La stratégie du mensonge et de la calomnie est-elle la meilleure voie de faire face à la trahison qui est à la base de la guerre d’octobre 1990 au Rwanda ?
Après les attaques et insultes du Major Neretse et Cie, qui me ciblent depuis la parution de ma contribution à l’analyse du Rapport Duclert sur invitation de la Fondation Jean-Jaurès, je me réjouis du débat sur ce sujet que j’ai suivi notamment sur le forum CRES. Ce débat, qui restitue et analyse des faits tombés dans le domaine public, m’encourage à investir davantage mon temps dans le dialoguer avec l’histoire plutôt que dans la rectification des mensonges intarissables de mes détracteurs. Ceci d’autant que ces détracteurs n’abordent pas les questions de fond telles que je les ai abordées dans l’analyse critique du Rapport Duclert. Il s’agit notamment de la relation génétique forte entre le coup d’état du 5 juillet 1973 et des assassinats inhumains de assassinats ciblant les politiciens du centre et du sud qui s’en sont suivis, et la guerre gratuite contre le Rwanda en octobre 90 ainsi que les liaisons dangereuses nouées bien auparavant entre Habyarimana-Museveni- Rwigema.
Le peuple rwandais a payé un énorme tribut au régime Habyarimana
En sus de l’agonie sur de longues années soufferte par les familles de ces régions qui ont perdu les leurs, et celle des habitants des communes Muvumba et Ngarama causée par cette guerre gratuite, laquelle s’étendra ultérieurement à tout le pays, le commandement des FAR d’alors procéda au cours du même mois d’octobre à des arrestations arbitraires de plus de 8000 personnes en une semaine. Que les lecteurs de ces lignes fassent le compte en calculant la moyenne horaire pour se rendre eux- mêmes compte de l’immensité de ce drame. C’est au bas mot un record historique d’arrestations dans l’histoire du Rwanda. Un des observateurs de ces arrestations inouïes m’a rappelé que le chiffre de 8000 personnes n’inclut pas des centaines d’autres personnes arrêtées dans d’autres lieux que la Capitale avec le même acharnement, et gardées dans des cachots communaux minables. Le nombre exact de ces arrestations ne sera jamais connu. A présent, il y a lieu de se demander si ces arrestations ne constituaient-elles pas le gage de cette guerre arrangée ?
A mon humble avis, la réinvention du futur du Rwanda à laquelle nous voulons certainement tous contribuer doit commencer par la reconnaissance de la terrifiante faillite du système politique mis en place le 5 juillet 1973 par les camarades de l’autoproclamé « Comité pour la Paix et Unité Nationale », dont un des membres est le colonel Serubuga tant loué par le major Neretse. Ce système politique que mon détracteur loue avec tant d’énergie s’est pourtant consolidé sur un abîme constitué des assassinats politiques ci-dessus mentionnés, lesquels composent le socle fondamental sur lequel le régime Habyarimana s’est bâti. Il s’est terminé dans un terrible bain de sang. Le relai a ensuite été pris par le régime FPR en poussant plus loin encore les dégâts sur la société Rwandaise, et même en les étendant en RDC. Cela, les laudateurs actuels dudit régime doivent l’assumer entièrement au lieu de jeter la responsabilité sur des tiers. C’est le chemin de la rédemption pour le Rwanda et pour les Rwandais, en particulier aussi pour eux. Combien de systèmes connaissons dans l’histoire récente de l’Afrique, qui ont survécu depuis les années d’indépendances jusqu’à nos jours en suivant le même modèle d’exercice du pouvoir ? Aucun.
Dès lors, en analysant certes là où ce modèle nous a fait tomber, en fixant notre regard là où ceux qui le pilotaient ont glissé, proposons surtout des voies plus humaines permettant d’empêcher que dans le futur ceux qui détiennent le pouvoir n’empruntent le même chemin. En ce qui me concerne c’est là que doit s’orienter le débat, et non dans la distraction voulue de tourner les moulins à vent par des mensonges comme : «James Gasana était MDR » et j’en passe.
Quelques commentaires sur les messages classés « Secret »
Je dois dire d’emblée combien j’ai trouvé choquante la remarque faite par le major Neretse au nom de toute la bande, bande qui par ailleurs est en train de s’élargir pour lui apporter le soutien dans ses mensonges, sur le partage des soi-disant messages classifiés “Secret” provenant des unités militaires. A ce sujet en matière de respect de l’éthique du commandement je n’ai rien trouvé d’inspirant dans les pratiques qui sont plutôt proches des crimes contre le droit humanitaire qu’il a utilisées lors des arrestations arbitraires de ses collègues officiers en octobre 1990. Je crois profondément que, ministre ou pas, garder le secret sur de tels crimes et les violations des droits d’autres officiers qui aiment le Rwanda autant que lui, comme le major Sabakunzi et bien d’autres, serait qualifiable de crime de même voire de plus de gravité.
Dans son écrit le major Neretse caresse le principe du «Secret » car il a en tête ma présentation de son rôle dans la tentative d’auto-putsch de septembre 1992 dans mon livre ci-dessus. En citant le rapport d’une enquête menée sur cette tentative d’auto-putsch par les services compétents du MINADEF, j’écris ceci:
« Il s’avère que les officiers instigateurs de la mutinerie ont des comptes personnels à régler avec les officiers à réintégrer. Par exemple, le major Neretse a subtilisé des sommes importantes d’argent aux officiers arrêtés en 1990, notamment E. Habyalimana, avant de les amener en prison. Le lieutenant-colonel Nsengiyunva a fait arrêter injustement le major Mutambuka, et a fait torturer le major Sabakunzi lors de son arrestation après la prise de la prison de Ruhengeri par le FPR en janvier 1991, alors qu’il a refusé de suivre les assaillants en Ouganda, et s’est présenté lui- même aux autorités. La réintégration de ces militaires gêne donc, parce qu’elle risque de placer au banc des accusés les officiers qui ont été des accusateurs ».
