Négociations directes RDC-M23. Victoire de Paul Kagame ou défaite de Félix Tshisekedi ?

En cette mi-mars 2025, une cascade ou avalanche d’annonces et décisions s’est déversée sur l’opinion publique présageant la fin de la guerre ou la fin de la RDC elle-même. En effet, on vient d’apprendre le début imminent des négociations directes avec le M23 imposées au président Tshisekedi, le retrait de la force de la SADC du territoire de la RDC, … exactement tout ce que Paul Kagame a continué à exiger et finalement qu’il finit par obtenir. Mais peu savent à quel prix et quelles en sont les implications. Décryptage.

 

Tout a commencé avec l’annonce surprise et inattendue de la présidence de l’Angola le 12 mars 2025, qui indiquait que le Président Tshisekedi venait d’accepter de négocier directement avec le groupe M23 pour mettre fin à la guerre qui sévit à l’Est de la RDC

 

La surprise fut d’autant plus grande que le même président d’Angola Joao Lourenço venait de renoncer à sa mission de médiation dans ce conflit pour, disait-il, qu’il puisse se consacrer uniquement sur la présidence en exercice de l’Union Africaine à laquelle il venait d’être élu en février 2025.

 

De fait, João Lourenço, facilitateur du processus de Luanda, avait annoncé se mettre en retrait de son poste pour prendre la tête de l’Union africaine. Le voici donc de retour comme médiateur entre la RDC et le M23 et à Luanda.

 

On ne sait donc pas ce que deviennent les 3 facilitateurs qui l’avaient remplacé dans ce rôle à savoir  l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta, l’ex-président nigérian Olusegun Obasanjo et l’ancien premier ministre éthiopien Haile Mariam Desalegn qui venaient d’être désignés comme facilitateurs du processus de paix conjoint entre la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).

 

Après l’effet de surprise, nous avons très vite eu la confirmation officielle et des précisions à ce sujet. Le gouvernement angolais a annoncé avoir fixé au mardi 18 mars le début des négociations directes entre les délégations de Kinshasa et les rebelles du M23, dans la ville de Luanda, capitale de l’Angola.

 

Ensuite, la presse internationale en a fait écho, avec des sentiments mitigés, comme Colette Braeckman dans « Le Soir » qui, le 13 mars a noté:  « C’est à contrecœur, sinon la mort dans l’âme, que le président congolais FélixTshisekedi, à l’issue d’un entretien d’une heure avec le président angolais Joao Lourenço, a dû s’incliner et accepter une négociation directe avec le mouvement rebelle M23. Jusqu’ici, il s’était toujours refusé à dialoguer avec ce dernier ».

 

Dans la foulée, ce conflit a connu un nouveau développement sur le plan diplomatique. L’annonce angolaise est intervenue à la veille d’un autre événement important dans la région : un sommet extraordinaire des Etats de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) consacré justement à la RDC le jeudi 13 mars2025.

 

Dans la journée du jeudi 13 mars visiblement avant même l’annonce officielle de la fin de ce sommet en visionconférence, la presse a largement fait état du fait que les chefs d’États venaient d’acter la fin du mandat de la force militaire, la SAMIDRC, déployée dans le pays. De plus, dans les recommandations, le sommet a appelé à une solution politique avec tous les acteurs.

 

Avec la succession de ces événement, il y a lieu de faire des interprétations à chaud.

Tout d’abord, l’acceptation par le président de la RDC de négocier directement avec le groupe M23 afin de trouver un accord de paix, même par contrainte ou par réalisme vu le rapport des forces militaires sur le terrain, signifie que désormais le M23 devient un interlocuteur légitime et reconnu officiellement comme tel par le gouvernement de la RDC. Ce qui se traduira par la levée des mandats d’arrêt lancés contre certains de ses leaders et l’amnistie pour ceux parmi eux déjà condamnés.

 

Ainsi, le gouvernement de la RDC de 2025 se trouve dans la même situation que celle du gouvernement du Rwanda de 1990 qui, contraint et sans autre alternative, a accepté d’admettre que les troupes venues d’Ouganda commandées par des généraux, colonels, majors, … étaient, non pas des militaires de l’armée ougandaise qui envahissaient le Rwanda, mais “des réfugiés qui rentraient dans le pays d’origine de leurs ancêtres”. Pourtant parmi eux, il y avait le vice-ministre de la Défense de l’Ouganda, le chef des Renseignements militaires, le chef du service de Santé dans l’armée ougandaise, etc. Même le HCR, contre ses principes, a avalisé cette situation. Ce fut la seule et unique occasion dans l’Histoire que cette instance de l’ONU chargée des réfugiés a reconnu que des généraux, des officiers supérieurs de l’armée,  des ministres… d’un pays quelconque étaient en même temps reconnus par le HCR comme “réfugiés” par rapport au pays de leurs ancêtres.

