Procès Bucyibaruta à Paris. Dernière ligne droite: du 01 au 12 juillet 2022
Avertissement
Comme nous vous l’avions promis , sans avoir les moyens du CPCR d’Alain Gauthier qui a engagé des secrétaires et qui emploie des étudiants en journalisme comme stagiaires spécialement chargés de suivre le procès et de produire des comptes-rendus journaliers après chaque audience, nous nous sommes contentés de faire des synthèses des audiences qui ont eu lieu par quinzaine. Nous en sommes donc à la dernière semaine du procès.
Ces deux dernières semaines du procès furent marquées par des incidents, certains graves, cela pendant seulement trois jours, soit du 28 au 30 juin 2022, comme nous allons les relater.
Nous disons que l’on approche la fin de ce procès car même sans avoir eu au préalable le calendrier général des audiences comme cela se fait généralement, en constatant que ce vendredi 08 juillet fut consacré au réquisitoire du Parquet qui, sans surprise a requis la peine maximale contre Laurent Bucyibaruta à savoir la réclusion à perpétuité, tout indique qu’il ne reste que la plaidoirie des avocats de la défense avant que la Cour ne se retire pour que les juges professionnels disent aux jurés comment prononcer le verdict attendu le mardi le 12 juillet 2022.
Multiplication des incidents
Ce procès, dans lequel le puissant lobby du FPR de France, piloté par “SURVIE”, s’est constitué partie civile et dans lequel l’autre puissant lobby représenté par le couple Alain et Daphoza Gauthier qu’est le “Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda” ( CPCR) s’est immensément engagé, des incidents s’y produisent chaque jour. Mais ceux qui se sont produits les trois derniers jours du mois de juin 2022, soit après une trentaine de jours d’audience, sont tellement interpellants qu’il faut y revenir de manière particulière et à chaud avant la fin de ces audiences et du procès prévus dans une quinzaine de jours .
Il y a eu d’abord le 28 juin, le coup de tête de Me Richard Gisagara , avocat d’IBUKA France et partie civile lui-même, dont nous vous avons parlé. Ce jour là, il avait balancé ses dossiers par terre et jeté sa toge avant de sortir avec fracas de la salle d’audience. Ceci parce que le juge Président lui faisait remarquer gentiment que ces questions étaient trop longues et répétitives. Nous n’y reviendrons pas.
Le lendemain le 29 juin, alors que l’on s’attendait à ce que Me Gisagara soit au moins réprimandé pour ”outrage à la Cour” en attendant d’autres sanctions possibles venant de son Barreau, ce fut au contraire le juge Président qui fit son mea culpa sur interpellation du représentant des dizaines d’avocats des parties civiles dont Me Gisagara, en promettant de ne plus les interrompre dans leurs contre-interrogatoires des témoins de la défense et spécialement Me Gisagara qui pourra désormais, s’il le veut, monopoliser l’audience de toute une journée! Pour dire combien les agents de Paul Kagame en France sont très redoutés par toutes les instances.
Toujours le 29 juin : Général Augustin Ndindiliyimana, qui était Chef d’Etat-Major de la Gendarmerie nationale du Rwanda en 1994, présenté devant la Cour par Alain Gauthier comme “un condamné par le TPIR et acquitté par le même TPIR!” (ubuesque, car c’est l’un ou l’autre et jamais les deux), qui avait été cité par la défense, a été auditionné.
Gen Ndindili a Me BIJU DUVAL
Le même jour et pendant la déposition du général Ndindiliyimana, (ou à cause de cela) une alerte à l’attaque aux armes à feu a été sonnée et les alentours de la salle d’audience ont été évacués, et la séance interrompue pour quelques heures car c’était visiblement une fausse alerte. D’aucuns y ont vu une manœuvre pour tenter de déstabiliser cet officier général dont le témoignage à décharge était crucial et important car plus crédible que tous ceux de l’accusation. Manque de pot, à la reprise des audiences le général a repris sans avoir aucunement été perturbé pour perdre le fils de ses idées. Que du contraire.
