Suite du procès de l’ancien préfet Laurent Bucyibaruta à Paris : Audiences du 17 au 30 juin 2022

Rappel

 

Comme promis, nous allons donner à nos lecteurs la synthèse de la 3è quinzaine de ce procès qui se déroule devant la Cour d’Assises de Paris depuis le 02 mai et programmé pour se clôturer le 12 juillet 2022. Pour ceux qui souhaiteraient avoir les comptes-rendus journaliers, nous les renvoyons au  CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda) présidé par le couple Alain et Daphroza Gauthier qui a les moyens  pour le faire, comme des secrétaires, des journalistes pigistes ou stagiaires, qu’il a engagés à cet effet, et qui suivent pour lui les audiences et en font des comptes-rendus quotidiens.

 

Témoins à charge problématiques

 

Comme durant les audiences des jours précédents, la Cour a vu défiler des témoins vivant au Rwanda cités par le Parquet ou par les parties civiles. Ils sont apparus plus comme propagandistes politiques du régime FPR que des auxiliaires de la Justice car connaissant peu et parlant peu sur l’accusé, mais devenant prolifiques pour vilipender l’ancien régime et son système administratif. L’exemple caricatural est celui d’un ancien soldat qui, en 1993, en pleine guerre, déserta le front et qui fut appréhendé par la Justice militaire et écroué pour ce crime qui, normalement dans de telles circonstances, est puni de la peine de mort dans n’importe quel pays. Pourtant, en avril 1994, il était un des prisonniers surveillants des autres détenus dans la prison de Gikongoro et donc pouvait sortir des enceintes de cette prison très souvent, contrairement aux autres. Cet ancien mauvais soldat qui avait déserté le front en temps de guerre, est actuellement considéré comme un  “héros” par le FPR pour le simple fait qu’il a failli pour défendre le pays contre les envahisseurs du même FPR. C’est donc pour charger Laurent Bucyibaruta non pas pour des actes qu’il aurait commis, mais parce qu’il a été Préfet sous le régime démocratique et républicain renversé militairement par le FPR en juillet 1994. Pour ce pauvre hère dont le niveau d’instruction ne dépassait pas l’école primaire, le fait d’avoir été préfet ou militaire pendant la guerre de conquête des éléments issus de l’armée ougandaise regroupés dans l’organisation du FPR (1990-1994) et n’avoir pas déserté le front comme lui et au mieux rejoindre l’ennemi, constitue un crime punissable devant n’importe quelle Cour ou  Tribunal du monde!

 

A la limite, on peut dire sans calomnier, qu’une des parties (Ministère public ou parties civiles) qui ose citer un tel témoin devant une Cour d’Assises en France, non seulement se ridiculise, mais aussi manque de respect à cette Cour qu’elle prend pour “une bande d’idiots prêts à tout gober”.

 

La Cour a aussi entendu un médecin militaire français qui a servi au Rwanda lors de l’Opération Turquoise de mi-juin à août 1994. Il a témoigné sous pseudonyme et on le comprend. La partie qui l’a cité dans ce procès a vainement tenté de lui faire dire que le préfet Bucyibaruta aurait refusé de délivrer un passeport à une infirmière que ce médecin connaissait qui voulait aller en France parce que tutsi ! Mais malgré tous les efforts, l’affabulation n’est pas passée. En effet, n’importe quel rwandais ou étranger qui a vécu dans ce pays à cette époque sait que les passeports ordinaires, de service ou diplomatiques étaient délivrés par la Direction Générale de l’Immigration sise à Kigali  et dépendant du Service Central des Renseignements (SCR). Depuis 1992, quand ce service fut démembré, la Direction Générale de l’Immigration fut rattachée au Ministère de l’Intérieur, tandis la Direction de la Sûreté Intérieure a été rattachée à la Primature. Aucune autre autorité administrative donc, et encore moins le préfet d’une préfecture rurale, ne pouvait délivrer un passeport valide car même lui-même s’il voulait voyager ou était envoyé en mission c’est la Direction Générale de l’Immigration qui lui délivrait un passeport. Bref, le médecin militaire français , en bon militaire discipliné, a rempli la mission qui lui avait été assignée à savoir charger Laurent Bucyibaruta de ne pas avoir fourni un document de voyage à une infirmière parce que “tutsi”. Mais force est de se demander s’il a convaincu la Cour ou tout au moins la partie qui l’a cité.

