Dossier Idamange: Lettre au Premier Ministre du Québec

Montréal, le 29 mars 2021

 

Objet:   Demander l’intervention du gouvernement du Québec auprès du gouvernement du Rwanda pour qu’il mette fin aux violations graves des droits de l’homme au Rwanda et pour libérer Mme Yvonne Idamange IRYAMUGWIZA ainsi que d’autres prisonniers d’opinion et journalistes.

 

Monsieur François LEGAULT
Premier ministre du Québec
Édifice Honoré‑Mercier, 3e étage
835, boulevard René‑Lévesque Est
Québec (Québec) G1A 1B4
www.mce.gouv.qc.ca

 

Monsieur le Premier ministre,

 

Nous, Québécoises et Québécois d’origine rwandaise, en collaboration avec d’autres Québécoises et Québécois, voudrions nous adresser à votre autorité afin de solliciter votre intervention auprès du président de la République rwandaise, monsieur Paul KAGAME, pour qu’il procède à la libération immédiate et sans condition de Mme Yvonne Idamange IRYAMUGWIZA, arrêtée lundi le 15 février 2021, et de nombreux autres prisonniers politiques et journalistes qui croupissent illégalement dans les prisons-mouroirs du Rwanda.

 

Mme Yvonne Idamange IRYAMUGWIZA est une mère de quatre enfants en bas âge. Elle est une simple citoyenne militante des droits de l’homme. Elle a été brutalement et illégalement arrêtée et détenue dans des conditions inhumaines, pour avoir dénoncé la mauvaise gestion de la pandémie COVID 19 par le gouvernement rwandais et l’autoritarisme affirmé du régime à l’endroit des droits de l’homme.

 

Monsieur le Premier ministre,

 

La violation des droits de l’homme au Rwanda par le régime du président Paul KAGAME n’a pas épargné des Québécois qui se dévouaient auprès du peuple rwandais. Prenons l’exemple des tragiques décès de deux  prêtres québécois assassinés au Rwanda. Le père Claude Simard, tué à coups de marteau le 17 octobre 1994, et le père Guy Pinard, fusillé en pleine messe en février 1997, ont été victimes des escadrons de l’Armée patriotique rwandaise du général Paul KAGAME. Depuis plus de vingt ans, le gouvernement du Canada n’a manifesté aucune volonté politique pour faire traduire en justice les auteurs de ces assassinats, dont les responsables, au sommet desquels se trouve le président KAGAME lui-même,  sont devenus des visiteurs réguliers au Québec.

 

Nous vous prions, monsieur le Premier ministre, d’user de votre influence au sein de la Fédération canadienne afin d’amener le gouvernement du Canada à infléchir sa position et à demander des comptes au gouvernement rwandais afin que ce dernier mène une enquête indépendante sur l’assassinat de ces religieux qui avaient quitté leur Québec natal pour aller se mettre au service des Rwandaises et des Rwandais.

 

Au cours des trois dernières décennies, le régime dictatorial de Paul KAGAME a envoyé – y compris sur le sol québécois – des agents de sa police secrète, le très redoutable DMI (Department of Military Intelligence), pour espionner et terroriser des Rwandais ayant tout laissé derrière eux pour avoir la vie sauve, soupçonnés d’être des opposants potentiels au régime rwandais. Le cas le plus connu au Canada est celui d’une certaine Nadege qui a fait l’objet d’un reportage très fouillé dans une émission d’enquête de Radio Canada. Au fil des ans, sous la plume des organisations de défense des droits de la personne, de nombreux rapports, dont celui de l’ONG  Freedom House, ont dénoncé ces pratiques moyenâgeuses dont, notamment, des assassinats, des enlèvements extraterritoriaux, et ce qu’il convient d’appeler un « terrorisme d’État » ourdis par le gouvernement de Paul KAGAME et dont la perpétration est confiée aux escadrons de la mort du Front patriotique rwandais, parti-État au pouvoir au Rwanda depuis le drame rwandais de 1994.

 

Le cas le plus emblématique et le plus récent de ces forfaitures à l’actif du gouvernement du Rwanda est celui du héros du film « Hôtel Rwanda », M. Paul RUSESABAGINA, kidnappé aux Emirats Arabes-Unis alors qu’il est citoyen belge et résidant permanent américain. Ce kidnapping est survenu le 27 août 2020 par les autorités rwandaises qui accusent M. RUSESABAGINA d’actes de terrorisme. C’est le mercredi 17 février 2021 que s’est ouvert, à Kigali, son procès après six mois de détention. Le Parlement européen vient de voter une résolution condamnant cette arrestation illégale et demandant une enquête internationale à ce sujet. Cette résolution s’ajoute à une lettre de 37 parlementaires et sénateurs américains demandant au gouvernement de Kigali de libérer M. RUSESABAGINA et de le retourner aux Etats-Unis où il est résident permanent.