Le 30 juin, ce fut le tour de l’arrogant et extrémiste ministre de Paul Kagame, Jean Damascène Bizimana, de déposer. Il fut présenté comme “témoin oculaire”, “expert du génocide” et “ partie civile”. Ces trois titres allaient lui servir tour à tour comme argument et justification des invraisemblances qu’il racontait. Par exemple quand on demandait à cet homme qui avait quitté le Rwanda fin des années 70 et qui n’y est revenu qu’en 1996 après la conquête militaire du pays par le FPR, comment il peut affirmer en détails où et quand il y a eu un massacre de tutsi à Gikongoro ( lieu exact, date et heure, …), il répondait que c’est parce qu’il est ”expert du génocide” et que donc c’est comme s’il était témoin oculaire. Et quand on lui demandait comment il sait qui a péri dans ce massacre, il répondait que c’est parce qu’il est “un rescapé” de ce massacre. Ou alors quand on lui demandait comment il désignait les auteurs présumés de ces massacres dont l’accusé, il répondait que c’est parce qu’il est “partie civile”! Un artiste talentueux! Ce n’est pas pour rien qu’il a présidé pendant une dizaine d’années la tristement célèbre « Commission Nationale de Lutte contre le Génocide » ( CNLG) et que récemment Paul Kagame vient de créer spécialement pour lui un ministère dénommé cyniquement : “Ministère de l’Unité nationale et de l’engagement civique”.
Rappelons que ce ministre, dans son arrogance, avait exigé et obtenu de citer un condamné hutu pour génocide qui est aux aveux et donc qui reconnaît tout ce dont il est accusé, de le citer comme témoin et de le précéder pour déposer devant cette Cour et que lui, le ministre, il ne viendrait que pour préciser les dires de ce pauvre et vieux paysan qui risquait de confondre les dates, les lieux et les noms des tueurs présumés dont l’accusé. Ce condamné pour génocide aux aveux et qui vit reclus au Rwanda, a donc déposé par vidéoconférence le 28 juin 2022. Mais coup de théâtre (ou plutôt de ridicule), dans sa déposition, l’arrogant ministre a prétendu ne pas connaître ce témoin et donc ne pas l’avoir mandaté, alors que sa demande de le citer comme témoin sous prétexte que lui, le ministre JD Bizimana, serait “ rescapé et donc partie civile”, est bien présente dans le dossier et signée et datée par ce ministre et ou par ses mandataires. Heureusement que le ridicule ne tue pas!
Toujours le 30 juin, les habitués des procès comme celui-ci ont été étonnés par le forcing de SURVIE, la principale partie civile pour exiger qu’il présente encore des témoins de contexte après 35 jours d’audiences! L’étonnement fut d’autant plus grand que la défense n’a pratiquement pas été autorisée à présenter de témoins de contexte alors que les mêmes parties civiles (SURVIE, IBUKA France, CPCR, …) en avaient présenté une demi-douzaine en début du procès. Pourtant les témoins de contexte citables par la défense ne manquaient pas. En France l’on peut citer: le professeur historien Bernard Lugan non seulement spécialiste de l’Afrique en général mais qui a enseigné à l’université nationale du Rwanda pendant environ 15 ans. On peut aussi citer le politologue et journaliste d’investigation et spécialiste de la Région des Grands Lacs, le Dr Charles Onana. En Belgique, on peut citer l’écrivain et religieux, le Père Serge Desouter, missionnaire de la Congrégation de Pères Blancs qui a servi au Rwanda pendant plus d’un quart de siècle. Ou encore le Professeur des Universités Filip Reyntjens qui a publié plusieurs ouvrages de référence sur le Rwanda. Mais que Nenni! Aucun d’entre eux ne sera entendu.
C’est donc en supplément à ceux que les parties civiles avaient cités et qui ont été entendus comme témoins de contexte, que SURVIE a exigé et obtenu que la Cour entende encore comme témoins de contexte (presque en fin de procès, ce qui est exceptionnel) : Monsieur François GRANER, Directeur de Recherche au CNRS et cité par SURVIE et Madame Laurence DAWIDOVITCH, représentante de SURVIE elle-même.
Ce serait fastidieux et sans intérêt de revenir en détails sur leurs dépositions. Ce ne sont que des exposés des travaux académiques dont les thèses et les conclusions resteront toujours sujet à débat, ou alors des intimes convictions ou des justifications des engagements d’un puissant lobby comme SURVIE pour la cause FPR depuis trois décennies, et quelles que soient les circonstances.