 

Des témoins de la défense attaqués injustement et sans ménagement par les parties civiles

 

C’est au cours des audiences de cette dernière quinzaine que la Cour a enfin annoncé clairement qu’elle allait entendre des témoins cités par la défense et que ceux-ci se sont succédés à la barre presque à la même cadence que ceux de l’accusation qui ont monopolisé les audiences du mois précédent.

 

Les déclarations de ces témoins cités par la défense ont systématiquement été minimisés par le Ministère public ou moqués par les avocats des parties civiles. Sauf que pour les intellectuels parmi ces témoins, la manœuvre n’a pas réussi et quelque fois même s’est retournée contre ces parties. Ainsi le témoin Pascal Habufite qui était Directeur Général au Ministère de l’Enseignement primaire et secondaire en 1994 et qui vit en France leur a donné du fils à retordre! Ayant déclaré sans ambages qu’il connaissait Laurent Bucyibaruta comme un sage et un homme de bien et qu’en avril 1994 les deux fois qu’il l’a rencontré le préfet était préoccupé par la situation dans sa préfecture et faisait tout ce qui était encore en son pouvoir pour assurer la sécurité de la population à savoir requérir la Gendarmerie locale, le procureur et les parties civiles ont changé leurs fusils d’épaules. Ils ont commencé à l’accuser d’avoir utilisé des expressions non appropriées ou bannies comme “accusations en miroirs” alors que celle-ci est clairement expliquée et par les spécialistes de la communication, et par les socio-psychologues les plus éminents. Ils l’ont aussi accusé de ne pas reconnaître la “Planification“ du génocide, alors que même le TPIR n’a pas pu l’établir après deux décennies de travail et des moyens énormes mis à sa disposition.

 

Ce fut aussi le cas du célèbre artiste poète-musicien Masabo Nyangezi Juvénal que tous les rwandais connaissent. Originaire de Gikongoro, il a témoigné connaître Laurent Bucyibaruta même au cours de l’assaut du FPR d’avril à juillet 1994. A souligner qu’en plus d’être artiste musicien Masabo Nyangezi est un géographe de formation (Licencié en Géographie de l’Université nationale du Rwanda – UNR) et qu’à ce titre, il est parmi les premiers cadres rwandais qui ont eu à gérer et à vulgariser la problématique de l’environnement. C’est ainsi qu’il fut attaché à un service de la Présidence qui avait ce domaine dans ses attributions. Il sera ensuite Directeur Général dans le nouveau Ministère qui eut le Tourisme et l’environnement dans ses attributions. Après sa déposition par voidéoconference à partir de Bruxelles, les avocats des parties civiles, appuyés par le Ministère public n’a trouvé mieux pour dévaloriser son témoignage que de sauter sur le fait qu’il avait travaillé à la Présidence jusqu’en 1992. L’occasion pour ces parties de conclure que donc il serait “Membre de la fameuse l’Akazu de Habyarimana”! Le ridicule est tellement fort quand on sait que Masabo Nyangezi est natif de Gikongoro et n’a aucun lien avec la famille Habyarimana mais qu’en plus il ne fut pas membre du parti MRND à l’instauration du multipartisme en 1991.

 

Il en fut de même du Secrétaire préfectoral à Gikongoro en 1994 à qui le ministère public et les parties civiles ont tenté de discréditer parce qu’il ne pouvait pas confirmer le contenu des entretiens qu’aurait eu le préfet avec toutes les autorités qu’il aurait rencontrées d’avril à juin 1994. Pour quiconque connaît le travail d’un secrétaire dactylo de la préfecture, il sait qu’il ne participe jamais aux entretiens du préfet avec ses hôtes.

