Une analyse critique sur la création d’une « école africaine de gouvernance » au Rwanda

La création d’une École Africaine de Gouvernance représente une initiative ambitieuse visant à renforcer la capacité des futurs leaders africains à relever les défis complexes auxquels le continent fait face. Dans un contexte marqué par des enjeux de gouvernance, de développement durable, et d’indépendance politique et économique, cette institution aspire à offrir aux jeunes générations les outils nécessaires pour promouvoir un leadership intègre, efficace, et résolument tourné vers les besoins et les aspirations des sociétés africaines.

 

Toutefois, ce projet soulève des interrogations sur ses véritables objectifs et sur l’idéologie qui sous-tend son programme. Est-elle réellement dédiée à l’émancipation des jeunes leaders africains, ou sert-elle, au contraire, des intérêts externes en tentant de façonner la vision et les valeurs des futurs cadres du continent ? Les lignes qui suivent éclairent la réalité des enjeux sous-jacents à la création de cette école.

 

Une école pour formater et désidéologiser la jeunesse et l’élite africaine ?

 

L’école de la « bonne gouvernance » initiée par Paul Kagame se présente comme un programme destiné à former une élite africaine, capable de répondre aux défis de leadership et de développement du continent. Cependant, cette initiative, majoritairement financée par Mastercard Foundation, suscite des inquiétudes que les valeurs promues dans ce cadre soient alignées sur les intérêts des puissances étrangères. En tant que principal bailleur de fonds, la Mastercard Foundation pourrait encourager une vision de la gouvernance qui reflète davantage les principes et priorités de ses soutiens occidentaux que ceux des sociétés africaines elles-mêmes.

 

Dans un contexte où de nombreux Africains, notamment les jeunes, se montrent de plus en plus désireux de se détacher de l’influence des anciens colonisateurs, certains voient en Kagame un « relais » des intérêts impérialistes. En tant que figure africaine cooptée par le tenants de l’impérialisme, il pourrait, selon ses détracteurs, agir comme un médiateur chargé de diffuser un modèle de gouvernance conforme aux attentes des bailleurs occidentaux. Ainsi, ce programme pourrait servir à « formater » la jeunesse africaine selon une vision de la gouvernance qui, sous couvert d’efficacité et de modernité, pourrait minimiser l’importance de valeurs et de modèles de leadership propres aux réalités africaines, risquant d’entraver un mouvement vers une autonomie véritablement enracinée dans les aspirations du continent.

 

Kagamé un modèle de bonne gouvernance ? 

 

Par « bonne gouvernance », nous entendons la transparence, la responsabilité, le respect des droits humains, la participation citoyenne, et l’État de droit. Or tous ces principes sont ignorés par le régime dictatorial de Paul Kagame. Comment peut-il prétendre être initiateur d’une école de bonne gouvernance en Afrique ? Que donne-t-il comme modèle ?

 

Kagamé, lors des élections présidentielles qu’il prétend être démocratiques, revendique des victoires écrasantes (de l’ordre de 99 % des voix). Au cours de ces élections, personne n’ignore le modus operandi : bourrage des urnes, fraudes, intimidations, manipulations diverses,… Les acteurs de l’opposition sont souvent réprimés, emprisonnés ou exilés, ce qui fausse la compétition démocratique.

 

Depuis la conquête du pays  en juillet 1994, Kagamé a rapidement centralisé le pouvoir autour de sa personne et de son parti, le FPR. Il a institué un régime autoritaire où la dissidence est largement réprimée. Le régime a pris le contrôle des institutions gouvernementales, des forces armées et des services de sécurité, consolidant ainsi son autorité sur tous les aspects de la vie politique et sociale. Le gouvernement a imposé une censure stricte sur les médias, contrôlant l’information et empêchant la critique du régime. Les journalistes indépendants sont souvent harcelés ou arrêtés. La répression des libertés d’expression et d’association sont monnaie courante :   les voix critiques sont confrontées à des arrestations arbitraires, à la torture et à d’autres formes de violence, voire à des disparitions ou des assassinats.

 

Dans un tweet, la journaliste Michela Wrong lance un appel qui met en cause le modèle de bonne gouvernance de Kagamé en ces termes « Here’s a thought, for this putative thought leadership   school: don’t appoint someone who claims to have won his country’s last elections by over 99 pct and whose forces illegally occupy his neighbour’s land to champion leadership   and  good governance ». [Voici une idée pour cette prétendue école de « leadership éclairé » : ne nommez pas quelqu’un qui prétend avoir remporté les dernières élections de son pays avec plus de 99 % des voix et dont les forces occupent illégalement les terres de son voisin pour défendre le « leadership » et la « bonne gouvernance »].

