RDC : C’en est pas (encore) terminé de Terminator !
Le Président de la République a terminé mercredi soir sa visite improvisée à Goma, pour se rendre à l’autre rive du majestueux lac Kivu, dans la ville de Bukavu que la crise militaire de ces derniers jours n’a pas épargné, comme on pouvait s’y attendre.
Avant son départ pour le Sud-Kivu, Monsieur Kabila s’est entretenu pendant près de trois heures avec les notables de la province, les représentants de la société civile et des « communautés » (entendez des groupes ethniques) de la province. La veille, il avait eu une autre rencontre avec le commandement militaire à l’hôtel du gouvernorat de la province, rencontre à laquelle avaient pris part les principaux responsables nationaux de l’armée, de la police et des services de sécurité, au nombre desquels le Lieutenant Général Didier Etumba, Chef d’Etat-major général des FARDC.
Le Général « Terminator » se retrouve maintenant sans job… du moins officiellement
Dans son adresse aux membres de la société civile, à la fin de leur échange, le Président de la République a annoncé la fin des opérations « Amani Leo » (Paix Aujourd’hui, en Swahili). Cette décision n’est sans doute pas anodine. Ces opérations n’avaient pour Commandant adjoint qu’un nommé Général Bosco Ntaganda, dont tout le monde sait – même si peu sont ceux qui osent l’avouer – qu’il est au cœur de la crise actuelle dans le Kivu. Ces opérations, dont l’objectif était de traquer les forces rebelles locales et étrangères (dont les Rwandais des FDLR et les Ougandais d’ADF-NALU) étaient conduites depuis 2009, sous diverses appellations. Elles s’inscrivaient dans la suite de l’abandon par le Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP) de Laurent Nkunda, dont l’un des leitmotiv était justement l’élimination des forces rebelles qui insécurisaient la province et empêchaient le retour des milliers de réfugiés (en majorité Tutsi) établis au Rwanda voisin. Elles avaient été précédées par la campagne militaire rwando-congolaise baptisée « Umoja Wetu » (Notre Unité, en swahili), et qui avait été très décriée à l’époque par les organisations de défense de droits de l’homme, et divisé la classe politique congolaise.
Les opérations « Amani Leo » étaient quasiment du domaine réservé du Général Ntaganda. Leur coordination échappait quasi complètement au commandement de la Huitième Région militaire (correspondant à la circonscription administrative du Nord-Kivu), que ce soit sur le plan opérationnel, logistique ou humain. Ce qui ne manquait pas de créer une méfiance à peine voilée entre les hommes de troupe sous l’autorité directe – et unique – de Monsieur Ntaganda, et les autres militaires. Ceci explique d’ailleurs partiellement les récentes défections et le malaise ambiant au sein des FARDC, car la plupart des militaires qui prenaient part à ces opérations étaient issus des anciens rebelles du CNDP.
En supprimant ces opérations, Kabila vient de supprimer le « job » officiel de « Terminator « , ce qui renforce des spéculations autour de la « volonté » enfin manifeste pour Kinshasa d’en finir avec ce Général aussi fameux qu’encombrant, et de livrer à la CPI qui le recherche depuis 2006. Mais contrairement à ce que j’ai pu entendre sur certaines radios internationales mercredi soir que le Président Kabila aurait « pour la première fois affirmé clairement sa volonté d’arrêter le Général Ntaganda et de le livrer à la CPI », le Chef de l’Etat a dit mot à mot : « Au sujet d’un certain Bosco Général Ntaganda, ma position demeure inchangée (…) S’il faut l’arrêter, les derniers événements nous donnent davantage de motifs pour le faire, et le juger à Goma ou à Kinshasa, sans qu’il ne soit même nécessaire de le transférer à la CPI (…) ». Il l’a dit en Swahili, et c’est peut-être dans la traduction que les journalistes se sont mordus, à moins qu’ils ne racontent ce qu’ils voudraient bien qu’il se produise…
Des rumeurs courent à Goma sur la retraite de Ntaganda dans son fief de Masisi. Officiellement, c’est le mystère – c’est à croire que le seul fait de penser à lui ou de prononcer son sacré nom fout la trouille à certains. En tout cas, il ne faisait pas partie des commandants militaires qui ont pris part mardi à la rencontre avec le Chef de l’Etat, bien que des rumeurs – encore elles ! – aient couru selon lesquelles le Président Kabila serait allé le rencontrer en privé dans la soirée de mardi, au sortir de son tête-à-tête avec les autres officiers.
