TPIR/MTPI : Trente ans de compromissions, de contradictions et d’incohérences

Il y a trente 30 ans était mis sur pied le tribunal pénal international pour le Rwanda. C’était le 08 novembre 1994. Nous somme le 08 novembre 2024. Ce tribunal existe toujours sous forme résiduel (MTPI). Il s’agit, ni plus ni moins, de 30 ans de compromissions, de contradictions et d’incohérences et donc de perte de crédibilité des tribunaux de l’ONU.

 

A cette date du 30ième anniversaire de la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), nous avons voulu saisir cette occasion pour montrer comment  les instances judiciaires mises en place par l’ONU foulent aux pieds leurs propres règles et décisions.

 

Cadre de création

 

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) est une ancienne juridiction pénale internationale mise en place le 8 novembre 1994 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans sa Résolution 955 du 8 novembre 1994  afin de juger les personnes responsables d’actes de génocide au Rwanda, et d’autres crimes contre l’humanité commis sur le territoire du Rwanda, ou par des citoyens rwandais sur le territoire d’états voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Son siège était situé à Arusha en Tanzanie. Sa Chambre d’appel se trouvait à La Haye (Pays-Bas).

Il a achevé ses travaux le 31 décembre 2015 avec un bilan mitigé et très critiqué par de nombreux experts. Les dossiers du tribunal ont été repris par le Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI) installé à La Haye aux Pays Bas.

 

Le bilan du TPIR, après 20 ans d’existence, se présente comme suit:

93 inculpés, 61 condamnés,14 acquittés, 3 décédés avant leurs procès, 2 dont les actes d’accusation ont été retirés, 6 fugitifs déclarés déjà décédés,1 renvoyé au MTPI, 2 renvoyés aux juridictions nationales, 4 renvoyés au Rwanda.

 

Fermeture du TPIR et création du MTPI

 

Le TPIR a fermé ses portes le 31 décembre 2015. Mais l’ONU a mis en place un mécanisme international pour lui succéder, dont les fonctions sont quasiment identiques. Ce mécanisme, gère aussi les derniers dossiers du tribunal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).

 

Le MTPI est chargé d’exercer un certain nombre de fonctions essentielles qu’assumaient auparavant le TPIR et le TPIY. Il a été créé par la résolution 1966 du Conseil de sécurité du 22 décembre 2010, au moment où le TPIR et TPIY arrivaient au terme de leur mandat respectif. La division d’Arusha (Tanzanie) est entrée en fonction le 1er juillet 2012, celle de La Haye (Pays-Bas) le 1er juillet 2013.

 

Dans les premières années qui ont suivi sa création, le Mécanisme a fonctionné en parallèle avec le TPIR et le TPIY. Depuis la fermeture du TPIR (le 31 décembre 2015) et du TPIY (le 31 décembre 2017), il fonctionne comme institution autonome.

 

Contrairement aux tribunaux, il ne peut pas engager de nouvelles poursuites. Il doit cependant assurer la protection des témoins auditionnés sous pseudonyme lors des procès, traiter les demandes de révision, faire exécuter les peines, et assister les juridictions nationales qui jugent les suspects arrêtés sur leur sol. Fin juin, l’ONU a renouvelé le mécanisme jusqu’à juin 2026.

 

Du TPIR au MTPI : continuité dans le déni du droit au bénéfice de la politique

 

Des acquittés maintenus en détention et  pour le reste de leur vie :du jamais vu!

 

Dans une République bananière ou dans un état-voyou, qu’un détenu acquitté ou libéré reste en détention n’étonnerait pas outre-mesure. Mais que cela soit l’œuvre d’une juridiction internationale et en plus mise en place par l’ONU, cela dépasse tout entendement!

 

Pour rappel, à la fermeture du TPIR d’Arusha, encore 9 personnes acquittées ou ayant purgé la totalité de leurs peines, donc libres, ont toujours été maintenues en détention à  Arusha. En 2021 un accord entre l’ONU et le Niger fut signé le 25 novembre 2021 pour les accueillir. C’est ainsi que huit ex-détenus seront donc réinstallés à Niamey  au Niger le 06 octobre 2021. Le neuvième, à savoir l’ancien ministre Jérôme Bicamumpaka, gravement malade était hospitalise à Nairobi où il décédera quelques jours plus tard.

 

Ces infortunés sont :

  1. L’ancien ministre des Transports et Communication André Ntagerura, acquitté en 2004.
  2. L’ancien ministre de la Fonction publique Prosper Mugiraneza acquitté en 2011.
  3. L’ancien ministre des Affaires étrangères, Jérôme Bicamumpaka acquitté en 2011.
  4. L’ancien homme d’affaires Protais Zigiranyirazo acquitté en 2009.
  5. Le major François-Xavier Nzuwonemeya acquitté en 2014.
  6. Le lt colonel Anatole Nsengiyumva ayant purgé sa peine de 15 ans d’emprisonnement.
  7. Le lt colonel Alphonse Nteziryayo ayant purgé sa peine de 18 ans d’emprisonnement.
  8. Le lt colonel Tharcisse Muvunyi ayant purgé sa peine de 15 ans d’emprisonnement.
  9. Le capitaine Innocent Sagahutu ayant purgé sa peine de 15 ans d’emprisonnement.

