Dans un article publié par Nicaise Kibel’Bel Oka, journaliste congolais d’investigation, sou le titre : « Tchad. L’après Idriss Déby. Vers une nouvelle géopolitique dans la région ?« , il se pose en même temps la question pertinente de savoir si Paris décidé de lâcher Idriss Deby
Le Tchad, toute comparaison n’est pas raison, c’est un peu comme Minembwe dans les Hauts et Moyens plateaux du Sud-Kivu en RDC. Son territoire ouvre sur d’autres pays comme le Soudan, la Libye et le Nigeria. Ce, à travers des tribus transfrontalières aux traditions guerrières immémoriales. Il faut avoir un œil sur ce pays. Au Tchad, la guérilla est quasiment une tradition des Zaghawa et la prise du pouvoir se conçoit par les armes et non par les urnes. Et donc, seul un régime militaire est concevable.
Lors du procès de la Cour militaire opérationnelle en foraine à Beni, comparaît Moussa Tchadien. Il se décrit lui-même comme « Licencié en Sciences po de la Sorbonne, Jeune frère d’Hissène Habré, cousin par sa mère de Goukounyi Weddeye et beau-frère d’Idriss Déby Itno qu’il a décidé de combattre pour trahison. » Répondant à l’accusation de l’Auditeur général des FARDC, Tim Munkuto de recruter et de donner la logistique aux ADF qu’il loge dans sa concession de Katindo à Goma, il ajoute : « J’ai une femme congolaise (une Nande). Au Congo, je suis un homme d’affaires généreux. Je ne peux pas déstabiliser mon pays d’adoption. Toutefois, j’avoue que j’ai 1600 hommes au Darfour (Soudan) pour attaquer Idriss Déby.»
Pour comprendre le discours de Moussa Batran alias Tchadien, il faut remonter à l’histoire de son pays. Au Tchad, le passage au pouvoir se fait par la kalachnikov. A partir du Soudan et/ou de la Libye. Hissène Habré a été chassé du pouvoir en 1990 par Déby, son ex-Chef d’État-major, réfugié au Soudan qui a reçu l’appui de l’armée française. Lui-même Habré avait chassé son cousin Goukounyi Weddeye. Il suffit de quelques centaines d’hommes basés au Darfour et équipés avec des Toyota pour monter une attaque contre N’Djamena et renverser le régime. La tradition sera-t-elle respectée ?
Paris a-t-il lâché Idriss Déby Itno ?
Idriss Déby Itno avait pris la mauvaise habitude de défier les rebelles en se pavanant au front. Or, il savait que son pouvoir vacillait et que sans l’intervention de l’armée française, il le perdrait. Pourquoi a-t-il décidé de prendre pareil risque sachant que les rebelles de FACT menaçaient de prendre N’Djamena ? Avaient -ils finalement obtenu l’accord de Paris pour en finir avec Déby ? Certes, la France ne pouvait pas, pour des raisons d’intervention de l’armée tchadienne, continuer à soutenir le régime Déby qui a excellé dans des violations de droit de l’homme. On se souvient de cette attaque au domicile de l’opposant qui a coûté la vie à sa mère et ses enfants.
L’arrivée au pouvoir de Déby Itno en 1990 contre son beau-frère Habré est le résultat d’un deal entre le Soudan et la France. Ce deal, négocié par Jean Claude Mantion alors colonel, consistait pour le Soudan à ne pas attaquer le Tchad et la République Centrafricaine (RCA). Dans l’entre-temps, les lignes ont bougé. Le Soudan a été récupéré par les Américains via Israël et le régime de Bangui ( RCA) fait face à une guerre qui l’a obligé à solliciter une intervention rwando-russe contre la volonté des Occidentaux. Paris a été « blanchi » un jour avant l’annonce de la mort de Déby par Kigali dans le dossier du génocide des Tutsi. Pur hasard ou concours de circonstances ? Au demeurant, les intérêts des uns et des autres. La stabilité d’une région n’est pas un cadeau. Il est sous la balance des intérêts notamment pétroliers. Le Tchad produit du pétrole exploité conjointement par le Français Total (construction d’oléoducs et logistique) et l’Américain Exxon. Voilà pourquoi la France est obligée de conserver la mainmise sur le Tchad. Elle sait évaluer les capacités militaires de son protégé.
Pourquoi Paris chercherait-elle à changer de protégé sauf si ce dernier ne répond plus à la mission lui confiée ou s’il a trouvé mieux que lui. Car le schéma géopolitique dominant est que le successeur doit être aidée par la Libye et/ou, surtout, par le Soudan. Ces pays, à chaque fois qu’ils déclenchent des manœuvres hostiles, le régime à N’Djamena doit tomber. L’implantation de la France à N’Djamena permet des manœuvres militaires rapides vers différents endroits où ses intérêts s’avèrent nécessaires. La France a pour rôle de prévenir ces manœuvres. Cette fois-ci, elle est restée observatrice. On peut changer d’acteurs mais il faut préserver le deal. L’on jugera l’attitude des uns et des autres dans les tout prochains jours. Dans l’entre-temps, l’opposition politique non armée appelle au dialogue, rejetant la décision de laisser le pouvoir au général 4 étoiles, fils d’Idriss Déby. L’après Déby sonne-t-il une redistribution des cartes dans la région? Tout en regardant vers la France.
Nicaise Kibel’Bel Oka