 

Kagamé a été l’un des rares dirigeants africains à soutenir et à justifier l’assassinat de Kadhafi. Il a vu cela comme un moyen de mettre fin à un régime qui, selon lui, ne respectait pas les droits humains et la démocratie. Toutefois, cette position a également suscité des critiques, certains considérant qu’il était hypocrite au vu des violations des droits humains dans son propre pays.

 

Il apparaît paradoxal, voire cynique, que Paul Kagamé puisse se présenter comme le pionnier d’une école africaine de « bonne gouvernance », alors que son propre modèle de gouvernance est largement critiqué pour sa centralisation du pouvoir, son manque de transparence, et ses discriminations ethniques, etc.

 

Dans un contexte où le Rwanda est régulièrement pointé du doigt pour ses atteintes aux droits de l’homme et la marginalisation de la majorité hutu, prétendre donner des leçons de gouvernance exemplaire semble incohérent. Comment un dirigeant accusé de restreindre les libertés politiques, de museler la presse, et de monopoliser les postes clés au profit d’une élite restreinte peut-il légitimement incarner les valeurs de transparence, d’inclusivité, et de responsabilité qui sous-tendent la bonne gouvernance?

 

Au lieu d’être un modèle d’équité et de justice, le régime de Kagamé a mis en place un système de gouvernance qui repose sur le contrôle strict des institutions et sur une loyauté   exclusive à son parti et à son cercle d’influence. Si l’école en question reproduit les pratiques en vigueur au Rwanda, elle risque davantage de former une nouvelle génération de leaders autoritaires, prêts à maintenir le pouvoir par la coercition et l’exclusion. Dès lors, l’idée de faire de cette école un centre d’excellence pour l’Afrique ressemble à un « monde à l’envers », où l’idéologie en pratique est aux antipodes des valeurs qu’elle est censée enseigner.

 

Une école pour contrer la montée du panafricanisme ?

 

Le panafricanisme, mouvement visant à unifier les nations africaines et à valoriser l’identité propre du continent en réponse aux séquelles de l’histoire coloniale, suscite un intérêt croissant, notamment parmi les jeunes africains.

 

Ce courant inspire un sentiment renouvelé de solidarité et de fierté continentale, visible dans les récents bouleversements politiques au Mali, au Niger et au Burkina Faso, où des changements témoignent d’un rejet de l’influence occidentale.

 

Ces dynamiques inquiètent de plus en plus certains cercles décisionnels occidentaux, particulièrement en France et aux États-Unis, car elles remettent en question des intérêts géopolitiques établis.

 

La montée en puissance du panafricanisme, marquée par des revendications d’indépendance et de souveraineté réelle, suscite ainsi des réactions de prudence et parfois de crainte au sein des chancelleries occidentales.

 

Des figures influentes, comme Kemi Seba ou Nathalie Yamb, sont devenues des porte-voix de ce mouvement. Elles défendent des idéologies qui critiquent l’influence continue de la France en Afrique, appelant à une réappropriation des valeurs et des identités africaines. Par leurs discours, ces militants prônent une émancipation de l’Afrique vis-à-vis des structures héritées de l’époque coloniale et encouragent leurs concitoyens à renouer avec leurs racines culturelles et politiques pour construire une souveraineté authentique, libre de toute ingérence étrangère.

 

Les mouvements populaires qui émergent aujourd’hui dans des pays comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger reflètent également une résistance de plus en plus affirmée contre les politiques néocoloniales. Ces mobilisations traduisent un désir profond de reprendre en main leur destin, rejetant les ingérences étrangères perçues comme des formes persistantes de domination. Elles aspirent à des politiques véritablement indépendantes et répondant aux intérêts de leurs citoyens, marquant ainsi une rupture significative avec les influences extérieures et amorçant un tournant décisif vers une autonomie politique et économique renforcée pour le continent africain.

 

La France, avec le franc CFA et ses bases militaires, et les États-Unis, par le biais du dollar, d’AFRICOM et d’une multitude de bases militaires, maintiennent une présence en Afrique qui, aux yeux de nombreux jeunes, symbolise une forme de tutelle persistante sur le continent.