 

Enfin, le fils de l’accusé a aussi subi le même sort, car le Ministère public et les parties civiles surtout Alain Gauthier dans ses comptes-rendus journaliers, ont tous décrété que le témoignage du fils de Laurent Bucyibaruta ne devrait pas être considéré comme crédible car, disent-ils, il aurait prétendu qu’il ne prenait pas le petit déjeuner avec son père en avril 1994. Ils font semblant d’oublier que depuis le 06 avril 1994, le pays était en état d’exception, de guerre, de siège… de façon que n’importe quel responsable administratif à tous les niveaux ne respectait plus les horaires de son agenda privé ou public. Bien plus, tout rwandais connaissant pour le moins la culture rwandaise en ce qui concerne la vie de tous les jours dans les ménages, sait que les horaires des uns et des autres ne permettent pas toujours aux parents de partager le petit déjeuner avec tous ses enfants. Bien plus, en milieu rural et selon la tradition, les enfants ne devaient pas voir ce que mange  ou comment mange leur papa sauf en de rares occasions.

 

C’est toujours au cours de cette quinzaine que l’inénarrable et polyvalent avocat (en même temps rescapé, partie civile, avocat des parties civiles, témoin du Ministère public, …), Me Richard Gisagara a encore sévi non seulement contre  les témoins de la défense, mais également contre directement certains accusées. Exemple: Me Richard Gisagara, a longuement harangué la Cour avant que le Juge Président ne le calme, après qu’un des témoins venait d’affirmer que le Préfet Bucyibaruta avait demandé aux fonctionnaires de l’administration sous ses ordres de garder la neutralité par rapport aux événements politiques qui se dérouleraient. L’avocat Gisagara voulait  contraindre le témoin de déclarer devant la Cour que le fait d’exiger la neutralité aux fonctionnaires, ce que le Préfet Bucyibaruta demandait  aux fonctionnaires, cela correspondrait à leur demander de ne pas sauver les tutsi. Or, dans tous les pays civilisés et où règne un état de droit, les fonctionnaires publics doivent rester neutres en toutes circonstances. Mais pour Me Gisagara, au Rwanda de 1994, pour être considéré comme fonctionnaire neutre politiquement il fallait être complice du FPR ou alors subir son courroux après sa victoire, ce à quoi nous assistons depuis juillet 1994 et actuellement devant une Cour d’Assises à Paris . On ne sait pas encore si Me Gisagara a convaincu.

 

Un autre témoin de la défense auditionné au cours de cette session est un ancien Directeur de l’agence de la BCR (Banque Commerciale du Rwanda) à Gikongoro. Il vit actuellement aux Etats Unis. Ayant affirmé que lors de la réunion convoquée par le préfet Bucyibaruta  au cours de laquelle il demandait aux responsables et chefs de services de la préfecture d’œuvrer pour la sécurité de la population, le Ministère public et les parties civiles pour le discréditer parce qu’il avait démontré la droiture et l’équité malgré son dénouement en moyens, du préfet Laurent Bucyibaruta, ont avancé des motifs plus ridicules les uns que les autres. Le Ministère public a prétendu que la BCR était une Banque du  secteur public et donc sous les ordres du gouvernement d’autant plus que même le préfet y détenait un compte sur lequel était versé mensuellement son traitement. Or l’on sait que la BCR était une banque totalement privée et dont la maison-mère était la banque belge appelée Banque Bruxelles Lambert, BBL que tous les financiers ont connue avant d’être avalée par le géant Fortis Bank et qui opère en Belgique sous l’appellation ING Bank.

 

Pour enfoncer le clou, (discréditer un témoignage en faveur du  préfet Bucyibaruta), les parties civiles sous la houlette de l’avocat Richard Gisagara, partie civile lui-même, a prétendu que comme le Directeur de l’agence de la BCR à Gikongoro était convoque à une réunion des chefs de services dans la préfecture, c’est que le préfet était son chef hiérarchique. Or la réalité est que les chefs des services dans sa préfecture n’étaient pas tous nécessairement des dépendants directs de l’autorité du préfet. Beaucoup de secteurs n’avaient rien avoir avec l’administration. Mais comme le préfet était le représentant du gouvernement dans la préfecture, il devait les associer et entendre leurs avis en ce qui concerne la marche générale dans la préfecture. C’est ainsi qu’un curé de la paroisse du lieu, pouvait être convié à la réunion des chefs de services et mieux encore un évêque métropolitain quand cette préfecture abritait le siège d’un diocèse. Mais cela ne signifiait pas que le Préfet prenait la place du Pape comme le Chef hiérarchique de l’Evêque qui l’a nommé. Ainsi, partir du fait qu’un directeur d’une agence d’une banque privée ou un un ecclésiastique local soit convié à une réunion des chefs de services dans une préfecture donnée ne signifie pas que ces invités étaient des subordonnés directs du préfet. C’est comme s’il affirmait  que le Commandant d’une unité militaire  cantonnée dans la préfecture et qui était chaque fois invité dans  une réunion des chefs de service de la préfecture avait  pour “Commandant en Chef” ce préfet de préfecture.

