinat du Colonel Mayuya en avril 1998, le Major Mutambuka n’a donc pas fait partie de la commission d’enquête mise en place pour cette affaire car il était encore en Belgique d’où il n’est rentré qu’en 1989.

 

Les officiers arrêtés suite à l’assassinat du Col Mayuya que sont : Le Lt Col Ndibwami, le Lt Col Nkuliyekubona et le Major Havugwintore le furent fin 1988. Tandis que le Major Mutambuka fut arrêté le 02 octobre 1990 au lendemain de l’invasion du Rwanda par le FPR. Il était soupçonné d’avoir eu des contacts avec les agents ennemis infiltrés dans Kigali en préparation de l’attaque. Par la suite, il fut libéré et réintégré dans l’armée en même temps que ces officiers liés à l’affaire Col Mayuya, d’où peut-être la confusion avec ces deux affaires totalement différentes.

 

Le bras armé derrière l’assassinat du Colonel Mayuya par le Sgt Biroli

 

Les signes avant-coureurs

 

Il faut d’abord souligner que le Sgt Biroli venait à peine de rentrer d’un  stage effectué en Belgique, plus précisément au Centre  Logistique de Heverlee et où il a suivi le cours de sous-officier de la logistique qui dure 6 mois. Son comportement étrange et ses contacts non recommandables chez un sous-officier de l’Armée rwandaise de l’époque en mission à l’étranger  ont été révélés par d’autres sources.

 

De retour au Rwanda il fut tout naturellement affecté dans l’unité logistique de l’Armée à savoir la Base AR dans sa branche “Quartier Maitre (QM)” qui était casernée au Camp Kanombe. Signalons que le Quartier Maitre s’occupe du domaine de ravitaillement en vivres, habillement et équipement de l’Armée. Le camp Kanombe abritait outre l’unité QM de la Base Logistique mais aussi et surtout les unités opérationnelles et combattantes comme : le Bataillon Paracommando (BN Para Cdo), la Batterie d’Artillerie de Campagne (Bie AC), la Compagnie de Génie Militaire (Cie Gn), le Bataillon d’artillerie anti-aérien légère. Bn LAA).

 

En 1988, seuls les militaires des unités opérationnelles fournissaient la garde pour le principal Corps de Garde du camp en face du bureau du Comd camp et celle de l’entrée principale du camp. Les unités logistiques du camp fournissaient des gardes pour leurs installations propres.

 

C’est au cours d’une causerie morale avec les militaires de son camp début 1988 tenue par le Comd du camp le Colonel Mayuya comme il le faisait chaque mois, que le Sgt Biroli demanda la parole pour poser une question. Il demanda au Comd du camp pourquoi les militaires des unités logistiques ne montaient pas la garde à l’entrée principale du camp ou au corps de garde principal. Le Colonel Mayuya répondit que ceci était dû au fait que les militaires des unités opérationnelles étaient les plus disponibles pour cette garde tandis que ceux des services logistiques étaient souvent pris par  leurs activités techniques. Il ajouta que si les commandants de ces unités peuvent disponibiliser des militaires sous leurs ordres pour assurer la garde comme ceux des unités opérationnelles, il n’en était pas opposé par principe. Quelques temps et après coordinations des sous-officiers d’unités qui nommaient les gardes, il fut admis que la Cie QG de Kanombe pouvait aussi fournir une garde au corps de garde et à l’entrée du camp.  Le 18 avril 1988, c’était donc le Sgt Biroli de la Cie QM qui pour la première fois était Chef de poste au Corps de garde du Camp Kanombe devant le Bureau du Comd camp et donc qui devait dans ses consignes lui rendre les honneurs à son entrée et sortie. La suite on la connait.

 

En 1987, après la création du FPR en Ouganda sous la supervision des services secrets et diplomatiques  américains, les renseignements rwandais ont par hasard eu accès à un document d’analyse qui répondait à la question de savoir d’où réside la force du Président Habyarimana et quelles seraient les personnes qui constituent sa force et qui sans elles, il ne serait plus rien et serait ramassé comme une feuille morte. Le document citait les noms des officiers  qui constituaient selon eux les piliers et l’ossature du régime de Habyarimana. Il était question de : Col Serubuga Laurent, Col Mayuya Stanislas, Col Sagatwa Elie, Lt Col Ndibwami Déogratias et du Maj Rwendeye Ildephonse.

Major Rwendeye

En 1988, le Major Rwendeye échappa de justesse à une tentative d’empoisonnement quand il était de passage à Gisenyi chez Valens Kajeguhakwa. Le verre qui lui était destiné fut avalé par un autre convive par inadvertance et celui-ci rendit l’âme quelques jours après.

En 1989, des rumeurs persistantes faisaient état de l’imminence d’un coup d’état militaire qui devait être  opéré par le Maj Rwendeye qui commandait la seule unité blindée  de l’AR, le Bn Recce caserné au camp Kigali.

 

La rumeur était d’autant plus alarmante qu’elle prétendait que le Major Rwendeye était sûr de bénéficier de l’appui nécessaire venant de son camarade de promotion (1972) à l’Ecole des Troupes blindées de Belgique à Stockem, le Major Pierre Buyoya qui venait de prendre le pouvoir au Burundi en renversant le Colonel Bagaza en 1986. Comme la rumeur persistait et atteignait tous les milieux, le Major Rwendeye dû demander une audience chez le Président (en termes militaires  aller au  rapport du Chef d’Etat-Major ) pour lui réitérer sa loyauté et lui affirmer qu’en aucun cas il n’a eu l’idée et même jamais songé à effectuer un coup d’état. Les milieux pro-FPR et les services des renseignements des puissances qui préparaient sa conquête militaire du pays avaient pensé que dès que Habyarimana apprendrait le nom de l’officier qui préparerait un coup d’état contre lui, il le neutraliserait tout de suite sans savoir qu’il se dénudait. Heureusement pour ce coup, il ne tomba pas dans le piège. Mais ce n’était que partie remise.

