La comédie : les Rwandais ont un incroyable talent !
Contrairement à certains peuples d’Afrique, tous les Rwandais ont un outil de communication en commun, la langue rwandaise. C’est une énorme richesse mais aussi un terrible frein, paradoxalement.
Depuis la nuit des temps, les Rwandais n’ont eu qu’une langue maternelle – le kinyarwanda- partagée par l’ensemble de la population. C’est une des raisons, en partie, qui met en question la notion d’ »ethnie » au Rwanda. La langue rwandaise est un marqueur identitaire consubstantiel aux trois groupes sociaux rwandais : Hutu, Tutsi et Twa.
Fatalement, les Rwandais n’ont pas su profiter de cette perle rare pour en faire un instrument d’unification. A certains moments, elle a même alimenté les tensions rwando-rwandaises. L’on se souviendra, à titre d’exemple, des tensions qui sont nées de son statut de langue d’enseignement, privilège linguistique de la réforme scolaire de 1978. Ce privilège a été enterré en 2007 (en faveur de l’anglais) lui reprochant de freiner la maitrise des langues étrangères. J’ai été moi-même entièrement scolarisé en langue rwandaise à l’école primaire, pendant 8 ans. Or, je ne suis pas sûr, de fait, que cela ait impacté négativement la maitrise des langues étrangères.
A mon sens, le débat des experts aurait pu davantage se focaliser sur les méthodes pédagogiques afin de mieux adapter la nouvelle politique linguistique. La question a été outrancièrement politisée au point de la condamner à un non-retour dans les débats. Dès lors, la planification linguistique dans l’enseignement demeure floue et spéculative à tous les niveaux.
Il faudra noter au passage, que les langues étrangères (anglais, français) ne jouent pas le rôle de communication orale dans les échanges quotidiens au Rwanda. Ce ne sont que des langues administratives qu’on retrouve dans certains documents officiels.
La langue rwandaise, si ingénieusement belle, regorge depuis fort longtemps de très bons poètes, musiciens, fins politiciens, comédiens, etc. Malheureusement, et c’est cela le revers de la médaille, la littérature étrangère et le lecteur non-rwandophone ne gouteront presque jamais de la saveur originale des créations littéraires rwandaises . Citons, à titre d’exemple, les poèmes « indyoheshabirayi » (relève-goût des pommes de terre) de Kagame Alexis, Umwami si umuntu (le Roi n’est pas un humain) de Semidogoro, Isiha rusahuzi (la taupe crapuleuse) de Gasimba François Xavier, umunyamerwe (un avide-de-viande) de Nyamulinda Augustin, la pièce de théâtre radiodiffusée« Icyanzu cy’Imana » (la brèche de Dieu) écrite par Bahinyuza Innocent ou encore les scènes comiques diffusées aujourd’hui par le site web « youtube », relayées par différents réseaux sociaux. La comédie rwandaise n’a pas été autant valorisée qu’elle ne semble l’être aujourd’hui.
Un genre promu par les réseaux sociaux
Grâce à l’émergence de la plateforme « youtube » et la monétisation subséquente, les Rwandais ont saisi l’occasion pour faire fleurir un genre qui était jusque-là, presque méconnu.
Des scènes comiques défilent à longueur de journée pour tenter de grappiller le nombre important de suiveurs et de leur « like » et gagner ainsi de l’argent et la popularité. Les talents de tous âges ne se cessent de naître et de faire rire le public, en solo ou en groupe. Parmi eux, on pourra citer les grands noms notamment Ndimbati, Killaman, Kanyombya, Nyambo, Bijiyobija, Nsabi, etc .
Ces deux derniers attirent l’attention en particulier, non par le nombre de suiveurs mais par la thématique et la construction de l’intrigue comique. Cette dernière fait penser à la comédie d’intrigue dans le genre théâtral français, qui « se concentre sur une histoire complexe avec des rebondissements, des retournements de situation et des quiproquos comiques » . La comédie « les fourberies de Scapin » en est une parfaite illustration.
Le jeu comique de ces deux acteurs rwandais et leur troupe repose sur un suspens jubilatoire, dans un village démuni de tout, prêt à toutes les vices pour obtenir à manger ou à boire, singulièrement insuffisants.
Bijiyobija le fourbe, Nsabi le con sublime
La complémentarité de ces comédiens atypiques, dans une famille dont Bijiyobija est le père de Nsabi et Bikokora (deux orphelins de mère), offre un formidable spectacle qui repeint le quotidien de certains foyers rwandais très pauvres, sans la présence féminine à plus forte raison . Ce trio dont les noms, caricaturaux et grotesques, ne survit que par des moyens perfides, au sein même de la famille ou en dehors. Face à l’argent et à la nourriture, chacun est pour soi. Le petit dernier de la famille Bikokora peut crever de faim alors qu’en face, son père et son grand frère se félicitent d’avoir trop mangé. Selon l’incarnation des rôles, Bijiyobija est le maître de la fourberie décomplexée. L’injure est une banalité de son langage courant, lancée à son interlocuteur, souvent sous forme de gradation : « kabwerabwere, gakubwe n’umuruho, karindagire » (Que tu sois sujet à l’errance, au désarroi et à la désillusion). Il sera intéressant, plus tard, de consacrer un article entier sur les injures et leur impact social au Rwanda.
Dogiteri Nsabi est le con sublime. Il se nomme « dogiteri » (docteur), surement dans le domaine de l’ânerie . Sa spécialité est de pleurer comme un gamin pour peu qu’il en saisit l’occasion. C’est son génie qui le sauve de toutes les situations, transformant ses adversaires en dindons de la farce. Le con dit toute la vérité du monde, il est né pour être moqué, de toute façon.
Les deux comédiens et leur groupe savent pertinemment exploiter les procédés comiques, en particulier le comique de gestes (grimaces, coups de bâton, chutes, danse) et le comique de mots (jurons, intonation, insultes, chant, etc.).
Un genre qui ne fait pas que rire
Comme toute création artistique ou littéraire, la comédie peint la société, c’est un miroir du peuple. En faisant rire, elle dénonce les défauts et les travers humains. La comédie rwandaise dans son ensemble, dénonce l’hypocrisie des religions, un thème omniprésent. Elle dénonce aussi le format actuel du mariage ou encore d’enterrement qui deviennent davantage la source d’escroquerie et de conflit d’intérêt.
La comédie rwandaise est porteuse de symboles, certains moins drôles que d’autres. C’est une comédie qui exalte la force du fouet, symbole de la toute puissance. L’usage excessif du fouet et l’autoritarisme vénérés de certains acteurs agacent par moment le spectateur. Enfin, la comédie rwandaise est très précautionneuse et prudente. Elle évite soigneusement la moindre critique à l’égard de l’autorité politique.
Faustin Kabanza
Sources:
Irebero Comedy (youtube)
Systèmes éducatifs bi /plurilingues au Rwanda et au Cameroun ( article, 2022)
L’essence de la comédie (livre, 2023)
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