Attendons de voir comment la Cour va considérer cette déduction du Ministère public et des parties civiles conduites par Me Gisagara.

 

Curieusement au cours de la même session dans laquelle on s’attendait à auditionner seulement les témoignages à décharge, chaque fois que certains témoignages démolissaient les thèses de l’accusation, un ou quelques témoins surprise à charge étaient glissés dans la liste de ceux qui doivent déposer. C’est ainsi qu’un détenu condamné à perpétuité au Rwanda fut appelé pour diluer les témoignages de ceux cités par la défense. Il va prétendre que sans les ordres des autorités comme  le préfet Bucyibaruta qu’il affirme ne pas connaître, il n’aurait  pas trempé dans le génocide.

 

Par contre quand un ancien juge à Gitarama et commerçant à Butare en 1994 a témoigné à décharge pour l’accusé en signalant que celui-ci lui avait conseillé de continuer à cacher les tutsi à Butare au  lieu de les lui confier pour les amener à Gikongoro et qu’il a souligné que c’est grâce à ce sage conseil qu’ils furent sauvés, le Ministère public en toute mauvaise foi a clamé devant la Cour spécialement à l’intention des jurés, que ceci constituait bien une preuve que le préfet Bucyibaruta les avait “abandonnés à Butare parce que tutsi”!

 

C’est toujours au cours des audiences de cette quinzaine que les avocats de l’accusation spécialement l’incontournable Me Richard Gisagara ont insisté  pour faire admettre qu’en 1993-94 il y avait au Rwanda un parti politique dénommé “MDR Power”. Quand on se souvient que depuis 1993 lors des meetings des partis , un des slogans lancés par les orateurs et qui était repris en masse par l’auditoire était “Power”, on se demande qui se moque de qui et si ceux qui affirment l’existence du MDR Power, n’ont pas d’autres motivations mais très éloignées de ce que cherche la Cour. C’est peut être parce que, après la scission du MRD en deux factions (celle pro-FPR dirigée par Faustin Twagiramungu et celle dirigée par Dismas Nsengiyaremye et Frodouald Karamira), cette dernière, après l’assassinat du premier président hutu  démocratiquement élu au Burundi Melchior Ndadaye tué ignominieusement par les militaires de l’armée burundaise le 22 octobre 1993, fut présente au meeting réunissant les partis démocratiques et républicains. Lors de ce meeting tenu au stade régional de Nyamirambo dans Kigali, les orateurs ont comme d’habitude chauffé la foule par des slogans usuels. Et ainsi on a pu entendre crier : MRND, réponse: “Power”, MDR, réponse: “Power”, CDR, réponse: “Power”, PECO , réponse: “Power’, PADER, réponse: “Power”,   PL, réponse: “Power”, etc. Mais de là à conclure qu’il venait de naître un parti politique dénommé “MDR Power” et autorisé à mener ses activités au Rwanda sous cette appellation, c’est se moquer du monde.

 

Un autre exemple du  raccourci que fait le Ministère public suivi des avocats des parties civiles pour tenter d’effacer toute trace historique qui exonérerait l’accusé est apparu au cours de cette quinzaine d’audiences. Il s’agit du cas d’une ancienne secrétaire du parquet de Gikongoro dont la sœur bloquée à Butare fut évacuée par les gendarmes de Butare sur supplication de Bucyibaruta. Le Ministère public et les parties civiles concluent qu’il s’agit là d’une preuve de discrimination que pratiquerait Laurent Bucyibaruta car la personne fut évacuée parce que Hutu!

 

Et comme on pouvait s’y attendre, le célèbre avocat belge et fanatique du FPR devant l’Eternel qu’est Maître Eric Gillet est allé prêcher “L’Evangile selon Saint Carbonare” devant la Cour d’Assises de Paris. Comme il se doit, il s’est muni des Saintes Ecritures que constitue le fameux rapport de la “COMMISSION D’ENQUETE INTERNATIANALE SUR LES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME”, commission dont il faisait partie et dont le texte intégral de son rapport est donné ici.

