Enlisement de la guerre d’agression de la RDC par Paul Kagame sous le couvert du M23

Nouvelle feuille de route  dite “de Nairobi” après celle “de Luanda”. Décryptage.

 

Le cadre

 

En exécution de l’une des recommandations des Chefs d’Etats de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) lors du sommet extraordinaire tenu à Bujumbura le 04 février 2023, les Chefs d’Etat-Major des Armées se sont réunis à Nairobi au Kenya le 09 février 2023. Les Chefs d’Etats avaient en effet demandé aux chefs militaires de leurs armées de leur fournir dans les sept jours de nouvelles propositions pour tenter de sortir de l’impasse dans laquelle l’EAC se trouvait coincée depuis novembre 2022.

 

Pure coïncidence ou télescopage des agendas?

 

Il est apparu que cette réunion des Chefs d’Etat-Major des armées de l’EAC s’est tenue à  Nairobi, au moment même où s’y tenait une autre grande réunion militaire d’une plus grande ampleur et importance. En effet, au  Kenya doit se dérouler (et s’y déroulent encore) le plus grand exercice militaire d’Afrique de l’Est.  Il est dirigé par le Commandement des États-Unis pour l’Afrique le  U.S. Africa Command (AFRICOM) en Afrique de l’Est.

Un millier de participants venus de vingt pays d’Afrique, d’Europe ou d’Amérique sont arrivés au Kenya pour cette grande manœuvre.

Même si l’essentiel des manœuvres doit se dérouler à Nairobi et Isiolo, certains pays triés sur le voler dont l’Ouganda et  le Rwanda, doivent également accueillir quelques exercices, qui se dérouleront notamment à leurs frontières avec la RDC. Tout un symbole!

 

Le Rapport de la réunion des Chefs d’Etat-Major des Forces de Défense de la Communauté de l’Afrique de l’Est. Nairobi, 09 février 2023.

 

Même si ce rapport était Confidentiel car destiné aux Chefs d’Etats, son contenu a fuité dans la presse comme toujours en pareille situation. Donc en décryptant son contenu comme nous allons le faire, c’est sous  réserve du sort que lui réservera chaque Chef d’état (adoption, rejet total ou partiel, amendements, …) parmi ceux qui devraient faire appliquer ses recommandations.

 

Voici schématiquement l’essentiel des conclusions de la réunion de Nairobi du 09 février 2023 tel qu’il ressort du rapport destiné aux Chefs d’Etat et confié à cet effet au Secrétariat Général de l’EAC.

 

Constat d’échec des premières initiatives

Les Chefs d’Etat-major y ont donc acté le non-respect des précédentes échéances décidées lors d’un sommet des Chefs d’État organisé en novembre 2022, à savoir le cessez-le-feu et le retrait du M23 des zones occupées.

En conséquence de quoi, les Chefs d’Etat-major proposent une nouvelle feuille de route. En parallèle, il est toujours question d’un retrait du M23.

 

Chronogramme de retrait du M23 :du 28 février au 30 mars 2023

Comme celle de Luanda restée lettre morte, la nouvelle feuille de route proposée par les Chefs militaires de l’EAC donne un chronogramme pour le retrait du M23. Celui-ci est plus long car ce groupe de Kagame disposerait maintenant de 45 jours pour se retirer des zones conquises.

 

Du 28/2 au 10/3, il se retirerait, cette fois-ci sans feinte comme la fois passée, de Kibumba et  Rumangabo. Il se retirerait aussi de l’Axe Sake-Butembo sur lequel est situé les cités comme Kichanga, Kishishe, Tongo, …

Du 13 au 20 mars 2023: il se retirerait des zones centrales du Nord Kivu, autour du Parc des Virunga.

Enfin du 23 au 30 mars 2023, il se retirerait de Rutshuru-Centre, Kiwanja et même de Bunganana!

 

Redéploiement et zones de responsabilité des contingents des pays de l’EAC engagés

Les Chefs d’Etat Major ont aussi proposé un redéploiement des différents contingents de l’EAC.

Ainsi:

Le contingent du Burundi serait déployé dans le Masisi. On ne dit pas s’il doit quitter le Sud Kivu où il était déjà déployé, ou s’il doit envoyer un autre contingent au Nord Kivu pour être déployé dans Masisi.

Le Soudan du Sud serait déployé sur l’axe Goma-Rutshuru en renfort au contingent du Kenya qui y est déjà déployé. Quand on sait que le Soudan du Sud est toujours chaotique car déchiré par des conflits ethniques et que des centaines de réfugiés sud soudanais vivent dans un camp installé sur cet axe, on ne peut que se poser des questions et s’inquiéter.

Enfin cerise sur le gâteau, le contingent de l’Ouganda serait déployé dans les zones Est de Rutshuru dont Bunagana. En réalité les zones qu’il occupe déjà de fait.

 

Un paragraphe sur les “groupes étrangers”

Curieusement FDLR est le seul groupe “étranger” se trouvant en RDC dont l’éradication est planifié dans cette feuille de route. Pourtant les Chefs d’Etat-Major citent bien d’autres groupes étrangers beaucoup plus connus soit par leurs atrocités, soit par leur localisation que les FDLR. Ils ont cité l’ADF de l’Ouganda, le RED-TABARA et FNL du Burundi, le NAS qui est le Front National du Salut du Soudan du Sud. Mais rien n’a été proposé comme mesure contre eux comme c’est le cas pour les FDLR.

 

C’est peut-être pour cela que la presse du régime à Kigali n’a retenu de ce rapport que ce seul point car elle déclare partout “qu’enfin les armées de l’EAC (dont celle de Kagame) ont décidé d’aller ensemble pourchasser les FDLR de la RDC jusqu’à leur extermination”, comme l’écrit bwiza.com et repris par igihe.com.