 

Monsieur le Premier ministre,

Dans le Rwanda d’aujourd’hui, les opposants politiques sont violemment réduits au silence depuis que le Front patriotique rwandais (FPR) et son chef, le président Paul KAGAME, ont pris le pouvoir au Rwanda. Pour des raisons qui nous sont inconnues, la brutalité a principalement visé des femmes. En janvier 2010, Mme Victoire INGABIRE, qui jusque-là, avait trouvé asile aux Pays-Bas, est retournée au Rwanda après 16 ans d’exil. Elle a été injustement condamnée à 15 ans de prison ferme dans un simulacre de procès. En date du 7 décembre 2018, Mme INGABIRE a fait recours de sa condamnation devant la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples basée en Tanzanie. Elle a gagné le procès contre le gouvernement rwandais. Malheureusement, le chef de l’État rwandais et son gouvernement sont restés sourds à l’arrêt de la Cour, qui enjoignait le Rwanda à rétablir la requérante dans ses droits par une révision de son procès et par un versement d’indemnités compensatrices pour dommages encourus. En lieu et place, le Rwanda a placé Mme INGABIRE en liberté conditionnelle sous stricte surveillance. Jusqu’à ce jour, elle s’est vu refuser le droit de rendre visite à sa famille qui demeure aux Pays-Bas.

 

Une autre figure féminine de l’opposition rwandaise, Mme Diane RWIGARA, qui avait tenté de participer à l’élection présidentielle de 2017 contre le président sortant Paul KAGAME, a été non seulement empêchée de remplir ce devoir citoyen, – la Commission électorale à la solde du président KAGAME ayant invalidé sa candidature pour des raisons obscures -, mais elle a aussi été arrêtée et emprisonnée, avec sa sœur et sa mère, après avoir été faussement accusée d’incitation à l’insurrection et de falsification de documents. C’était en septembre 2017. Le parquet rwandais avait alors requis 22 ans de prison contre elle. Le même parquet avait également demandé 22 ans de réclusion contre sa mère Adeline RWIGARA, pour « incitation à l’insurrection et promotion du sectarisme ».

 

Monsieur le Premier ministre,

Des raisons liées à l’Histoire militent en faveur d’une intervention plus vigoureuse du Québec, notamment au sein de la Francophonie, dans le dossier rwandais. Nous déplorerons le fait que le français coule actuellement vers sa disparition dans l’enseignement sur le territoire rwandais.

 

Qu’il nous soit permis, en effet, de rappeler que le grand chantier que fut l’Université nationale du Rwanda (UNR) a été réalisé avec l’appui moral, technique et financier du Québec et du Canada, fidèles en cela à une histoire commune, longue et fertile qu’ils partageaient avec le Rwanda.

 

Quelle société de l’Occident pourrait-elle s’enorgueillir autant d’un si vaste héritage en faveur du Rwanda ? Fort de ce bagage historique, le Québec devrait légitimement soutenir les efforts de démocratisation du Rwanda, lesquels efforts sont aujourd’hui dans l’impasse et se butent à une dictature sanguinaire qui réprime dans le sang toute velléité de voix dissonante.

 

Le Québec devrait constamment rappeler au régime rwandais que le respect de l’opposition, la liberté de la presse, la capacité pour les Rwandais de participer à la vie publique, quelles que soient leurs opinions politiques, sont des principes essentiels et non négociables.

 

Monsieur le Premier ministre,

Dans quelques mois, les 20 et 21 novembre 2021, l’île de Djerba en Tunisie accueillera les dirigeants des 88 États lors du 18e Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie.

 

Naturellement, le gouvernement rwandais devrait y envoyer ses représentants.

 

Vous-même, monsieur le Premier ministre, aux côtés du Premier ministre TRUDEAU, vous allez participer aux travaux de ce Sommet. Le Québec et le Canada devraient dire haut et fort que la Francophonie n’est pas qu’une affaire linguistique mais également une communauté de valeurs, de principes et d’idéaux politiques. Il faudrait signifier sans détour aux autorités rwandaises que l’intimidation des opposants politiques reste un sujet de préoccupation pour le Québec.

 

Sans la pression de l’ancien Premier ministre Brian MULRONEY, le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud serait peut-être encore en place. Sans l’appui de la communauté internationale, le peuple sud-africain n’aurait sans doute jamais pu se défaire de ce régime ségrégationniste.

 

Il nous souviendra, monsieur le Premier ministre, que le peuple rwandais a connu un génocide en 1994. Et depuis lors, ce peuple croupit sous le joug d’un régime totalitaire qui n’hésite pas à sacrifier les voix dissonantes qui osent émettre une seule critique quand bien même cette critique serait constructive et salutaire. Les Rwandaises et les Rwandais sont épuisés. Les plaies de 1994 ne peuvent pas cicatriser dans le contexte actuel.