 

Pour le situer dans le contexte de cette époque, il y a lieu de rappeler que, accusé d’atteintes aux droits de l’homme, le gouvernement rwandais accepta l’idée qu’une commission internationale se déplace au Rwanda pour enquêter sur ces allégations.

 

La commission d’enquête était composée des représentants de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), Africa Watch, Union interafricaine des droits de l’Homme (UIDH), le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique (CIDPDD). Ils séjournèrent au Rwanda du 7 au 21/01/1993. Comme les membres sous la direction du français Jean Carbonare qui deviendra Ministre-Conseiller à la Présidence du Rwanda après la conquête militaire de ce pays par le FPR le reconnaîtront, pendant leur séjour au Rwanda, ils n’auront passé que moins de DEUX heures dans la zone contrôlée par le FPR. Le temps d’un aller-retour Kigali-Mulindi (Byumba) pour être signifié par Kagame qu’ils leur était interdit de circuler dans la zone qu’il contrôlait et encore moins y faire une quelconque enquête ou recueil d’informations.

 

Leur rapport fut présenté au mois de mars 1993. A sa sortie, il fut largement médiatisé. Il pointait du doigt l’un des belligérants, à savoir le gouvernement rwandais, comme étant le principal responsable des violations des droits de l’Homme à grande échelle.  Cette Commission poussa le ridicule en déclarant qu’elle n’avait constaté aucune violation des droits de l’homme dans la zone contrôlée par le FPR alors qu’en réalité elle fut interdite d’y mettre les pieds. Le Front patriotique rwandais (FPR) était pratiquement exonéré.

 

Quand on se souvient que dans la partie gouvernementale où elle avait toute latitude pour enquêter, la même Commission, faute de preuves de ses préjugés, a dû quelques fois aller dans des cimetières municipaux pour y déterrer les morts qui y furent enterrés régulièrement, mais qu’elle allait présenter comme des “tutsi massacrés” avec pour seul argument que ces morts avaient été enterrés pas dans des cercueils, on comprendra le parti-pris. Tout rwandais d’un certain âge sait que jusque très récemment, les rwandais ordinaires enterraient leurs morts non pas dans des cercueils mais emballés dans une natte.

 

Mais la Commission Carbonare est allée déterrer les morts dans un cimetière de Secteur à Kinigi (Ruhengeri) pour accabler le Bourgmestre local qui s’appelait Thaddée Gasana et que les extrémistes tutsi qui allaient rejoindre les rangs du FPR en Ouganda redoutaient particulièrement. Ils ont fini par l’assassiner quelques temps après.

 

Telle est “L’Evangile selon Saint Carbonare” que Me Eric Gillet a prêché devant la Cour d’Assises de Paris mercredi le 22 juin 2022, dans le procès du préfet Laurent Bucyibaruta. On attendra pour savoir qu’il prêchait aux convertis ou s’il subsiste encore des catéchumènes sceptiques et durs d’oreille. Un indice: une semaine après son audition,  Alain Gauthier et son CPCR hésitaient encore  à publier l’intégralité de sa déposition.

 

Le procès transformé par certaines parties en une arène politique

 

Au cours de cette session, certains observateurs continuent de se demander si la démarche (tenir un procès d’Assises à Paris) a pour but de tenter d’établir la vérité judiciaire ou constitue une arène pour inculquer aux européens les dogmes qui fondent l’hégémonie tutsi au Rwanda et dans la région?

 

Ceci fut illustré pendant et après l’audition de l’ex-pasteur du nom de Léonidas NYILINGOGA, un “rescapé’’ et “ partie civile” cité par SURVIE. Sur demande des avocats des parties civiles et surtout d’une des parties civiles comme lui, Me Richard Gisagara, ce témoin a synthétisé clairement le motif de l’accusation contre Laurent Bucyibaruta : “N’avoir pas, comme préfet, sauvé les membres de  sa famille qui habitaient Gikongoro et tués en avril et mai 1994.” Autrement dit, toute personne qui détenait une parcelle d’autorité au Rwanda de 1994 et avant, devrait tout simplement en être condamnée. Ce qui justifie l’élimination systématique de tous ceux qui étaient dans l’administration publique sous le régime démocratique et républicain de Juvénal Habyarimana et les spolier de tous leurs biens même s’ils n’auraient commis aucun crime. Seuls seront épargnés et souvent récompensés, ceux qui étaient des complices cachés du FPR durant sa guerre de conquête (octobre 1990-avril 1994) ou qui ont déserté vers lui quand sa victoire militaire était imminente lors de son assaut final (avril-juillet 1994).