Ceci expliquerait donc cela!

 

Instauration d’un Mécanisme de vérification du cessez-le feu

Ces chefs militaires ont proposé aussi l’instauration d’un mécanisme de vérification du cessez-le-feu décrété. Cependant on ne connaît pas les contours de ce mécanisme notamment ceux qui en feraient partie et quels seront les critères de choix ou comment il va travailler avec celui de la CIRGL qui existe mais toujours loyalement négligé.

 

Demande de renouvellement du mandat de cette force régionale

Aussi cocasse et paradoxal que cela peut paraître, les Chefs d’Etats Major proposent vivement le renouvellement du mandat de la force de l’EAC en RDC. Cette force y est déployée depuis septembre 2022 selon un accord appelé « Status of Forces Agreement » (SOFA) renouvelable tous les  six mois. En mars 2023, le mandat de cette force va expirer et il faudra que la RDC la renouvelle, sinon elle devra plier bagages. Cette échéance arrive dans un climat tendu car la population du Nord Kivu où la force est déployée demande incessamment, et quelques fois avec violence, que cette force quitte la RDC car inutile et de surcroît serait complice de l’ennemi M23/Kagame. Ce sera donc la quadrature du cercle pour le gouvernement congolais.

 

Les non-dits

 

Rien sur les points essentiels que sont : les ordres d’engagement claires et uniformes de la Force de l’EAC ; rien sur la gestion juridico-administrative, économique, …, de cette  “zone tampon” imposée à la RDC. Que deviendra la province du Nord Kivu ainsi définie et amputée à la RDC? A quelles conditions la RDC pourrait-elle retrouver son autorité administrative et sécuritaire sur cette zone tampon? Rien!

 

Analyses et appréciations

 

Réaliste et réalisables?

A l’état actuel, on doit dire que ces recommandations des Chefs d’Etat-Major sont réalistes. Par contre on ne peut pas dire qu’elles soient réalisables. En effet, tout dépend comme nous alors le voir, du rapport de forces sur le terrain militaire. Actuellement le rapport de forces est en faveur de Kagame et son M23. Ces recommandations découlent donc logiquement du constat du facteur le plus déterminant dans ce genre de situation qu’est le rapport de forces sur le terrain quand ils se sont réunis le 09 février 2023. Mais la situation peut évoluer de façon qu’on ne peut pas se hasarder à parier sur le fait que leurs recommandations seront réalisables.

 

Bonne foi, pièges et calculs des uns et des autres.

On l’a vu dans les précédents processus (Luanda I, II ; Nairobi I, II, III, IV ; Bujumbura I), la RDC s’y présente toujours de bonne foi, avec des arguments politiques et juridiques en béton. Mais comme étant toujours militairement sur le terrain en position de faiblesse, sa voix est étouffée si pas simplement ignorée.

 

Aux mêmes occasions, Paul Kagame avec son M23, sûr du rapport de forces qui lui est favorable, il y raconte des salades qui sont avalées par ses pairs et surtout par les médias pour justifier son crime d’agression. Sans parler de Museveni qui a réussi un coup de génie en bernant la RDC comme quoi il l’aiderait tout en demeurant non seulement l’allié et complice de Paul Kagame mais aussi le protecteur et le fournisseur de son M23 par Bunagana, point de passage des biens pillés à Rutshuru et pour les importations et exportations du nouvel ‘‘Etat du M23/Kagame” dans l’Etat congolais.

 

Qui y gagnerait et qui y perdrait?

Dans ce genre de situation, tout dépend du rapport de forces militaires sur le terrain. Les beaux discours diplomatiques et les justifications légalistes sont toujours plus entendus quand ils doivent justifier un constat d’un rapport de forces favorable à celui qui les tient.

 

Quant aux médias, ils sont encore facilités pour inculquer à l’opinion publique que le plus fort a naturellement raison. Pour eux, et c’est réaliste ; si quelqu’un est militairement faible, il ne peut pas avoir raison face à un adversaire militairement plus fort que lui.

 

En conclusion

 

Si un principe de base impératif dans ce genre d’initiatives est négligé ou pris à la légère par les décideurs politiques et militaires de la RDC en s’engageant dans ces processus, la situation ne ferait que s’enliser. En conséquence elle laisse à Kagame et son M23 la latitude de se renforcer militairement et donc de donner à la RDC le coup de grâce le moment venu, quand, où et comment il le voudra. On se rappellera qu’au Rwanda, il a attendu presque quatre ans (octobre 1990-avril 1994) avant de décapiter le pays et monter à l’assaut du pouvoir.

 

Ce principe fondamental est simple : « En temps de guerre, seul le rapport de forces militaires donne du poids aux propos et positions diplomatiques ».

 

Pour cela, nous proposons aux décideurs de la RDC de changer de procédé et ne pas toujours “mettre la charrue avant les bœufs” (manœuvres diplomatiques, avant les objectifs militaires).

 

Et ce n’est pas la série de conciliabules qui s’ouvrent cette semaine à Addis Abeba [mercredi 15-jeudi 16/2/2023 : réunion entre les ministres des Affaires étrangères des pays membres et les membres de la Commission de l’Union Africaine ; .vendredi 17/2 : rencontre des Chefs d’Etat de l’East African Community (EAC) ; samedi 18-dimanche 19 février 2023 : sommet de l’Union Africaine] et dans lesquelles la guerre en RDC sera longuement évoquée, qui échapperont à cette sacro-sainte règle

 

Seul le rapport de forces va peser dans les décisions des dirigeants africains dont on connaît l’hypocrisie et le double jeu chez la plupart d’entre eux.

 

Emmanuel Neretse

 

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