Dans cette ligne droite vers la fin du procès, l’accusation que sont le Ministère public, les avocats des parties civiles, sont en tête pour avoir accaparé tout le temps qui reste . Ainsi les 05 et 06 juillet, après l’interrogatoire de l’accusé par la Cour (Juge Président et ses Assesseurs ) qui a durée une demi-journée, le reste du temps, soit une journée et demi, fut monopolisé par le Ministère public et surtout par les avocats des parties civiles pour ”cuisiner” l’accusé, comme ils s’en vantent. Dans cet exercice, ces avocats ont insisté pour faire croire à l’auditoire, à travers leur interrogatoire biaisé, que Laurent Bucyibaruta fut dans les rouges d’un système qui a planifié et exécuté le génocide au Rwanda pour le simple fait qu’il était “Préfet de Préfecture”. C’est comme d’habitude Me Richard Gisagara, présenté comme “rescapé, partie civile et avocat de IBUKA France et accessoirement de SURVIE”, qui s’est distingué.
Ainsi, il a insisté pour faire comprendre que comme Bucyibaruta est allé dans une réunion durant laquelle le Premier ministre Jean Kambanda a pris la parole et a donné des instructions pour assurer la sécurité du pays, que l’accusé serait donc coupable car Jean Kambanda fut condamné par le TPIR. Mais l’avocat Gisagara ne révèle pas que Jean Kambanda fut condamné selon la procédure anglo-saxonne du “plaider coupable” et donc évitant un procès, et qu’il l’a fait pour sauver sa famille prise en otage par le même TPIR. Il ne dira pas non plus que Kambanda s’est rétracté et qu’il demande la révision de son procès pour qu’il puisse répondre des chefs d’accusations dont il était accusé. Même les deux livres à ce sujet que vient de publier le même Kambanda et que connaît Me Gisagara, ne peuvent pas être évoqués.
L’autre dogme que Me Gisagara a prêché devant cette Cour est que comme Laurent Bucyibaruta a continué à exercer comme préfet alors que les tutsi étaient déclarés comme “ennemis”, ceci serait la preuve qu’il était solidaire de ceux qui les pourchassaient. Enfin, il est revenu et a insisté sur le concept de “génocide” en reprochant à l’accusé de ne pas avoir réagi (fuir vers le FPR) quand il l’a entendu. Alors que l’on sait que même des juristes comme lui Gisagara ne savaient pas à l’époque la signification exacte de ce concept.
Une dangereuse jurisprudence qui s’installe en France
C’est sans surprise que le Procureur du pôle anti-génocide de Paris a requis une peine maximale contre Bucyibaruta. Il n’a fait que lire le réquisitoire rédigé par Me Gisagara et ses collègues. Il a en effet prétendu que cet ancien haut fonctionnaire (Laurent Bucyibaruta) a été « un rouage incontournable sans lequel la machine meurtrière n’aurait pas pu être mise en œuvre ».
Mais là où ça devient inquiétant, c’est que ce magistrat, tout en réclamant sa condamnation pour “complicité dans le génocide”, seul crime dont il est accusé et pour lequel il est jugé, le Procureur demande aussi aux juges professionnels de convaincre les jurés de le condamner aussi comme « auteur principal » du « crime des crimes ». Or, l’acte d’accusation qui l’a conduit devant cette Cour ne reprenait pas ces crimes. Et donc il n’a pas été jugé ni ne s’est défendu pour ça.
Mais le Ministère public, spécialement le pôle du Parquet de Paris chargé de poursuivre les Hutu rwandais, n’en n’est pas à son premier coup. En 2016, l’ex-capitaine gendarme Simbikangwa, qui n’était accusé que de “complicité de génocide” et contre laquelle il s’est défendu pendant plus de deux mois devant une Cour d’Assises, fit, à la surprise générale, condamné aussi pour ”génocide, planification de génocide, etc…”, chefs d’accusation qui ne figuraient pas dans l’acte d’accusation, mais que le Procureur a soulevés dans son réquisitoire final soit deux jours avant le prononcé du verdict, exactement comme dans la présente affaire.
Il s’agit donc d’une jurisprudence qui est en train d’être créée à la faveur des Hutu jugés en France. A savoir qu’en fin de procès, on pourrait être condamné pour un crime dont on n’était pas accusé et contre lequel on ne s’est pas défendu durant le procès.
Attendons le verdict prévu le mardi 12 juillet 2022
Emmanuel Neretse
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