Pourquoi les pays occidentaux devraient-ils mettre fin aux expulsions et extraditions vers le Rwanda

La situation des droits de l’Homme au Rwanda n’offre aucune garantie de sécurité aux réfugiés politiques rwandais et à tous ceux qui osent critiquer ouvertement le système de gouvernance du Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir depuis 1994. Toute voix discordante est traitée comme un ennemi du Rwanda. Dans son rapport[1] de février 2021, une ONG américaine, Freedom House, cite le Rwanda aux côtés de pays tels que la Chine, la Russie, l’Iran et l’Arabie Saoudite où la répression des opposants est sérieusement préoccupante.

 

Les autorités rwandaises exercent un pouvoir sans partage, incluant l’interdiction de véritables partis politiques d’opposition, la répression des opposants et des militants des droits de l’Homme, des assassinats, de la torture physique et mentale, des disparitions, le contrôle des organisations de défense des droits de l’Homme et des médias, et le harcèlement de ceux qui réclament l’ouverture politique et une gouvernance conforme aux principes démocratiques.[2]

Les activités de répression des autorités rwandaises ne se limitent pas au Rwanda. Elles se manifestent également à l’étranger où les opposants au régime rwandais sont pris pour cible. Ces activités répressives font partie d’un programme soigneusement préparé et coordonné. Considérés comme une force négative, les mouvements de l’opposition rwandaise à l’étranger sont scrutés par un service d’espionnage bien formé et financé par les services de renseignements rwandais.

 

Afin d’identifier les personnes de la diaspora opposées au régime rwandais, le gouvernement a mis en place de multiples systèmes d’espionnage. Les Rwandais de l’étranger sont confrontés à des menaces informatiques, à des attaques de logiciels espions, à des intimidations et à des harcèlements domestiques, à des contrôles de mobilité, à des intimidations physiques, à des agressions, à des détentions et à des meurtres .

Le gouvernement rwandais a créé une 5ième colonne, « diaspora » composée de rwandais de l’extérieur qui prêtent serment de loyauté au parti FPR. Cette colonne anime les partisans de l’extérieur qui s’impliquent dans les activités d’espionnage et vont au Rwanda pour suivre des cours d’éducation politique et d’espionnage. Ils suivent aussi une formation militaire.

 

Le système politique rwandais tourne autour d’un parti politique, le Front Patriotique Rwandais (FPR), qui tient les rênes du pays depuis qu’il a pris le pouvoir par la force en 1994. Le FPR contrôle le système judiciaire, ce qui entrave considérablement l’application du droit à un procès équitable étant donné la politisation du génocide. En effet , les officiels utilisent souvent le système judiciaire pour punir et limiter les activités des personnes considérées comme opposées au gouvernement et au FPR. Ces personnes sont souvent poursuivies (pour divisionnisme et idéologie du génocide, ou pour infraction contre le pouvoir établi ou le Président de la République et provocation du soulèvement ou des troubles de la population[3]) et détenues pendant de longues périodes sans être inculpées. Les lois réprimant le divisionnisme, l’idéologie du génocide et la négation du génocide sont largement appliquées pour faire taire la dissidence politique et mettre un terme au journalisme d’investigation[4].

 

Le régime continue de faire miroiter ses efforts pour moderniser et mettre à niveau le système judiciaire en affichant des principes louables et des réformes juridiques pour répondre aux critiques internationales. Cependant, tant qu’il y aura de grands écarts entre les textes de loi et le déroulement réel des procédures judiciaires, ces normes resteront une façade et la justice restera entachée d’irrégularités et d’interférences de toutes sortes, non seulement aux dépens des personnes poursuivies mais aussi, de manière générale, en contradiction avec le besoin d’une véritable justice qui puisse contribuer à une véritable réconciliation.


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Les prisons nationales du Rwanda sont surpeuplées, la nourriture y est insuffisante, les conditions sanitaires sont épouvantables, les traitements médicaux sont inadéquats, les droits de visite des avocats sont extrêmement limités, les prisonniers sont menacés par les gardiens et les codétenus, certains restent en prison pendant des années sans être jugés, d’autres disparaissent des prisons et aucune enquête n’est menée pour déterminer les circonstances de ces disparitions. Une prison au Rwanda est un endroit excessivement dangereux.