 

Les faits et leur interprétation

 

Après l’assassinat du Col Mayuya en avril 1988, des rumeurs persistantes affirmaient que les Col Serubuga et Sagatwa seraient les commanditaires de cet assassinat. N’eussent été la clairvoyance et la sagesse du Président Habyarimana, ces officiers auraient été écartés dans la foulée après la mort du Col Mayuya, celui qui avait été jugé par les analystes du FPR avec quatre autres officiers comme devant être neutralisés d’une façon ou d’une autre pour isoler et affaiblir le Président Habyarimana. Malheureusement un autre officier cité dans la même analyse fut effectivement écarté suite à l’assassinat du Col Mayuya. Il s’agit du Lt Col Ndibwami Deogratias. Ainsi donc malgré la clairvoyance du régime Habyarimana le FPR venait de faire d’une pierre deux coups : assassiner le Colonel Mayuya et faire écarter pour cet assassinat d’autres officiers jugés des piliers de Habyarimana.

 

Lorsque les éléments tutsi de l’Armée régulière de l’Ouganda ont envahi le Rwanda à partir du poste frontalier de Kagitumba et sous l’appellation de “FPR”, l’unité que commandait le Major Rwendeye à savoir le Bataillon de Reconnaissance, fut parmi celles qui iront à la rencontre de l’envahisseur, qui le stoppera avant de le repousser dans ses bases arrières en Ouganda le 30 octobre 1990.

 

Il s’en est suivi une opération dite de ratissage pour débusquer et mettre hors d’état de nuire des éléments ennemis qui n’auraient pas pu se replier en Ouganda avec le gros du FPR et qui se seraient dispersés dans le Parc National de l’Akagera. C’est au cours de cette opération de ratissage que le convoi du Comd de secteur qu’était le Major Rwendeye, convoi qui comprenait une jeep radio, un véhicule blindé léger de l’avant et une camionnette d’escorte tomba dans une embuscade tendue par ces éléments ennemis. Le Major avait préféré monter à bord de la jeep radio avec certains cadres de son état-major dont un médecin et un assistant médical, pour mieux observer le terrain en laissant son S3 monter dans le véhicule blindé qui normalement était pour le Comd Secteur. Il fut mortellement atteint par des balles tirés presque à bout portant et évacué par hélicoptère à Kigali. Aussitôt une unité proche intervint pour dégager le convoi et poursuivre et nettoyer la zone de tout ennemi.

 

Ainsi donc, un autre officier considéré par le FPR et les services secrets des puissances qui ont planifié la conquête  militaire du Rwanda, comme un pilier du régime Habyarimana était éliminé pour eux, même s’il est tombé sur le champ d’honneur et proclamé “Héros du National”. Ces mêmes services du FPR tentèrent d’exploiter cet incident du champ de bataille pour semer la zizanie au sein des FAR et au mieux pour éliminer de la scène militaire les officiers qui restaient parmi ceux jugés par eux comme des “piliers de Habyarimana”. Ces services (FPR, CIA, M16, SRG belge, …) répandirent la rumeur comme quoi c’était le Colonel Serubuga qui avait fait exécuter le Major Rwendeye. Mais cette fois-ci personne ne prit au sérieux cette  macabre propagande.

 

Il faudra attendre juin 1992 après la mise en place d’un gouvernement dont les principaux membres étaient des collaborateurs du FPR ou même ses adhérents pour écarter les derniers officiers jugés proches de Habyarimana en les mettant tous et d’office à la retraite dans un pays en guerre, chose impensable ailleurs, car en pareilles circonstances les retraités sont au contraire rappelés sous les drapeaux.

Colonel Mayuya

Le tout dernier officier qui était cité dans la note de 1987, trouva la mort en même temps que le Président Habyarimana le 06 avril 1994. Ainsi, la voie était grande ouverte pour s’emparer du pouvoir rêvé, depuis le Kamarampaka du 25 septembre 1961. Mais, comble d’ironie, ce seront les hutu, fils des  militants qui ont lutté pour la Démocratie au Rwanda des années 1959-1961 et qui étaient honnis et méprisés par ces féodaux-monarchistes, qui auront frayé la route qu’allaient  emprunter les descendants  de ces féodo-monarchistes pour se réinstaller un pouvoir dictatorial et sans partage qu’ils exercent voici maintenant plus de 26 ans.

 

 

Ce pan de l’Histoire récente du Rwanda illustre à merveille la citation de la sagesse chinoise qui dit que: “Quand on montre la lune à un idiot, il ne voit que le doigt!”.  Ainsi au lieu de voir dans ses éliminations physiques et /ou politiques des personnalités jugées proches et soutenant le régime de la IIè République un début du démantèlement du régime républicain issu de la Révolution de 1959 et confirmé par le Référendum organisé par l’ONU le 25 septembre 1961, les pseudo-intellectuels et/ou piètres politiciens hutu n’y ont vu et n’y voient encore qu’une lutte intestine entre les “Bashiru” que certains parmi eux qualifient de “panier à crabes”. Dans leur obstination à saluer tout ce qui accablerait ceux qu’ils appellent les “Bakiga” sous prétexte de venger le 05 juillet 1973, ils ne se rendent même plus compte que le régime féodo-monarchique dont le menu peuple s’était débarrassé dès 1959, a été restauré et écrase ce menu peuple beaucoup plus fortement et sournoisement qu’avant 1959.

 

Burya ngo:”Uwiyishe ntaririrwa”!

 

Emmanuel Neretse

 

 

 

 

 

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