Y’a-t-il eu un ou deux génocides au Rwanda ?

Ambassadeur JMV Ndagijimana
 

Ambassadeur JMV Ndagijimana

Ambassadeur JMV Ndagijimana

Dans cet article, l’Ambassadeur Jean-Marie Ndagijimana, auteur du livre « Paul Kagame a sacrifié les Tutsi« , (Juin 2009, Editions la Pagaie), aborde la question du double génocide au Rwanda.

Y’a-t-il eu un ou deux génocides au Rwanda ?
« Sans hésitation, deux génocides. Mon analyse des événements et mon intime conviction me conduisent à affirmer qu’il y a eu deux génocides parallèles et concomitants au Rwanda. Les faits constitutifs de ces deux génocides ont eu lieu dans des circonstances de temps, de lieu et de méthode identifiables. Conformément au principe d’égalité au droit à la vie, aucun de ces deux génocides n’excuse ni ne justifie l’autre. La seule manière de reconnaître ou de réfuter officiellement le génocide hutu est, pour la communauté internationale, de lever l’embargo qui couvre tous les rapports mettant en cause Paul Kagame et son entourage, permettant ainsi aux victimes Hutu et à leurs familles de jouir pleinement de leur droit à une justice internationale équitable et impartiale, à l’instar de leurs compatriotes Tutsi. Tant que les obstructions actuelles perdureront, il est évident que la rancœur et les frustrations ne feront que s’amplifier au sein d’une grande partie de la population rwandaise. Est-ce cela que recherche le TPIR en fonçant tête baissée dans le processus d’achèvement qui n’est que la forme masquée d’un terrible déni de justice ?

Oui, je le répète, il y a eu un double génocide. 

Dans la zone contrôlée par le gouvernement Kambanda, entre avril et juillet 1994,d’innombrables faisceaux convergents prouvent que malgré la prétendue spontanéité de certains massacres, les tueries étaient organisées. Lorsque des centaines voire des milliers de barrages sont installés dans les villes, à tous les carrefours, sur les ponts des fleuves, sur toutes les routes du territoire sous contrôle gouvernemental, que des miliciens armés les surveillent, qu’ils trient les passants sur base ethnique, qu’ils tuent tous les passants Tutsi ou Hutu à physionomie tutsi, qu’ils laissent en revanche passer les Hutu identifiés et vérifiés comme tels, l’on ne peut plus parler de réactions spontanées. Encore que la spontanéité n’enlève rien à la gravité de tels massacres. Lorsque, pendant trois mois sans interruption, des équipes de tueurs armés ratissent les collines, les marais, les forêts, les églises, les écoles, les maisons d’habitations, à la recherche de Tutsi, qu’ils les tuent systématiquement quand ils les trouvent, l’on ne peut plus parler de colère spontanée. L’intention de détruire un groupe identifié est ici patente. Ces actes criminels ont eu lieu partout dans la zone contrôlée par le gouvernement, suivant un scénario quasiment invariable. Cela est qualifié de génocide en droit international humanitaire. Les Tutsi qui ont échappé aux massacres ont survécu parce que la MINUAR ou des Hutu les ont protégés ou qu’ils se sont mis à l’abri à temps.

Dans la zone contrôlée par le FPR : au lendemain de l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, alors que sur le territoire contrôlé par le gouvernement la surprise était totale, que des milliers de Tutsi innocents sans défense se faisaient tailler en pièces, le FPR de Paul Kagame se déployait dans le calme, suivant un plan préétabli, chirurgical et impressionnant d’efficacité. Par monts et vallées, le mouvement rebelle mettait cyniquement à exécution l’élimination systématique des Hutu. Si les techniques utilisées diffèrent de celles des miliciens Interahamwe, la méthode du FPR est plus discrète, plus « intelligente » (ubwenge), plus rapide, plus radicale, plus moderne et plus cynique. En zone FPR, il n y avait pas de barrages. Après avoir mis les Tutsi identifiés comme tels à l’abri, tous les Hutu y étaient assimilés aux Interahamwe. En lieu et place des barrages, la méthode génocidaire consistait à convoquer des réunions-piège « inama » dites de sensibilisation. Les paysans se rendaient ainsi en toute naïveté à ces réunions, et une fois regroupés dans un stade ou dans une vallée comme lors du tristement célèbre massacre du marais de Rwasave à Butare, les militaires du FPR positionnés d’avance autour du lieu de la « réunion » tiraient dans le tas. C’était plus rapide, plus technique, plus moderne et plus efficace ! Plus « intelligent-ubwenge » aussi. En quelques heures, les corps des milliers de Hutu abattus comme des animaux sauvages disparaissaient nuitamment sous les flammes ou dans des fosses communes creusées à l’avance. Oui, les corps de nos parents, nos mamans, nos papas, nos frères, nos sœurs, nos enfants, des vieillards, des octogénaires massacrés par les hommes de Paul Kagame comme par plaisir, par balles, souvent à la grenade, à coups de canons, ont été incinérés à la sauvette, jetés dans des puits perdus et dans des fosses communes. Et on veut nous faire croire qu’il ne s’agit pas d’un génocide ! 

