Levée du régime de notification concernant la RD Congo : une décision géopolitiquement motivée

Comme on le sait, le Conseil de sécurité des Nations unies a mis fin au régime de notification [concernant les achats d’armes] auquel la République Démocratique du Congo (RDC) était soumise depuis 2008. Cette décision intervient suite à une résolution [2667] présentée par la France au Conseil, il y a deux jours. Pour le régime de Félix Tshisekedi et certains commentateurs, elle est l’aboutissement d’une diplomatie active menée ces derniers mois par la RDC sur la scène internationale. Un tel argument mérite non seulement d’être relativisé, mais il ne résiste pas non plus à l’analyse serrée des faits.

 

Avant d’aller plus loin, il convient de préciser que la RD Congo n’était pas concernée par l’embargo sur les armes depuis 2008. Aussi, le régime de notification ne lui a jamais empêché de se procurer des armes sur le marché de l’armement. La preuve en est que la Fédération de Russie a livré plus de 160 tonnes d’armes et de munitions à la RDC ces dernières années.

 

En fait, le régime de notification concernait davantage les marchands de canons que le gouvernement congolais. Ce sont eux qui avaient la responsabilité d’informer les Nations unies de toute livraison d’armes à destination de la RDC. Au regard de cette réalité, on peut affirmer sans crainte d’être contredit que la décision de supprimer la procédure de notification ne change pas grand-chose pour la RD Congo. En fait, c’est un non évènement.

 

La vraie question est celle de savoir pourquoi le Conseil de sécurité, à l’initiative de la France, a décidé de lever le régime de notification maintenant, alors que l’Hexagone et ses alliés occidentaux (États-Unis et Grande-Bretagne) s’y étaient opposés, il y a de cela six mois, au mois de juin. Pour rappel, Paris avait en effet proposé une résolution prolongeant d’un an le régime de notification au grand dam de la Russie et de la Chine, qui avaient marqué leur opposition en s’abstenant lors du vote au Conseil de sécurité.

 

Qu’est-ce qui explique donc le « revirement » de la France – mais aussi des États-Unis et de la Grande-Bretagne – dans ce dossier ?

 

Deux facteurs sont à prendre en compte pour comprendre cette volte-face : la conjoncture internationale actuelle et le positionnement de certaines grandes puissances dans la région des Grands Lacs. Je pense particulièrement à la Russie, qui ne cesse de faire des yeux doux à la RD Congo. Non seulement elle a critiqué le régime de notification, mais elle s’est montrée particulièrement entreprenante ces dernières semaines dans le dossier du Congo, critiquant le massacre de Kishishe tout en affirmant être prête à soutenir le gouvernement congolais dans plusieurs dossiers.

 

Dans les capitales occidentales, cet activisme subtil de la Russie n’est certainement pas passé inaperçu. La France d’Emmanuel Macron, qui a opéré un rapprochement avec le Rwanda de Paul Kagame au point d’énerver les Congolais, a vite réalisé qu’il était dans son intérêt de prendre les devants dans le dossier de la RDC avant qu’il ne soit trop tard. La sortie de la secrétaire d’État Chrysoula Zacharopoulou, qui a demandé au Rwanda de cesser tout soutien au M23, et la présentation de la résolution 2667 demandant la levée du régime de notification, ne sauraient être décorrélées du « Grand jeu » de grandes puissances dans la région des Grands Lacs.

 

En outre, chacun joue sa partition en fonction de ses intérêts en Afrique en général et en RDC en particulier. Il appartient aux Congolais de ne pas être naïfs. Il faut être vigilant et ne pas se laisser endormir par des circonlocutions diplomatiques vides de sens. La preuve en est que l’on condamne le soutien apporté par le Rwanda au M23 sans sanctionner ce pays. Alors qu’en Ukraine par exemple, on multiplie les sanctions contre la Russie.

 

En fait, on se moque des Congolais. On fait semblant d’agir parce qu’on voit le pays de Vladimir Poutine pointer son nez et non parce qu’on voudrait défendre la RDC face aux agressions répétitives du Rwanda. Pour ceux qui l’ignorent, il existe aujourd’hui une convergence d’intérêts stratégiques et d’affinités non négligeables entre Emmanuel Macron et Paul Kagame. Il y a peu, les généraux rwandais Jean-Bosco Kazura (chef d’état-major) et Vincent Nyakarundi (le patron de la DMI) étaient à Paris sur invitation de l’état-major français. La coopération militaire entre la France et le Rwanda, gelée depuis le génocide de 1994 , a repris en puissance sous Macron. Les relations entre les deux pays se sont tellement renforcées ces dernières années qu’on ne voit pas comment Paris pourrait se détourner de Kigali au nom de la stabilité de la RDC.

 

À bon entendeur…

 

Patrick Mbeko
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