Quid du National Prayer Breakfast (NPB) ?
Le NPB est organisé chaque année par des membres du Congrès des États-Unis depuis 1953. Il se tient à Washington D.C., généralement le premier jeudi de février. Cet événement a lieu dans la grande salle internationale du Hilton et attire environ 3.500 personnes, dont des Américains et des invités de plus de 100 pays. En réalité, le NPB est devenu un forum permettant à l’élite politique, sociale et commerciale américaine de se rassembler et de prier ensemble. Après l’ouverture de l’événement, lequel se déroule lors d’un petit-déjeuner de tous les participants et est présidé par le président américain, il y a une série de réunions informelles qui se déroulent de manière planifiée et non planifiée.
Depuis la création du NPB, plusieurs pays ont mis en place leurs propres événements annuels de NPB. Au Rwanda, il y avait un groupe de Prayer Breakfast dont j’étais membre, mais qui n’avait jamais organisé d’événement national.
Cependant les membres avaient des activités de groupe. J’ignorais l’existence du NPB américain jusqu’à ce que je sois invité par Énoch Ruhigira et le regretté Juvénal Renzaho, auxquels je suis très reconnaissant de leur confiance. En effet, si je n’avais pas été invité à en faire partie, je n’aurais pas connu autant que je connais du conflit rwandais des années 1990, que le major Neretse me conseillerait de garder comme « Secrets-Défense ».
Ma participation à l’événement de février 1992 a été pour moi une véritable révélation. En fait, c’est le Président Habyarimana qui était invité à y assister. Mais comme il avait eu un emploi du temps chargé à cette époque, on m’a demandé d’y aller le représenter. Sans entrer dans de nombreux détails, lorsque je suis arrivé à Washington, on m’a dit qu’une rencontre entre le Premier ministre ougandais représentant le président Museveni, et moi-même était prévue. A noter que je n’avais pas été prévenu de cette entrevue avant de quitter Kigali. Mais plus surprenant encore, j’ai constaté que la fille du président Habyarimana qui étudiait alors au Canada assistait à toutes mes réunions. Encore une fois, lorsque j’ai quitté Kigali, je n’avais pas été informé de sa participation à mes réunions et de son rôle. J’ai accepté tout cela dans la mesure où cela était mineur par rapport aux leçons que j’en tirai.
Ce que je soulignerais, c’est deux choses. Premièrement, le Président Habyarimana ne m’a pas envoyé à la NPB parce que j’étais ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de l’environnement. À Washington, je n’ai discuté avec personne d’aucune question liée au portefeuille agricole de mon gouvernement. Deuxièmement, si je n’avais pas été membre du petit-déjeuner de prière, le président ne m’aurait pas envoyé pour y assister. Je comprends qu’Énoch Ruhigira présente une règle différente pour son rôle dans la facilitation du processus de mise en place du gouvernement multipartite. Cela le regarde, même s’il sait combien j’ai apprécié ce rôle. Néanmoins, tout analyste honnête verra que ce rôle ne fait pas partie des fonctions du ministre des Finances, sauf bien sûr par un coup de plume du Président. J’ai fait des références à Prayer Breakfast dans mon livre « Rwanda – Du Parti-État à l’État-Garnison » publié par L’Harmattan en 2002, aux pages 77 et 79. Personne, en tout cas pas Ruhigira, n’a rien eu à y redire depuis 20 ans. Dans d’autres occasions aussi où j’ai pu témoigner favorablement de son rôle en tant que membre de notre groupe Prayer Breakfast, il ne l’a pas renié. Aujourd’hui, cela semble ne pas l’arranger. Je suis étonné de cette géométrie variable.
J’assume pleinement ce que j’ai déclaré à la Fondation Jean-Jaurès
Tout le reste est dit dans les analyses que j’ai livrées telles que rendues publiques par la Fondation Jean-Jaurès. Que le lecteur soit rassuré ; je l’assume pleinement car je sais de quoi je parle et je garde les preuves. Certaines se trouvent par ailleurs dans le même ouvrage paru à l’Harmattan. Je trouve déplorable la démarche entreprise par Enoch Ruhigira de tendre un crochet de sauvetage au major Neretse qui est en train de se noyer dans la mer de ses propres mensonges. Cette sortie du major serait-elle préparatoire de sa prochaine visite aux chefs de l’APR à Kigali ? Si Enoch Ruhigira persiste dans ses errements, je considérerai qu’il me lance un défi d’apporter des preuves et je suis prêt à le faire. De ma part je l’invite plutôt à retirer le terme « gratuite » qu’il utilise pour qualifier mes analyses.
Pour conclure. Nous avons été témoins de la dérive criminelle du régime mis en place le 5 juillet 1973 et nous le sommes pour celle du régime qui lui a succédé en juillet 1994, ne plombons pas l’avenir des Rwandais; assumons nos responsabilités.
Bussigny, le 2 février 2022
James K. Gasana
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