 

Les preuves apportées par les témoins oculaires, la Croix-Rouge Internationale et les organisations de défense des droits de l’Homme sont accablantes. A l’inverse et ce de manière récurrente, le gouvernement et la justice néerlandaise ne le voient pas de cet œil. À l’instigation du service néerlandais de l’immigration IND (Immigratie en Naturalisatiedienst) [5]ils renvoient des personnes suspectes au Rwanda, dans un système carcéral très peu fiable et peu transparent, sans aucune garantie de justice équitable et impartiale.

L’IND est partiale, partielle, peu fiable et bâcle son travail. La procédure néerlandaise dans laquelle des personnes sont accusées de génocide (1F[6] ) viole les droits de l’Homme.

 

Quiconque est accusé par l’IND d’avoir participé au génocide rwandais se retrouve pris dans des sables mouvants qui l’engloutissent lentement mais sûrement. Le droit administratif et les méthodes de travail de l’IND en sont les principaux responsables. Prouver son innocence par le biais du droit administratif[7] est pratiquement impossible.

Le droit administratif, conçu pour défendre les citoyens contre les décisions gouvernementales, offre peu de possibilités de défense adéquate dans la pratique. Des dizaines de familles rwandaises vivant aux Pays-Bas en ont été victimes. Leurs permis de séjour ont été retirés, certains ont même perdu leur passeport néerlandais et leur nationalité. Ils n’étaient plus autorisés à travailler et n’avaient pas droit aux prestations et allocations sociales ni à l’assurance maladie. Ces familles se trouvent dans un état permanent de pauvreté, de peur et d’incertitude depuis plus de dix ans.

 

Après une longue procédure, un juge décide finalement du sort de la personne accusée de génocide.  Peut-elle être expulsée vers le Rwanda ?

Pour beaucoup, c’est une option effrayante, car ils sont politiquement actifs dans l’opposition. Le risque d’être arrêté au Rwanda, de subir une disparition forcée, un procès inéquitable, une détention illégale, la torture ou même la mort, est élevé.

Les accusations de l’IND sont truffées d’erreurs. Il n’y a aucune connaissance de la langue ou de la culture locale. Les dossiers sont constitués à partir d’éléments généraux, complétés par peu de détails personnels. L’IND demande souvent un complément d’enquête dans le même pays où il est bien conscient que le régime ne peut que chercher ou payer des témoins à charge. Il en résulte un rapport officiel sur un individu : IAB (Individueel Ambtsbericht), dont même les fonctionnaires disent en interne que la qualité laisse à désirer. Il est assez choquant de prendre à la légère une situation où quelqu’un est accusé du pire crime qu’est le génocide alors que personne n’est certain de ce qui s’est passé, où cela s’est passé et quand cela s’est passé.

 

L’IND n’admet presque jamais qu’elle peut se tromper et n’inclut presque jamais dans sa décision des arguments à décharge du suspect. L’IND dit littéralement que : « Pour le retrait de la citoyenneté néerlandaise, il suffit qu’il y ait de sérieux soupçons« . Ceci laisse trop d’espace à l’arbitraire, car pour que ces soupçons sérieux soient acceptables , il faut qu’ils soient fondés sur des faits vérifiables et non sur les informations d’un témoin à charge recruté par le procureur rwandais. Mais ceci est contraire à la loi administrative générale (Awb[8] ) qui stipule qu’une organisation administrative, telle que l’IND, doit remplir ses tâches sans préjudice.

 

En avril 2021, des avocats néerlandais ont présenté un livre noir révélateur du traitement inhumain et dégradant subi par les demandeurs d’asile, une situation qui ne fait pas honneur a un pays démocratique comme les Pays Bas. Il contient cinquante histoires qui racontent comment l’IND a traité leurs clients de manière incroyablement cruelle et inhumaine.[9] Le livre noir décrit les activités de l’IND comme suit : « … un formalisme excessif, le rejet des gens comme des fraudeurs, une IND qui adhère de manière rigide aux règles et qui, ce faisant, perd complètement de vue la dimension humaine... »

Presque tous les juges estiment que l’accusé peut être renvoyé au Rwanda. De même, la plupart des politiciens pensent que les personnes peuvent être expulsées ou extradées vers le Rwanda. La raison semble être que, puisque les Pays-Bas eux-mêmes ont aidé à construire le système judiciaire, ils doivent les renvoyer pour prouver que le système fonctionne. Dire le contraire reviendrait à remettre en cause des années de soutien qui se chiffre en dizaine de  millions d’euros.

Mais ce que le gouvernement néerlandais ne veut pas admettre, c’est qu’en apportant un soutien financier au Rwanda, les Pays-Bas aident un système dictatorial où les droits de l’Homme, l’espace politique et la liberté d’expression n’existent pas.