 

Ensuite, dans ce processus qui s’engage avec les négociations directes entre la RDC et le M23 à Luanda dès le 18 mars comme annoncé, le Rwanda de Paul Kagame se considère comme déchargé de tout accusation d’implication dans cette guerre dont il est pourtant le concepteur, l’un des belligérants et le bénéficiaire.

 

Enfin, en guise de négociations, on assistera à des séances d’imposition des conditions posées par le Rwanda à travers son M23 à la RDC.

Ainsi, le M23 va exiger la démission du président Félix Tshisekedi et de son gouvernement pour les remplacer par un gouvernement de transition dont le M23 serait le moteur et pour une durée indéterminée.

Ce mouvement ne manquera pas d’exiger l’intégration des combattants du M23 dans les FARDC aux grades et fonctions de leurs choix et des affectations aux endroits de leur choix concrètement dans les régions de l’Est de la RDC accolées au Rwanda et à l’Ouganda

 

Les conséquences directes en RDC sautent aux yeux.

L’une des conséquences immédiates de cette humiliation du régime de Félix Tshisekedi en RDC sera la perte de crédibilité auprès des populations locales envers le gouvernement central de Kinshasa au profit des politiciens locaux qui, souvent, les manipulent et les exploitent pour leurs intérêts mesquins et non patriotiques.

 

On assistera alors aux naissances ou réactivations des rebellions dans toutes les régions du vaste pays. Ce qui sera encore ingérable pour un gouvernement central de Kinshasa qui a déjà montré ses limites en la matière car sans armée véritablement nationale depuis l’arrivée au pouvoir de Joseph Kabila et pendant son règne de 18 ans et dont on voit les conséquences.

 

Sur le plan géopolitique en Afrique, ce processus inattendu de négociations directes entre la RDC et le M23 constitue une porte de sortie des puissances soutenant Paul Kagame qui étaient embarrassées de voir leur cher pion devenir indéfendable visiblement et de plus en plus coupable de plusieurs crimes de droit international, crimes de guerre, crimes contre l’Humanité voire de génocide en RDC. Ils seront cette fois-ci soulagés car ils feront désormais comprendre à leur opinion que désormais leur Paul Kagame du Rwanda n’a plus rien avoir avec la guerre et le pillage des minerais de l’Est de la RDC car cela ne concernerait que le M23 et la RDC. Alors que ce M23 n’est autre que Paul Kagame lui-même.

 

Enfin, sur ce plan, l’imposition à la RDC du M23 comme interlocuteur et de même niveau, va constituer une précieuse occasion à certaines personnalités d’inscrire leurs noms dans l’Histoire et à peu de frais. Il leur suffira de clamer qu’elles seraient à la base de la fin de la guerre en RDC, mais sans dire à quel prix pour la RDC et son peuple, pour ensuite se retrouver “Prix Nobel de la Paix” ou lauréats d’autres distinctions.

 

Dans les régions, les conséquences seront d’indirectes et se déclinent comme être analysées comme suit :

Pour l’EAC, les négociations directes entre la RDC et le M23 sera ressenti comme une victoire et une revanche sur à la fois le régime de Félix Tshisekedi qui avait osé dénoncer sa complicité et expulser sa force, mais aussi contre la SADC qui l’avait remplacée au cœur des Congolais. En plus, dans ce nouveau processus qui s’engage, Paul Kagame et Yoweri Museveni avec leur pion William Ruto du Kenya y auront toujours la main car le Kenya sera l’un des médiateurs avec l’ancien président Uhuru Kenyatta.

 

En ce qui concerne la SADC, c’est la realpolitik qui est à considérer pour comprendre et digérer sa position. Dès lors que le moteur de cette communauté qu’est l’Afrique du Sud est à la fois la cible de l’administration Trump en USA de la part de son ressortissant afrikaner le milliardaire Elon Musk actuellement bras droit de Donald Trump et qui accuse le régime de l’après Apartheid d’avoir spolié les blancs, et qu’en même temps Israël la voue aux gémonies pour avoir osé l’accuser de génocide dans Gaza devant la CPI, il est logique que la SADC saisisse toute occasion pour alléger ces pressions sur l’Afrique du Sud. La sortie de la SADC et donc de l’Afrique du Sud du conflit en RDC en est une éloquente illustration.

 

S’agissant du Burundi, on peut dire sans risque de se tromper que ce pays est dans le collimateur de l’hégémonique et dictateur au Rwanda Paul Kagame. En effet, le Burundi comme maillon faible de la chaîne des pays aux régimes démocratiques de la région et vue sa proximité tant géographique que socio-culturelle et historique avec le Rwanda de Paul Kagame, il est bien indiqué pour être l’objectif prioritaire et relativement atteignable pour que Paul Kagame y installe un modèle de son régime dictatorial et quasi d’Apartheid comme au Rwanda depuis 1994.