 

Cependant, cette jeunesse aspire de plus en plus à se libérer de ces structures perçues comme des vestiges d’ingérence étrangère, et elle revendique une autonomie totale. Elle prône une indépendance véritable et une souveraineté complète pour l’Afrique, affranchie des influences monétaires, militaires et politiques imposées de l’extérieur.

 

Le franc CFA, en particulier, est considéré par beaucoup comme un héritage colonial qui perpétue la dépendance économique des anciennes colonies vis-à-vis de la France. L’ancien président Ahmed Sékou Touré décrivait ce phénomène en ces termes : « C’est à partir de cette réforme que va pouvoir s’opérer la libération économique, jusqu’alors entravée par un système financier dont la nature, les caractéristiques et la définition étaient demeurées celles de l’ancien régime, qui dépendait lui-même du système économique du pays  métropole” »[1].

 

Ce mouvement de rupture avec les puissances étrangères, porté par une jeunesse en quête d’émancipation, se veut le catalyseur d’un avenir où l’Afrique, forte de ses propres ressources et valeurs, pourra décider librement de son destin.

 

Étant donné que  cette école africaine de la gouvernance est financée par des acteurs occidentaux, notamment la Fondation Mastercard, sans concertation avec les panafricanistes, il est fort possible que ces bailleurs de fonds influencent les programmes en y intégrant des orientations contraires à l’essor du panafricanisme.

 

L’influence de l’Occident sur l’éducation en Afrique et au Rwanda en particulier se fait jour avec la nomination, en septembre 2024, de Joseph Nsengimana, tout droit venu de la société Master Card, est un autre signe qui ne trompe pas de comment cette nouvelle école sera encadrée par les autorités politiques. Cette coïncidence du lancement de l’école et de la nomination d’un cadre de Master Card à la tête de l’éducation aux Rwanda n’est pas dû au hasard.

 

Une école pour faire barrage à l’influence des BRICS  en Afrique?

 

La montée en puissance des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) contribue à nourrir une nouvelle philosophie de libération et d’indépendance pour les pays en développement, remettant en question le monopole de l’Occident sur les affaires économiques et politiques de ces nations.

 

Ce bloc économique et politique alternatif offre aux pays africains une opportunité de diversifier leurs partenaires et de rééquilibrer leurs échanges, longtemps marqués par des relations inégales et des accords commerciaux souvent désavantageux.

 

Face à cette tendance de fond, il est sans nul doute que Paul Kagamé joue un rôle stratégique pour l’Occident en tant qu’alliés dans la promotion d’une gouvernance conforme aux intérêts impérialistes. L’école de la « bonne gouvernance » qu’il a mise en place serait alors vue comme un instrument pour façonner la jeunesse africaine selon des valeurs et une vision de la gouvernance alignées sur les attentes des puissances étrangères. Ce projet, pensé et soutenu par ses partenaires occidentaux, aurait pour but de « formater » la prochaine génération de leaders africains afin de les rendre réceptifs à une vision de la gouvernance qui maintient des liens étroits avec l’Occident.

 

En retour, Kagamé bénéficie d’une certaine indulgence internationale depuis trois décennies : ses violations des droits humains et ses interventions militaires dans les pays voisins sont tolérées, voire tacitement encouragées. Cette complaisance va jusqu’à fournir un soutien matériel, notamment en armements, consolidant son pouvoir régional tout en servant les intérêts de ses partenaires étrangers. Cette situation témoigne d’une relation transactionnelle où Kagamé, en tant que « commissionnaire » des puissances occidentales, bénéficie d’un soutien stratégique en échange de sa contribution à la préservation de leurs intérêts en Afrique.

 

Une école pour former en Afrique un leadership fondé sur la famille et l’oligarchie ?

 

Sous la présidence de Paul Kagamé, le Rwanda est marqué par une discrimination ethnique manifeste, avec le pouvoir politique, économique et social concentré aux mains d’une oligarchie majoritairement issue de la minorité tutsie. Cette élite contrôle non seulement les principales institutions de l’État, mais également les secteurs de la sécurité et de la justice, créant un système fermé qui limite fortement les opportunités de mobilité sociale pour les membres de l’ethnie majoritaire hutu.

