L’autocrate a-t-il vraiment des leçons de démocratie à donner ?
« Ici, les prêches sont contrôlés par l’État. La France serait bien inspirée de nous imiter » dixit l’impitoyable prédateur IOG (paru dans Jeune Afrique no 3095).
L’argument par l’exemple met donc en œuvre une analogie (au sens large) entre « l’État » et « les délinquants imams promus » au rang d’exemple. Le lien tissé entre chaque djiboutien et ces « prêches contrôlés » relève d’un pont jeté au-dessus du précipice qui les sépare. Il y a en eux « quelque chose » qui établit une correspondance, souterraine mais reconnue par l’auditoire, avec chaque djiboutien. On pourrait dire qu’il surgit là une nouvelle sorte d’accord préalable ; mais cet accord-là n’est jamais explicité dans le raisonnement argumentatif, et il ne doit pas l’être, sous peine de tuer l’analogie et sa puissance de conviction. La parole s’autorise ici un saut qu’elle aurait bien du mal à justifier explicitement : le pont jeté entre les deux zones du réel ne se justifie que parce qu’il permet de passer d’une rive à l’autre.
Je vais d’abord essayer de saisir l’acte d’argumenter dans sa dynamique. En effet, argumenter c’est bien plus que concevoir une opinion, un argument : c’est fournir à l’autre de bonnes raisons d’être convaincu, de partager l’opinion soutenue et de la défendre à son tour. C’est un processus complexe au cours duquel l’opinion passe de moi à mon auditoire, d’une manière interactive, et se modifie sensiblement. Les grandes étapes du processus peuvent se décrire ainsi :
1) l’orateur mobilise son opinion, qu’il abstrait du contexte de communication (il se demande quelle thèse il va soutenir, il décide où il veut en venir ; car on ne peut pas argumenter tout et le contraire de tout – Sa phrase en est l’illustration parfaite, il ne peut pas combattre les shababs et les soutenir -, du moins si on est soucieux de son image et de l’efficacité du discours).
2) il identifie son auditoire ainsi que le contexte dans lequel son discours sera reçu (est-ce le bon moment de dire cela ? Est-ce la ou les personne(s) à qui il convient de le dire ?).
3) il intervient sur le contexte de réception de l’auditoire afin d’y ouvrir une « place » pour son opinion ; pour cela, il se livre à un recadrage du réel, à une redéfinition de la situation. C’est la phase de « cadrage », pendant laquelle l’orateur peut soit utiliser des moules argumentatifs (il produit alors un texte argumentatif, que ce soit oralement ou par écrit), soit se contenter de donner des orientations argumentatives aux mots d’un récit, aux termes d’une description (il produit alors un texte de type narratif ou descriptif, doté d’une visée argumentative). L’orateur peut argumenter par implicite, en se limitant aux ressources que lui offrent les mots de la langue.
4) après cette phase de cadrage, l’orateur lie (ou relie) l’opinion qu’il soutient, au contexte de réception ainsi modifié, en utilisant une 2ème catégorie d’arguments, les arguments de « lien ». Cette phase du « lien » laisse moins de place à l’implicite que la phase de cadrage. Autrement dit, les moules argumentatifs y sont presque toujours présents et reconnaissables et le texte produit est le plus souvent de type argumentatif à l’état pur mensonger.
Argumenter, c’est expliquer, et une thèse est d’autant plus probable qu’elle explique plus de faits.
L’argument causal est une forme de déduction ; il consiste à transformer l’opinion qu’on veut soutenir en la cause ou l’effet de quelque chose sur quoi existe un accord préalable.
Il est redoutable, car il est presque indestructible : sa réfutation demande une inventivité et un temps considérables.
Mohamed Qayaad
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