Lorsque deux années plus tard, en 1996 et en 1997, l’armée de Paul Kagame a traqué les réfugiés Hutu au Zaïre et qu’il en a massacré plus de trois cents mille en pleine forêt équatoriale, selon un plan élaboré par l’état-major de l’APR-Inkotanyi, cela s’appelle un génocide. Le rapporteur spécial des Nations Unies chargé d’enquêter sur le massacre des réfugiés Hutu, Monsieur Garreton a, en l’espèce, établi que ces massacres constituent des actes de génocide.

Plus près de nous, le Rapport Mapping des Nations Unies du 1er Octobre 2010 concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo vient d’établir que l’armée du Front Patriotique Rwandais commandée par le Général Paul Kagame a commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des actes de génocide contre les réfugiés hutu.

Le massacre des réfugiés Hutu a effectivement été préparé et exécuté par les mêmes officiers tutsi qui ont sévi en 1994. Les mêmes qui ont, une année plus tard, massacré 8 000 compatriotes Hutu à Kibeho en avril 1995. Il y a donc un faisceau de suffisamment d’éléments convergents, dans le temps comme dans l’espace, qui prouvent l’intention incontestable de « détruire, ou tout ou en partie, le groupe hutu comme tel ». Cela s’appelle un génocide en droit pénal international. Qui ignore tout cela ? Tout le monde connaît la vérité. A Paris, à Arusha, à New York, à Washington, à Kigali, à Bruxelles, à Pékin, à Phnom-Penh, à Berlin, tout le monde sait mais fait semblant de ne pas savoir. Ou de ne voir qu’une partie de la vérité. 

Les massacreurs sont connus et ne représentent pas leur ethnie d’origine. Loin s’en faut. Ils devraient payer le prix de leur bestialité. Il n’est pas question que toute une ethnie ou tout un peuple paye à la place de quelques excités extrémistes dont le seul objectif était et reste de diviser pour régner. Des extrémistes Hutu et Tutsi ont tué. Leur appartenance à l’ethnie majoritaire ou à l’ethnie minoritaire ne change rien quant à leurs responsabilités. La seule différence fondamentale est que la Justice internationale et la justice rwandaise n’ont jusqu’à ce jour poursuivi que les criminels Hutu, en laissant, pour des raisons politiques, à l’avenir de juger les criminels d’ethnie tutsi.
Chaque génocide doit être appréhendé séparément. Reconnaissons au moins les faits, exigeons que la justice s’en saisisse sans discrimination, et laissons-lui le soin de les qualifier. En attendant, nous réaffirmons qu’un groupe de Hutu a commis un génocide en détruisant intentionnellement la vie de centaines de milliers de rwandais d’ethnie tutsi, et qu’un groupe de Tutsi a commis un génocide en détruisant intentionnellement la vie de centaines de milliers de rwandais d’ethnie hutu. Pour ce qu’ils étaient et non pour ce qu’ils avaient fait. Nous avons le droit de le dire sans être taxés de révisionnistes, et d’exiger la mémoire et la justice pour tous. La paix future dans notre pays en dépend. Si certains ne se sentent pas protégés par la loi et la justice, ils feront leur loi et leur justice eux-mêmes. Et on sait où cela mène. Tout doit être mis en œuvre pour éviter ce scénario catastrophe. 

A travers ce témoignage, j’invite mes compatriotes et les amis du peuple rwandais à agir pour l’avènement d’une Nation où l’égalité citoyenne sera le sel de l’unité, et où toute justice discriminatoire serait à jamais bannie. Le dialogue et la vérité dans le respect de l’autre constituent la base incontournable de tout cheminement vers une paix définitive au Rwanda.

A la communauté internationale, je rappelle humblement une des principales missions statutaires du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, à savoir « contribuer au processus de réconciliation nationale ainsi qu’au rétablissement et au maintien de la paix »au Rwanda. La stratégie d’achèvement adoptée par le Conseil de Sécurité et garantissant l’impunité aux criminels du FPR dès la fin de l’année 2009 prépare notre pays à une nouvelle apocalypse.

Mon vœu et celui de nombreux compatriotes épris de paix et de justice, qu’ils soient Tutsi, Hutu ou Twa, est que la communauté internationale prenne la mesure exacte de la situation actuelle afin que les grandes démocraties du monde mettent tout en œuvre pour éviter au peuple rwandais des frustrations supplémentaires découlant de cette discrimination judiciaire mise à l’honneur par les plus hautes instances de l’Organisation des Nations Unies.

Vidéo:Interview de Jean Marie Vianney Ndagijimana

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