Belgique-Rwanda. La cour d’Assises de Bruxelles juge deux Hutu rwandais. Les enjeux.
Lundi 9 octobre 2023 s’est ouvert devant la cour d’Assises de Bruxelles un procès pour juger deux présumés génocidaires hutu rwandais. C’est le sixième procès de ce type organisé par la Belgique. D’entrée de jeu, quelques déclarations ou affirmations des médias belges et internationaux qui couvrent ce procès ont étonnés et même quelques fois scandalisés les observateurs.
Quelques exemples.
Présentation des accusés
Tous ces médias présentent les deux vieux accusés (76 ans et 66 ans) comme des proches de l’ancien président Juvénal Habyarimana comme l’affirme entre autres RFI.
Or, pour ceux qui connaissent les deux hommes, rien ne traduit la proximité de chacun d’eux avec le président Habyarimana, que ce soit sur le plan professionnel, sur le plan politique ou familial. En effet, on ne voit aucune proximité avec le président Habyarimana d’un ancien caporal ou sergent chauffeur dans l’armée, originaire de Ruhengeri et plus tard, après son service militaire, est devenu boutiquier. Quelle proximite existerait entre lui et le chef de l’Etat et Commandant suprême des Forces Armées?
De même, étant natif de Gisenyi mais sans lien familial avec le président, on ne voit pas en quoi un mécanicien d’un garage des Ponts et Chaussées, handicapé suite à un accident de travail, serait proche du chef de l’Etat tout simplement pour être natif de la même région.
Et quand bien même ces accusés seraient des proches parents ou de voisinage de Habyarimana, on ne voit pas en quoi ce fait constituerait un crime.
Et pour corser le tout, l’un d’eux est affublé du qualificatif de “chef d’Etat-major des Interahamwe”!, poste qui n’ a jamais existé dans aucun organigramme des organisations politiques ou de la société civile du Rwanda républicain.
L’un d’eux est présenté comme étant un “riche homme d’affaires” avant le génocide!
Comment un boutiquier ayant aussi transformé sa boutique en bureau de change des devises, donc un cambiste reconnu et autorisé par la Banque Centrale, pourrait de ce simple fait être présenté comme “un riche homme d’affaires” ? Selon cette logique, il éclipserait les propriétaires des immeubles à plusieurs étages dans Kigali, appartenant à de puissants hommes d’affaires qui possédaient le monopole du commerce dans tout le pays: du carburant , des cigarettes, des matelas etc. … et curieusement tous Tutsi.
Cet accusé et aussi présenté comme un “membre influent du MRND, le parti au pouvoir”. Ici aussi, on est en droit de se demander comment une personne qui n’est jamais apparue comme faisant partie d’une instance quelconque du MRND, du Comité Central au sommet jusqu’au responsable de cellule ( +/-10 ménages) à la base en passant par le Comité préfectoral ou communal peut, 30 ans après la dissolution de ce parti, être présente comme ayant été un membre influent? Encore que brandir le fait que quelqu’un aurait été membre du MRND, donc qu’il serait fautif, sans souligner que tout rwandais était d’office membre de ce parti de 1975 à 1992, période pendant laquelle le MRND était au pouvoir, c’est être de mauvaise foi.
L’autre accusé est présenté comme “haut fonctionnaire” au début des années 1990.
Ces présentateurs croient-ils parler uniquement aux non-rwandais ou ils prennent tous ces derniers pour des idiots? Dans quelle administration étatique, un garagiste et mécanicien des Ponts et Chaussées est considéré comme étant “haut fonctionnaire”? Dans ce cas, comment qualifieraient-ils les directeurs, les directeurs généraux, le Secrétaire général ou le directeur de Cabinet du même ministère?
Une accusation récurrente mais qui ne tient pas la route
Dans cette présentation des accusés, une insistance particulière est mise sur une accusation présentée comme aussi grave que le “génocide” à laquelle ces accusés devront répondre dans ce procès. Cette accusation est laconiquement lancée en ces termes: “Avoir été un actionnaire majeur de la Radio Télévision Libre des Mille collines: RTLM ”.
Or, quand on parcourt la liste officielle des 1136 des actionnaires de la RTLM, on se rend compte que le régime du FPR de Kagame n’y accorde aucune importance et encore moins ne l’assimile pas à un crime comme veulent le faire croire les médias occidentaux.
En effet sur cette liste, selon l’ordre alphabétique, le nom de l’accusé Basabose Pierre, qui porte le numéro 54, précède celui de Bazivamo Christophe, numéro 68 sur cette liste. Ce dernier n’est pas n’importe qui dans le système et le régime du FPR. En effet, ministre et Vice-président du parti unique au pouvoir le FPR sans discontinuer pendant plus de 20 ans, Bazivamo Christophe, après avoir été membre du Parlement de l’East African Community pour le compte du Rwanda est actuellement Secrétaire exécutif adjoint de cette organisation . C’est donc dire qu’il n’a jamais été inquiété par le FPR pour avoir été actionnaire de la RTLM.
Il en est de même du numéro 576 Murenzi Evariste, à l’époque Capitaine des FAR et actuellement “général” et directeur de toutes les prisons mouroirs du Rwanda.
On peut aussi noter sur cette liste des actionnaires de la RTLM le numéro 940, Rucagu Boniface, qui fut, dès la conquête du Rwanda par le FPR en 1994, préfet, gouverneur, député, chef de l’Itorero (éducation idéologique des membres du parti au pouvoir). Le fait d’avoir été actionnaire de la RTLM étant alors député du MRND ne l’empêche pas d’être un des hauts dignitaires du régime du FPR et cela ne peut lui en être reproché.
On ne comprend pas alors pourquoi l’opinion et la justice occidentale en général et belge en particulier, voudraient être “plus catholique que le Pape” en incriminant celui qui aurait été actionnaire de la RTLM, une entreprise commerciale, alors que le FPR lui-même promeut et hisse aux plus hauts échelons de son système, les Hutu ayant été aussi des grands actionnaires de la même RTLM!
Pour conclure, disons que nous comprenons bien le souci de la Belgique, car elle doit tout faire pour ramener le dictateur Paul Kagame à de meilleurs sentiments au vu des tensions diplomatiques à répétition entre les deux pays. Et pour ce faire, le ramassage et les jugements aboutissant aux lourdes condamnations des Hutu qui l’ont fui et trouvé asile en Belgique est le meilleur des procédés pour caresser le dictateur Kagame dans le sens du poil. Mais, il ne faut pas non plus en faire trop au risque d’inscrire d’autres “histoires belges“ dans les annales de l’Histoire.
Espérons donc que les deux détenus et accusés Hutu ne seront pas officiellement accusés et encore moins condamnés pour avoir été des proches du président Juvénal Habyarimana ; ou d’avoir été prospères dans les affaires ou d’avoir de hauts fonctionnaires ou encore membres du MRND. Enfin de ne pas les inculper simplement pour avoir été actionnaires de la RTLM.
Ces faits constituent évidemment des crimes dans le Rwanda sous le régime du FPR, mais de grâce ce n’est pas ce que la Belgique devrait apprendre de l’exercice de la justice sous la dictature de Kagame et l’instaurer dans le Royaume bicentenaire d’Europe qui plus est, a exercé le mandat puis la Tutelle des Nations Unies au Rwanda de 1919 à 1962.
Procès à suivre…
Emmanuel Neretse
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