 

La Cour a aussi entendu Emmanuel Habyarimana (alias Mukaru), un ancien Capitaine-Commandant dans les FAR en 1990 quand il fut arrêté pour “intelligence avec l’ennemi” et “désertion et abandon de poste en temps de guerre”. Pourtant le CPCR d’Alain Gauthier, avec l’aval du greffe qui n’a pas rectifié, l’a présenté comme étant un “ ancien Général des FAR” ! Or les FAR n’ont jamais eu dans ses rangs un “Général Emmanuel Habyarimana”. L’intéressé ne deviendra “Général de Brigade (une étoile) d’apparat » qu’ en  2000, dans l’armée de Kagame, l’APR, à laquelle il s’était rendu en 1994. Cité par la défense, après avoir parlé du bien sur l’accusé qu’il a connu tant à Kibungo  qu’à Gikongoro, il s’est arrangé pour épingler au passage le Colonel Serubuga, feu le Colonel Elie Sagatwa et Monsieur Protais Zigiranyirazo, alors que c’était hors propos car rien à voir avec le sujet développé et les questions auxquelles il devait répondre. Tout simplement une obsession chez-lui surtout en ce qui concerne Zigiranyirazo qui ne l’a jamais connu au Rwanda et qui ne le connaît toujours pas. On dirait qu’ il a fait volontairement ce détour pour diluer son témoignage positif à décharge du Préfet Laurent Bucyibaruta. Un cas!

 

Quand les parties civiles se substituent aux juges et prématurément

 

Certains témoins de la défense sont qualifiés publiquement et séance tenante, par les parties civiles conduites par le CPCR d’Alain Gauthier et Me Richard Gisagara, de “ menteurs” quand ils ne chargent pas l’accusé Laurent Bucyibaruta. On a eu l’impression que ces parties civiles se trouvaient déjà en conclave de délibération et qu’ils éliminaient pour les jurés certains témoignages qui pourraient innocenter  l’accusé ou semer le doute qui lui profiterait.

 

En effet, les dépositions des  témoins cités par la défense lors de cette session, ont systématiquement été qualifiées de “mensonges” par le CPCR d’Alain Gauthier. Exemple : L’ancien Bourgmestre de Nshili qui est actuellement condamné à la réclusion à perpétuité au Rwanda. Quand il a affirmé, preuves à l’appui, que le Préfet Bucyibaruta, quand il en était informé, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour sécuriser la zone, et que lui-même comme Bourgmestre avait été victime des actes commis par les bandes incontrôlées et que même un de ses fils avait été tué, Alain Gauthier dans ses commentaires cyniques, dit que : “Maître LEVY va tenter de venir à son secours en évoquant la mort de son fils tué par les Interahamwe. Il a été tué à l’université de NYAKINAMA, près de RUHENGERI : il ressemblait à un Tutsi. Une information qui mériterait d’être vérifiée. Mais le témoin n’est pas à un mensonge près.”.

 

Le lundi 27 juin 2022 on a aussi entendu la déposition d’une dame tutsi exilée aux Etats Unis qui a été sauvée par le préfet Bucyibaruta en 1994,  en le remerciant lui qui avait demandé au Commandant du Groupement de Gendarmerie de Gikongoro de tenter de l’évacuer et qui donc l’en remercie. Même si par la suite son mari hutu est mort en exil après un emprisonnement de 8 ans pour le spolier de ses biens immeubles (maisons).