En somme, certes signes qui ne trompent pas indiquent que l’arrestation de Ntaganda est (peut-être) dans l’air du temps ; mais le Kabila que j’ai suivi n’a pas dit expressis verbis qu’il allait le faire. Même s’il a minimisé la pression internationale – et nationale ! – qui est exercée sur lui pour exécuter le mandat d’arrêt de la CPI, Kabila sait qu’il va devoir le faire. Quand ? Comment ? C’est sans doute ce qu’il reste à fixer. Car Ntaganda n’est pas un menu fretin que l’on pêche à n’importe quel hameçon ! Ceux qui l’ont côtoyé – amis ou ennemis – disent de lui qu’il est un combattant redoutable et un fin stratège. Sans oublier que bien au-delà des apparences, il a certainement encore beaucoup de soutiens, à Goma comme ailleurs. Le surnom de « Terminator » n’a pas pu lui revenir gratuitement…
En clôturant sa visite à Goma, le Président de la République a annoncé la mise en place d’une commission de discipline qui devrait entendre les militaires qui avaient fait défection, et décider du sort qui va leur être réservé entre passer devant un tribunal militaire ou …(j’imagine) bénéficier de la clémence de la hiérarchie et réintégrer l’armée.
Le code de justice militaire ne connaît pas cette procédure. Les faits qu’ils ont commis étant manifestement infractionnels, je ne vois pas pourquoi on devrait les faire passer par une instance ad hoc au lieu de les déférer directement devant la justice, quitte à ce qu’ils soient acquittés, si les conditions de leur condamnations viennent à manquer.
En fait, Kabila veut faire un arrangement « amiable » ; régler politiquement le problème, histoire de ne pas créer de nouveaux remous qu’il pourrait ne pas être facile pour lui-même et pour les FARDC de juguler. Sauf que cette approche politique est une preuve encore une fois de fébrilité et de manque de rigueur. On ne gouverne pas un pays comme la RDC avec en permanence la peur au ventre et l’obsession de plaire à tout le monde, d’éviter les mécontentements.
Que se dira tout autre officier à qui viendra demain l’envie de commettre une infraction ? « Il suffit que je fasse une vraie démonstration de force, on ne me fera rien même si mon audace venait à échouer. Avec un peu de chance, d’ailleurs, je serai récompensé » ! L’impunité que les gens décrient est le moyen le plus court et le plus facile que notre Président adopte pour résoudre un problème aussi sérieux que la défection et la rébellion au sein même de l’armée. Finalement, à quoi servent le Parlement, la constitution, les Codes, … si les lois ne sont que des suggestions facultatives !
Mais bon ! C’est cela la méthode Kabila, et il n’en est pas à son premier essai ; déjà que l’affaire Ntaganda a été gérée de la même manière… Et lorsqu’il dit de ce dernier qu’il pourrait bien être jugé à Goma ou à Kinshasa, on comprend tout… Le Chef ne veut pas d’ennuis ! Hélas, je puis parier que ses ennuis se multiplieront tant qu’il n’acceptera pas de changer de méthode…
Et puis autre chose: il se peut que cette Commission ne soit jamais mise en place. Cela ne m’étonnerait guère, moi !
Le Président Kabila a annoncé la mise en place de son nouveau gouvernement pour la semaine prochaine (celle du 16 au 22) […].
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