 

Dans la réunion du 28 Octobre 2008[10] , par le biais du représentant de l’Union Européenne dans les pays des Grands-Lacs, Mr Roeland van de Geer, les Pays-Bas ont essayé d’amener les pays européens à harmoniser les politiques en matière d’extradition. Mais beaucoup de pays ne s’y sont pas alliés et ont signifié que les procédures d’extradition seraient évaluées en fonction de la situation des droits de l’Homme au Rwanda.

 

Conformément à leurs lois de juridiction universelle, l’Allemagne et la Belgique ont préféré juger eux-mêmes les présumés coupables signalés sur leurs territoires.

La France est allée même plus loin. La Cour de Cassation a jugé qu’aucun texte pénal rwandais ne sanctionnait le crime de génocide au moment de sa commission en 1994 car les textes produits par le Rwanda sont postérieurs à juillet 1994.

 

Dans les pays scandinaves, les attitudes ont été à géométrie variable :

Le Danemark a été l’un des premiers pays d’Europe à extrader des Rwandais accusés de génocide. La Suède, au contraire, n’a pas voulu envoyer les accusés au Rwanda et a jugé plusieurs suspects dans son propre pays. Dès 2005, pour enquêter et éventuellement extrader ou poursuivre les personnes soupçonnées d’être impliquées dans les principaux crimes internationaux, la Norvège a créé un poste de procureur spécial et mis en place une unité au sein du Service national d’enquêtes criminelles (NCIS). La Finlande a refusé d’extrader des personnes vers le Rwanda car elle a estimé qu’elle ne pouvait pas s’assurer que le procès serait mené de manière équitable.

 

Le Royaume-Uni (UK), a donné une fin de non-recevoir aux demandes d’extradition[11] et a exigé des garanties pour une justice impartiale et équitable avec des indicateurs d’évaluation spécifiques et vérifiables.

 

La Suisse : par une décision du 1er juillet 2009, le gouvernement suisse a refusé d’extrader un ancien ministre rwandais vers le Rwanda.


[1]https://freedomhouse.org/report/transnational-repression/rwanda

[2] https://www.hrw.org/fr/world-report/2022/country-chapters/380887

https://www.youtube.com/watch?v=IN5uofccsvQ

[3]https://police.gov.rw/uploads/tx_download/Official_Gazette_no_Special_of_14.06.2012-4.pdf

 https://gazettes.africa/archive/rw/2018/rw-government-gazette-dated-2018-09-27-no-special.pdf

[4]https://www.state.gov/reports/2019-country-reports-on-human-rights-practices/rwanda/

[5]Service de l’immigration et de la nationalité (Immigratie- en Nationalisatie Dienst)

[6]https://nl.wikipedia.org/wiki/Artikel_1F_Vluchtelingenverdrag#:~:text=

Het%20bepaalde%20in%20artikel%201F,kunnen%20maken%20op%20

vluchtelingrechtelijke%20bescherming.

https://www.ofpra.gouv.fr/fr/asile/l-exclusion-et-le-refus-de-statut

https://www.refugeelegalaidinformation.org/exclusion-refugee-status-under-article-1f-convention

https://www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2021/05/AMR2000092012ENGLISH.pdf

[7]De grondbeginselen van de rechtsstaat zijn geschonden’ als ‘verschrikkelijk ongeluk’. Over de noodzaak van behoorlijk bestuur, Alex Brenninkmeijer, Nederlands Juristenblad, 8-01-2021, https://www.njb.nl/media/4103/c-b-b-37e-d-97a-c-c-4d-20652575d-6b-97e-05c-9_pdf.pdf.

[8]https://wetten.overheid.nl/BWBR0005537/2021-03-01, article 2.4

[9]https://www.vajn.org/wp-content/uploads/2021/04/boek-_ongehoord_-onrecht-in-het-vreemdelingenrecht.pdf

[10]Rwanda – EU – Internationaal recht – Bijeenkomst inzake uitlevering aan Rwanda en vervolging in  Europa van FDLR genocide verdachten

https://www.rijksoverheid.nl/binaries/rijksoverheid/documenten/wob-verzoeken/2020/08/04/besluit-wob-verzoek-uitlevering-persoon-aan-rwanda/Openbaar+gemaakte+documenten+Rwanda.pdf

[11]https://www.judiciary.uk/wp-content/uploads/2017/07/rwanda-v-nteziryayo-and-others-judgment-20170728.pdf

 

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