 

Curieusement après sa déposition,  certains avocats des parties civiles et  même certains juges assesseurs  et le Ministère public vont cuisiner Laurent Bucyibaruta sur le fait qu’une fois il aurait demandé au Commandant du Groupement de la Gendarmerie de Butare (Major Cyriaque Habyarabatuma) d’évacuer certaines personnes menacées et que cette fois-ci, il l’a demandé au Commandant du Groupement de Gikongoro (Major Christophe Bizimungu). Il a eu beau expliquer que dans un cas, il a utilisé ses relations privées (le Major Cyriaque Habyarabatuma qui commandait le Groupement de Butare était originaire de Gikongoro) car il n’y avait pas de cadre légal pour faire intervenir les gendarmes de Butare, et que dans l’autre, il s’est adressé au Commandant local comme il se devait et à ce Commandant de voir les modalités pour accomplir la mission. Mais ses accusateurs semblent y voir un motif pour dévaloriser le témoignage à décharge et dévaloriser les efforts qu’il a consentis, souvent à ses risques, pour sauver les tutsi menacés. C’est ce qui peut s’appeler dans ce procès : “chercher la petite bête!”.

 

Une procédure bizarre et un incident tous révélateurs : le régime du FPR voudrait instrumentaliser la Cour d’Assises de Paris

 

Au cours de cette session, plus exactement lors des audiences du 28 juin 2022, la Cour a entendu par vidéoconférence à partir du Rwanda un témoin cité par les parties civiles et dont il est précisé que c’est bien l’actuel ministre rwandais JD Bizimana, ancien Chef de la CNLG qui l’a envoyé comme son précurseur à la déposition que lui  JD Bizimana,  doit faire jeudi le 30 juin 2022 comme partie civile.

 

Le témoin, est un vieil homme de 80 ans, ancien détenu pour “génocide” et élargi pour avoir accepté d’accuser de génocide les personnes que lui proposait le régime. Il a reconnu entre autres qu’il a témoigné contre les militaires français de l’Opération Turquoise comme quoi ils auraient plusieurs fois largué, d’un hélicoptère, des tutsi au-dessus de la forêt de Nyungwe, alors qu’il n’avait jamais assisté à une scène pareille. Dans la présente affaire, il est venu dire que le Préfet Bucyibaruta lui avait donné l’ordre de tuer et donc qu’il a tué c’est en exécutant ses ordres . Cependant il ne dit pas où, quand et dans quels termes Laurent Bucyibaruta lui aurait donné ces ordres.

 

Chose bizarre et extraordinaire dans des procès de ce genre, c’est qu’il est précisé que c’est le Ministre JD Bizimana, ancien patron de la tristement célèbre CNLG et extrémiste connu, qui a imposé ce témoin et qui a dit qu’il viendrait le compléter et répondre au contre-interrogatoire à sa place jeudi le 30 juin 2022. Comme le ministre JD Bizimana n’était pas au Rwanda en 1994, l’ancien détenu aux aveux énumérera les tueries auxquelles il a participé et au ministre Bizimana d’en identifier les auteurs et commanditaires dont le préfet Bucyibaruta.  Pourtant le pauvre témoin a prétendu ne pas connaître ce Ministre comme il ne connaît pas d’autres hautes autorités du pays. On croit rêver!

 

Et en apothéose et comme si ceci ne suffisait pas, ce même 28 juin, le Juge Président Lavergne en a eu pour son grade! Quand il a osé demander, pour la Nième fois d’ailleurs, à Me Richard Gisagara d’abréger ses questions car trop longues et répétitives, cet avocat des parties civiles et partie civile lui-même s’est fâché et a quitté avec fracas la salle d’audience. Par solidarité, ou par peur d’être pris pour des rebelles envers le représentant du régime FPR dans ce procès, les autres avocats l’ont suivi.

 

Du jamais vu, car la mise en garde et les remarques à toutes les parties sont dans les prérogatives du Juge Président qui doit assurer le bon déroulement du procès. Mais quand il s’agit d’un procès tenu en France contre un hutu chargé par le régime du FPR, c’est le Juge Président qui doit se plier aux caprices du régime qui lui sont transmises à travers ses agents présents dans le procès. C’est le monde à l’envers!

 

La déposition du ministre JD Bizimana est prévue pour ce 30 juin 2022, comme à la fois partie civile et victime pour simplement être natif de Gikongoro, alors qu’en 1994 il était bien au chaud en France depuis des dizaines d’années. Il a envoyé un précurseur, ce qui est très particulier et important ; nous y reviendrons de façon particulière aussitôt après. Nous n’avons pas souhaité noyer son témoignage dans la multitudes d’autres dépositions qui ont eu lieu et vous nous comprendrez.

 

A suivre…

 

Emmanuel Neretse

 

 

 

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