 

Les prétextes pour atteindre cet objectif ne manquent pas au dictateur hégémonique Paul Kagame et son parti-Etat FPR. Il va brandir le prétexte “d’y arrêter ou d’y prévenir un génocide contre des Tutsi”, comme il le fait pour justifier sa guerre d’agression contre le Rwanda mais surtout quand il est en quête de légitimité qui lui manque cruellement au sein du peuple rwandais ; et tout ceci en occultant les génocides successifs commis contre les Hutu du Burundi jamais dénoncés : comme celui de 1972 sous le colonel Michel Micombero, celui de 1988 à Ntega Marangara sous le major Pierre Buyoya I, celui de 1993 à 2000 après l’assassinat du premier président Hutu démocratiquement élu Melchior Ndandaye sous le major Pierre Buyoya II.

Et comme signes avant-coureurs, les exilés burundais, dont presque tous sont des ‘‘génocidaires’’ de 1993 ou des putschistes de 2015 condamnés par la justice mais repliés au Rwanda et certains en Occident (Belgique, France, Canada, …) commencent à faire entendre leurs voix dans ce sens et ont même mis sur pied des organisations politico-militaires basées chez Paul Kagame pour servir de ce prétexte comme Red-Tabara.

 

Pour le Rwanda, les conséquences sont particulières. Elles se déclinent en gains et pertes.

Les négociations directes entre la RDC et le M23 est une chose à laquelle le président Tshisekedi s’est toujours opposés, mais qu’exigeait Paul Kagame. On pourrait considérer que le dictateur rwandais vient de gagner sur toute la ligne. Rien n’est moins sûr et cette ‘‘victoire’’ est à relativiser.

 

Ainsi, les revendications du président rwandais vont perdre tout sens car elles se réduisent à la prétendue discrimination des rwandophones en général et des Tutsi en particulier par le pouvoir de Kinshasa. Or il a été prouvé que la RDC veille sur les intérêts des rwandophones et des Tutsi beaucoup plus que Paul Kagame lui-même qui n’hésite pas à les sacrifier pour ses propres intérêts.

 

Ses prétextes, et le cas particulier des FDLR, tombent aussi à l’eau. En effet, après maintenant bientôt 3 mois que ses troupes occupent les provinces du Nord Kivu et du Sud Kivu et après y avoir installé une administration parallèle, Paul Kagame ne peut plus accuser l’administration légitime de la RDC de protéger les FDLR censés être basés dans ces provinces. La demande de “neutraliser et de démanteler les FDLR” n’a donc plus de raison d’être encore adressée à qui que ce soit ni dans aucune instance car Paul Kagame lui-même s’en occupe  pendant son occupation et son contrôle de cette zone.

 

Enfin Paul Kagame devra trouver autre chose à brandir comme prétexte pour justifier son exploitation illégale et frauduleuse des minéraux rares de RDC. En effet, son pillage est d’ordre public et est même dénoncé par ses partenaires qui sont des importateurs de ces minéraux de sang de RDC que leur vend Paul Kagame. Certains de ces importateurs promettent d’y mettre fin .

 

Les leçons à tirer de ce tout nouveau chapitre dans la guerre d’agression que subit la RDC, à savoir l’obligation de Kinshasa de négocier directement avec le groupe terroriste de Paul Kagame M23, sont diverses et sont à analyser par cas par cas.

 

Pour tout Etat africain ou de la région, la leçon à retenir serait le constat du fait qu’il est impossible de construire un Etat/Nation sans une armée nationale. Que les opérations de brassages, intégrations, mixages, … telles que pratiquées pendant plus de 18 ans sous le régime de Joseph Kabila en RDC auront conduit ce pays à la plus grande des humiliations. Car en effet, comme en est contrainte actuellement la RDC et sans aucun échappatoire, en cas de guerre, négocier avec l’ennemi étant soi-même en position de faiblesse et même défait militairement constitue une des honteuses humiliations que peut subir une des parties belligérantes.

 

Pour les politiciens de la RDC, ils auraient intérêt à retenir la leçon comme quoi il ne faut jamais compter sur un ennemi qui attaque le pays de l’extérieur pour espérer accéder au pouvoir dans son propre pays ainsi agressé. Les intérêts sont si divergents que ces politiciens seront déçus et perdraient tout. Pour les congolais, on peut citer le cas des politiciens rwandais des années 1990-1994 qui ont cru compter sur le FPR du même Paul Kagame qui attaquait le pays venant d’Ouganda, pour renverser et succéder au président Juvénal Habyarimana au pouvoir. Ils n’ont pas tardé à se désillusionner pour ce qui ont survécu au même FPR de Paul Kagame.

 

Pour les peuples de la région et le peuple rwandais en particulier.

Il faudrait plus que jamais se convaincre que Paul Kagame et son FPR ne sont pas une fatalité à subir stoïquement. Il faut au contraire continuer ou redoubler d’efforts pour dénoncer et prévenir ses crimes  de guerre et contre l’Humanité au Rwanda comme dans la région.

La fin de l’impunité dont il jouit depuis 1990 sera sonnée par les mêmes arbitres – ou l’est déjà – à un moment donné .

 

Emmanuel Neretse

 

 

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