 

Nous croyons fermement que le peuple rwandais est prêt à entamer un vrai dialogue et une vraie réconciliation mais il ne saurait le faire avec un tortionnaire à la tête de l’État rwandais, qui est à l’origine des facteurs de divisions, de confrontations et non de coagulation du corps social. La preuve en est que le régime rwandais a assassiné, en avril 2020, M. Kizito MIHIGO, un jeune chantre de la réconciliation des Rwandaises et des Rwandais, lui-même rescapé du génocide rwandais. La ferveur de M. MIHIGO n’avait d’égale que la soif des Rwandaises et des Rwandais qui aspirent désespérément à une vraie réconciliation.

 

Monsieur le Premier ministre,

Les États-Unis d’Amérique, pourtant reconnus comme des alliés indéfectibles du régime rwandais, ont récemment publié un rapport très accablant relativement au dossier de violations des droits de la personne au Rwanda. Ce rapport publié par le Département d’État est accessible via le lien suivant :

https://www.state.gov/reports/2019-country-reports-on-human-rights-practices/rwanda/

Des ouvrages crédibles portant sur des crimes commis par Paul KAGAME sont maintenant disponibles dans l’espace public. Qu’il nous suffise de mentionner deux travaux de grande importance qui se sont penchés sur l’étendue de ces crimes :

  • Le rapport du Projet « Mapping » des Nations unies publié en août 2010, concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo.
  • Le livre « RWANDA : L’éloge du sang. Les crimes du Front patriotique rwandais », Éditions Max Milo, 2020, sous la plume de la Montréalaise Judi REVER, dont une copie vous sera acheminée prochainement. L’entrevue de Mme REVER récemment accordée au journaliste de Radio-Canada Stéphan Bureau brosse un tableau assez fidèle du contenu de cet ouvrage.

 

Devant l’impasse dans laquelle les Rwandaises et les Rwandais sont placés aujourd’hui, nous, signataires de la présente lettre, tout en remerciant le Québec d’avoir généreusement accueilli sur son sol des milliers de personnes, originaires du Rwanda, qui ont réussi à passer entre les mailles de l’odyssée sanglante de 1994, demandons au gouvernement du Québec de :

  1. Prendre des mesures appropriées afin d’envoyer un signal fort au gouvernement rwandais lors du Sommet de la Francophonie, édition 2021. Si la communauté internationale continue de ménager ce régime en lui offrant tous les honneurs normalement réservés aux États de droit, le régime sera conforté dans ses exactions dont le crescendo atteint, jour après jour, de nouveaux sommets.
  1. Mettre son poids diplomatique dans la balance afin d’appuyer la mise en place d’une enquête indépendante devant déterminer les personnes responsables de l’assassinat de M. Kizito MIHIGO et les traduire devant la justice. L’appui du Québec dans la création de cette enquête judiciaire serait salutaire pour les Rwandaises et les Rwandais.
  2. User des moyens diplomatiques à sa portée pour exercer sur le gouvernement rwandais des pressions afin que des militantes et militants des droits de l’homme, comme Mme Yvonne IDAMANGE, des opposants politiques, des journalistes et d’autres acteurs de la société civile injustement incarcérés soient libérés sans condition.

 

Nous formons le vœu, monsieur le Premier ministre, que vous nous accordiez quelques minutes de votre temps pour rencontrer nos représentants dans les délais qui vous conviendront. De plus amples informations susceptibles d’alimenter votre réflexion pourront alors vous être fournies.

 

En espérant que le Québec pèsera de toutes ses forces pour que la Francophonie envoie un message sans équivoque aux auteurs des violations les plus graves des droits de la personne commises au Rwanda, nous vous prions d’agréer, monsieur le Premier ministre, l’expression de notre très haute considération.

 

La liste des 106 signataires de cette lettre se trouve en annexe de la présente.

 

Copie pour information à :

Mme Nadine GIRAULT
Ministre des Relations internationales et de la Francophonie
Édifice Hector-Fabre
525, boulevard René-Lévesque Est
Québec (Québec) G1R 5R9
ministre@mri.gouv.qc.ca

 

Mme Dominique ANGLADE
Cheffe de l’Opposition officielle
1045, rue des Parlementaires
2e étage, Bureau 2.83
Québec (Québec)  G1A 1A4
Dominique.Anglade.SHSA@assnat.qc.ca

 

Mme Manon Massé
Cheffe de Québec solidaire
Hôtel du Parlement
1045, rue des Parlementaires
3e étage, Bureau 3.3
Québec (Québec)  G1A 1A4
Manon.Masse.SMSJ@assnat.qc.ca

 

Pascal Bérubé
Chef du troisième groupe d’opposition
Hôtel du Parlement
1045, rue des Parlementaires
3e étage, Bureau 3.157
Québec (Québec)  G1A 1A4
chef.pascal.berube@assnat.qc.ca

 

Personnes à contacter:

Mme Perpétue MURAMUTSE
125 rue des Alpes, Laval (QC) H7G 3V1
Téléphone: 450-933-2743
Adresse courriel: perpetuemuramutse@hotmail.com

 

Mme Tabitha GWIZA
2734 Capelletto Rd, Wndsor (ON) N8W 5N1
Téléphone: 226 246 5890
Adresse courriel: iragwiza94@gmail.com

 

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