 

C’est ainsi que le 06 décembre 2021, 8 Rwandais arrivaient au Niger pays qui avait accepté de les accueillir, suite à un accord entre Niamey et la justice internationale.

Mais  à la suite des pressions de Kigali, quelques jours après l’arrivée de ces huit, la police a confisqué leurs papiers et ils vivent aujourd’hui en résidence surveillée.

Ces Rwandais, dont deux sont décédés depuis au Niger à savoir le lt colonel Tharcisse Muvunyi décédé le 12 juin 2023 et le lt colonel Anatole Nsengiyumva décédé le 07 mai 2024, cherchent depuis longtemps un autre pays d’accueil.

 

Actuellement, 6 de ces personnes, légalement libres, sont maintenues privées de liberté.

 

Face à cette situation pour le moins surprenante et ubuesque de la part des instances de l’ONU censées servir de modèle au monde, on assiste à une fuite de responsabilités de ses instances concernées que sont:  le MTPI, le HCR et la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU.

 

En pratique, la présidence du MTPI de La Haye notamment le procureur et le greffier de ce tribunal pourtant encore aux affaires, jouent au chat et à la souris avec les instances juridiques, politiques et administratives du Niger, laissant ces hommes libres et leurs familles, dans l’expectative parce que uniquement Hutu bannis par le régime dictatorial tutsi de Paul Kagame au Rwanda.

 

Dans un autre chapitre, le TPIR et son successeur MTPI ont étonnent le Monde avec l’abandon de la clause de libération conditionnelle pour certains détenus.

 

En effet, une des clauses du Règlement du TPIR stipule qu’un détenu ayant purgé les 2/3 de sa peine peut demander sa mise en liberté et si l’avis des instances pénitencières est favorables, il est libéré. Seuls quelques condamnés ont pu bénéficier de cette disposition et furent libérés. Mais aussitôt le régime de Paul Kagame protesta et exigea au MTPI de ne plus libérer de prisonniers hutu sous cette classe. Curieusement, le MTPI s’exécuta en  rejetant systématiquement toute demande de libération et sans en donner le motif.

 

Le juge président du TPIR, Theodor Meron, qui avait appliqué la loi et la procédure et libéré quelques prisonniers ayant purgé les 2/3 de leurs peines, fut la cible du régime de Kagame et s’il n’était pas américain, il aurait même été inculpé de “complicité de génocide”. Son départ en retraite a mis fin à la polémique et ces successeurs au MTPI, surtout l’actuel président, le modeste maltais Carmel Agius, ne peut jamais oser appliquer cette clause de peur de s’attirer les foudres du régime de Paul Kagame. Et en cela il en est contraint par le procureur de ce MTPI le belge Serge Braemmertz dont on dit qu’il est proche du régime rwandais.

 

Confiscation des moyens de communication des prisonniers politiques de l’ONU détenus au Bénin le 18 août 2024

 

Depuis août 2024, les 17 prisonniers politiques hutu de l’ONU qui purgent leurs peines dans la prison civile d’Akpro-Misserété au Bénin conformément à l’accord entre l’ONU et ce pays, sont dans l’isolement presque total car ils sont privés du matériel informatique et de communication courants: ordinateurs, téléphones portables, etc. ; et cela en violation des accords avec l’ONU car contraire à ses propres règles en matière de traitement des prisonniers.

 

En effet, il s’agit d’une violation flagrante de l’ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus , spécialement la Règle 53 (la règle Mandela) qui dit que : “Les détenus doivent pouvoir accéder aux documents relatifs à leur procès, ou être autorisés à les garder en leur possession, sans que l’administration pénitentiaire ne puisse y avoir accès”. Ainsi donc les règles et décisions du même TPIR/MTPI sont violées par lui-même.

Les protestations des victimes détenus restent ignorées.

 

Par contre la désinformation à ce sujet est relayée par ces mêmes instances et s’adonnent à commettre le délit de “faux et usage de faux” en complicité avec le régime de Kagame. C’est dans ce cadre que les médias propagandises du régime rwandais ont largement diffusé un document censé annoncer que la RDC aurait souhaité  que les anciens prisonniers politiques de l’ONU privés de liberté au Niger soient relocalisés en RDC qui serait prête à leur accorder la résidence permanente. Mais il s’est avéré que le document était un un faux produit et diffusé par le ministre des Affaires étrangères rwandais.

 

Evolution de l’affaire

 

Au lieu de trouver une solution équitable et humanitaire à ce problème, les instances judiciaires de l’ONU, en l’occurrence la greffe du MTPI, se déchargent de certains de ses devoirs et engagements en ce qui concerne les conditions des détenus de son Tribunal.