 

Dans ce contexte, l’inauguration récente d’une école censée promouvoir la « bonne gouvernance » soulève des interrogations quant à ses véritables objectifs. Si cette institution se présente comme un lieu de formation des futurs leaders, on peut craindre qu’elle ne serve en réalité qu’à inculquer un modèle de gouvernance conforme aux pratiques de l’actuel régime rwandais. Ainsi, au lieu de favoriser un leadership inclusif, l’école pourrait reproduire un système autoritaire où l’ascension sociale repose sur l’allégeance à l’élite au pouvoir, consolidant une caste politique transgénérationnelle.

 

Au-delà des frontières rwandaises, cette école pourrait également influer sur des générations de dirigeants africains en véhiculant une vision de la gouvernance qui privilégie la stabilité au détriment des libertés démocratiques et des principes d’inclusion. En attirant les enfants des élites africaines, l’école deviendrait un instrument de soft power au service du régime rwandais, favorisant la diffusion et la normalisation de ses valeurs et de ses pratiques. Ce phénomène encouragerait la consolidation de dynasties politiques à travers l’Afrique, perpétuant des systèmes de transmission du pouvoir au sein de familles influentes et privant ainsi les sociétés africaines d’un renouvellement de leadership démocratique.

 

Paul Kagamé est un valet, un commissionnaire de l’impérialisme occidental ?

 

Paul Kagamé, relais de l’impérialisme occidental, a transformé le Rwanda en un véritable laboratoire pharmaceutique pour les essais de nouveaux vaccins et médicaments, sans tenir compte des risques potentiels pour sa population.

 

Dans cette optique, le Rwanda apparaît comme un terrain d’expérimentation pour des traitements qui, sous couvert de progrès médical,  exposent les habitants à des effets inconnus, en l’absence de cadres de régulation suffisamment protecteurs.

 

Par ailleurs, ce petit pays, qui peine encore à assurer la sécurité alimentaire de ses citoyens, est devenu une terre d’accueil pour des migrants rejetés par des nations occidentales, tels que les demandeurs d’asile en provenance d’Israël, d’Afghanistan ou du Royaume-Uni.

 

Cette politique d’immigration, souvent encouragée et financée par les pays occidentaux, est  une récompense accordée à Kagamé pour sa loyauté, lui permettant de jouer un rôle central dans les équilibres régionaux. En échange, ses alliés tolèrent, voire soutiennent ses actions de déstabilisation en République démocratique du Congo, où ses interventions nourrissent des tensions régionales persistantes. Cette relation complexe laisse penser que Kagamé bénéficie d’un soutien stratégique pour maintenir son influence en Afrique centrale, en échange de sa coopération dans des initiatives qui servent les intérêts des puissances étrangères.

 

C’est dans cette logique que l’école de la gouvernance peut être perçue comme un instrument créé par Kagamé et ses partenaires pour des objectifs inavoués.

 

Conclusion

 

Pour conclure, il est affirmé que l’École Africaine de Gouvernance ambitionne de répondre aux défis urgents de la gouvernance sur le continent africain en formant les leaders de demain aux compétences et aux valeurs nécessaires pour un leadership responsable et efficace.

 

Cependant, une analyse plus approfondie jette un doute sérieux sur la sincérité de cette initiative. En effet, le profil controversé de son initiateur, Paul Kagamé, suscite des interrogations légitimes : comment un dirigeant accusé de violations graves des droits humains et de collaboration avec des intérêts étrangers dans l’exploitation des ressources africaines peut-il incarner les valeurs de bonne gouvernance et d’indépendance que l’Afrique aspire à cultiver ?

 

À l’heure où une grande partie de la jeunesse africaine exprime une volonté de s’émanciper de l’influence occidentale et de renouer avec une autonomie idéologique, cette école  apparaît comme un instrument de « formatage » idéologique, visant à renforcer des valeurs et des normes exogènes, au détriment des aspirations africaines à une gouvernance endogène et autonome.

 

Par ailleurs, dans un contexte de réorganisation des influences mondiales, cette institution est également  perçue comme une tentative de freiner l’influence croissante des BRICS en Afrique, et de maintenir le continent dans une sphère d’influence occidentale.

 

En somme, l’École Africaine de la Gouvernance, en l’état, semble moins orientée vers l’émancipation des futurs leaders africains que vers une forme de contrôle idéologique alignée sur des intérêts extérieurs.

 

Vestine MUKANOHERI

Analyste politique

 


 

[1] Ahmed Sékou-Touré, L’Afrique en marche, Imprimerie nationale Patrice Lumumba, Conakry, 1981, p. 412.

 

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