La force du bien contre celle du mal dans la chanson de Masabo Nyangezi

« L’homme n’est jamais si proche des dieux que lorsqu’il fait du bien à son prochain » Cette phrase de Cicéron est mon vœu du nouvel an que j’adresse à tous nos lecteurs et lectrices.

 

J’ai choisi de partager mon premier écrit de cette année sur un sujet tout autant singulier qu’inhabituel. Après avoir récemment découvert une des chansons de ce chanteur pédagogique très connu par les Rwandais, il m’a semblé pertinent de sortir cette chanson du lot pour mieux la cerner et  faire valoir, de manière distinctive, la subtilité de son contenu.

 

Le titre de la chanson,  d’apparence plutôt anodine, est d’une singularité interpellative. Cette chanson est probablement  celle qui suscite le plus  d’émotions, à la fois chez l’auteur et l’auditeur. Au travers d’une mélodie saisissante en « Si majeur » et des paroles  frémissantes, on est  pris  par une vive émotion, tant on se représente le contexte de l’époque.

 

Le choix de la mélodie, l’articulation de la voix et le contenu montrent à quel point le chanteur a été profondément touché par la succession des événements tragiques, auxquels il a échappé de justesse, vraisemblablement par la force du Tout-Puissant.

 

L’avantage d’être artiste est justement de pouvoir, entre autres, exprimer  ses émotions, sa joie, sa douleur et ses rêves. A partir du moment où l’artiste se libère du poids interne,  déposé quelque part, grâce à son art, il sent le cœur léger. Ce, malgré l’incertitude sur la réceptivité du public.  Raconter son vécu au  public anonyme, c’est d’une part, espérer la communion bienveillante et emphatique. Mais c’est aussi, d’autre part, s’exposer à l’indifférence, aux critiques et parfois aux attaques malveillantes.

 

Mon but est bien entendu de témoigner de ma sensibilité à l’œuvre réaliste de l’auteur, et surtout de rendre mes hommages, de la façon la plus singulière, à  la force du bien contre celle du mal.

 

Deux personnages aux antipodes

 

Les initiés de la chanson de Masabo Nyangezi possèdent incontestablement un bon répertoire de personnages chantés. De Mukamusoni  à Saligoma, en passant par  Adeline ou encore Kavukire et Rubanda, chaque personnage incarne une pratique, une vision ou une philosophie.

 

En revanche, les deux personnages dont il est question, ici, sont très peu connus du public. Or, la vie actuelle de l’auteur semble en dépendre. Il s’agit de « Rukara Rutindi » et de « Patricia » de la chanson « Kanama 94 », traduite en français « Août 94 ».

 

Pour le premier, ce n’est probablement pas son vrai nom, mais une qualification imagée que donne l’auteur pour symboliser la posture et le regard criminels de l’assassin. Celui-ci a condamné le chanteur à la peine de mort immédiate, sans procès. L’identité ethnique réelle ou supposée était, en ce moment-là, un motif châtié par les criminels qui se sont succédé.

 

Selon l’auteur, c’est assurément une tâche harde voire impossible de demander la moindre grâce à Dieu pour ce bourreau Rukara Rutindi. Tellement sa haine est immense au point de penser qu’il n’a jamais cru à une  quelconque divinité bienfaisante.

 

Comme dans un conte merveilleux, c’est  au moment de la  descente aux enfers qu’intervient un élément désirable ou un personnage héroïque qui redresse la situation. N’eût été la présence de la sauveuse Patricia (accompagnée d’un jeune homme), l’artiste et son art auraient été définitivement enterrés.  Les deux personnages aux antipodes l’un de l’autre, incarnent le bien et le mal, chacun dans sa position  respective.

 

Les Rwandais, Hutus et Tutsis, emportés par le génocide et les massacres de 1994 et quelques mois d’après, ont été  victimes de bourreaux ayant le profil de Rukara Rutindi.  Le portrait de  ce dernier corrobore par ailleurs les faits imputés à la prison de Karubanda, qualifiée par le chanteur« d’auberge de la mort ».

 

Grâce aux hommes et femmes au profil de Particia, les Rwandais miraculeux, dont fait partie le chanteur, ont survécu à ce drame.  Patricia représente à la fois les Hutus qui ont sauvé les Tutsis et vice versa. Au-delà d’un simple nom, c’est un personnage qui symbolise la force du bien contre celle du mal, ce dernier incarné par Rukara Rutindi.

 

On ne peut que saluer avec gratitude et estime les Rwandais d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, à l’instar de Patricia, qui ont le cœur de sauver, quelle que soit l’identité de la victime. L’histoire ne les oubliera jamais.

 

Le récit tragique de ce chanteur est partagé, à bien d’égards, par beaucoup de survivants du drame rwandais, de toutes les ethnies, selon la période et le contexte politique.

 

Le Rwanda, avec toute son histoire, a  connu de mauvais et de bons artistes. Ces derniers méritent notre grand respect. Masabo Nyangezi fait partie de ceux-là qui ont chanté le Rwanda, dans toute sa splendeur. Il a consacré un immense répertoire de son œuvre à la construction positive du Rwanda et de la rwandité.

 

A tous nos grands artistes, hommes et femmes, soyons reconnaissants !

 

Faustin Kabanza

 

 

 

 

 

 

 

 

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