 

Ainsi les frais de subsistance alloués par l’ONU à ces prisonniers ont été réduits sans préavis ni motifs ; le greffier du MTPI exige aux détenus pourtant reconnus comme “indigents” de payer eux-mêmes leurs repas même en cas d’hospitalisation ; le gouvernement du Bénin impose aux prisonniers politiques de l’ONU de partager la vie et les conditions de détention avec les détenus locaux condamnés par la justice du Bénin et cela sans la protestation du MTPI alors que c’est en violation de l’accord entre l’ONU et ce pays.

Sur le plan juridique, aucune évolution car la requête officielle des avocats des prisonniers politiques rwandais de l’ONU au Bénin reste toujours sans réponse ou réaction de la part du MTPI.

 

 

Sur le plan local, on a noté la mutation du Régisseur et du Gardien-Chef de la prison civile d’Apro-Misserété, mais cela n’a eu aucun impact sur la problématique.

 

Conséquences et préjudices subies par les prisonniers politiques de l’ONU au Bénin

 

Pour ces prisonniers, leurs archives judiciaires et politiques se trouvent dans leurs ordinateurs. L’administration de leur peine et les réclamations pour remboursements de frais médicaux s’y trouvent aussi.

Certains prisonniers écrivent des livres, d’autres travaillent sur une demande de révision du jugement, d’autres sur leur demande de mise en liberté. Leurs archives contiennent beaucoup de matériel confidentiel, des identités des témoins protégés du procureur et de la défense.

La correspondance avec les avocats est privilégiée.

Les témoins peuvent être en danger au Rwanda ou ailleurs en Afrique ou en Occident.

Les sentences du TPIR sont longues, très longues, trop longues.  Il est foncièrement injuste de priver ces hommes de leur capacité de suivre leurs histoires et d’essayer de changer leur sort. Cette saisie ajoute à la difficulté, le calvaire qu’ils vivent comme prisonnier.

Nous croyons que ces hommes condamnés pour des crimes au Rwanda sont en effet des prisonniers politiques qui méritent un respect particulier.

 

Crédibilité dans l’opinion des instances judiciaires internationales.

 

Le péché originel de ces instances est leur politisation à outrance. Ce qui explique la perte de toute crédibilité non seulement des instances judiciaires de l’ONU même celles mises en place après le TPIR. Cette politisation à outrance a été héritée du cas du Rwanda pour lequel le TPIR devait être une justice du vainqueur (régime dictatorial tutsi de Kagame) jugeant les vaincus (les hutu démocrates républicains). La conséquence est que toute institution que l’ONU met en place nait avec ce péché originel.

 

Ainsi la Cour pénal internationale (CPI) se caractérise par des paradoxes et contradictions.

Les pays n’ayant pas reconnu sa compétence comme les Etats Unis, le Rwanda, Israël,…, sont les principaux accusateurs alors qu’eux-mêmes ne peuvent pas avoir un de leur citoyens y être accusé. Le choix des personnalités à accuser ne se base pas sur la gravité des crimes présumés, mais sur la position politique de l’accusé par rapport à ces puissances.

 

La Cour internationale de justice ( CIJ) ne juge que des affaires entre Etats. C’est donc le rapport de forces à un moment donné qui la guide. Ce qui a pour effet de rendre certains puissants Etats jouir automatiquement d’immunité ou non accusables devant la CIJ.

 

Le TPIR/MTPIY, constitue un exemple caricatural de cette justice internationale.

Que ce soit pour se muer en justice du vainqueur jugeant le vaincu, ou le renoncement ubuesque de sa compétence temporaire quand un de ses procureurs Hassan Boubacar Jallow a osé affirmer que le TPIR devait juger des  “actes commis entre le 01 janvier et le 31 décembre 1994 en sautant la date du 06 avril 1994”!

Il a même brillé par la violation de ses propre règles de procédure sur intervention politique.

 

En effet lorsque Madame Hilary Clinton a exigé que le crime de viol soit inclu dans les crimes contre l’Humanité par le TPIR pour faire jurisprudence, il a fallu en condamner un tout premier inculpé hutu, à savoir Jean Paul Akayesu, ancien bourgmestre de la commune Taba à Gitarama en cours de procès. Pour cela, le procureur du TPIR a été sommé et reçu le temps de confectionner un nouvel acte d’accusation incluant le viol comme l’exigeait la First Lady des USA.

 

Conclusion

 

Il n’est jamais trop tard, le MTPI, successeur du TPIR, a encore des occasions de se racheter pour la crédibilité de l’ONU. Il lui suffit de trouver une voie pour la résolution du cas des acquittés maintenus en détention au Niger ; de réaffirmer le principe de traitement humain des détenus à commencer par ceux en prison au Bénin ; saisir chaque occasion pour enfin juger les deux belligérants au Rwanda en 1994 notamment rouvrir le dossier sur l’attentat du 06 avril 1994 reconnu comme élément déclencheur du génocide rwandais. Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait entendre la voix et les demandes la RDC et d’autres instances pour la création  d’un Tribunal Spécial pour la RDC. Enfin déclarer recevables les plaintes contre Kagame et son régime devant la CPI et la CIJ.

 

Emmanuel Neretse

 

 

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