Le contrôle des armées africaines par les Etats-Unis : le cas du Rwanda

photo http://rwandinfo.com/

Le général Kabarebe avec des soldats américains

De façon insidieuse, sans installer ou déployer des bases militaires grandioses, l’armée américaine est plus que n’importe quelle autre puissance présente en Afrique. Elle contrôle en effet presque toutes les armées nationales des pays qui, dès lors, sont tributaires des Etats-Unis en matière de défense. Le cas le plus caricatural est celui du Rwanda d’après 1994.

Legs colonial et guerre froide

Jusqu’à  la chute du mur de Berlin en1989, les armées des pays africains étaient toutes tributaires du legs colonial et de la guerre froide qui sévissait alors. Certaines d’entre elles avaient été mises sur pied en catastrophe par les puissances coloniales juste avant leur départ suite au vent des indépendances qui a soufflé au début des années 60. De telles armées avaient gardé des liens avec les anciennes puissances coloniales car organisées selon leurs normes et surtout formées et équipées par les cadres des armées de ces puissances.

D’autres pays avaient des armées issues de la lutte contre le colonisateur et qui, de ce fait, avaient bénéficié et bénéficiaient des appuis du bloc soviétique dans son affrontement avec le bloc occidental. Elles étaient organisées, formées et équipées selon les normes du bloc de l’Est.

Mais, après l’effondrement de l’URSS, les Etats-Unis devenaient la seule Superpuissance du monde et son hégémonie allait se faire sentir dans tous les secteurs d’activité. Les conséquences sur le plan stratégique et militaire furent que les Etats Unis ont élaboré une nouvelle stratégie en ce qui concerne les Etats africains. Il n’était plus nécessaire de contrer l’influence soviétique dans ces pays mais plutôt de récupérer, à vil prix, les anciens satellites de l’ex-URSS. En même temps, la désormais seule Superpuissance mondiale devait désormais superviser les actions des anciennes puissances coloniales en Afrique qui sont ses alliés (France, Grande Bretagne, Portugal,…) et ne plus les laisser le champ libre dans ce continent comme du temps de la guerre froide quand elles avaient la latitude d’intervenir comme elles l’entendaient dans leurs pré- carrés respectifs.

Mais la première mise en œuvre de cette nouvelle stratégie fut un fiasco total. Les Etats-Unis avaient décidé d’intervenir directement militairement en Somalie en 1991 pour y imposer leur ordre en y chassant les forces qu’ils jugeaient hostiles à leur idéologie et y installer celles jugées plus dociles. Les GI’s furent ignominieusement humiliés et les images de cette humiliation firent le tour du monde. Ce fait a causé un traumatisme psychique et médiatique dans l’opinion américaine que, depuis lors, il n’est plus question d’envoyer un seul GI’s directement sur le front actif en Afrique.

C’est alors qu’une nouvelle stratégie pour l’Afrique fut élaborée et adoptée. Il s’agira désormais d’user des supplétifs locaux (les armées des pays africains) pour des actions militaires sur le terrain en Afrique menées pour les intérêts et sous la supervision  des Etats-Unis.

Les premiers supplétifs des Etats Unis en Afrique après la guerre froide furent les armées de l’Ethiopie et de l’Ouganda. En Ethiopie, une rébellion issue de la minorité tigréenne et à sa tête Melès Zenawi, venaient de s’emparer du pays en 1991 après avoir défait l’armée du colonel Mengistu Hailé Mariam composée des ethnies majoritaires dans ce pays que sont les Amhariques et les Oromo. Pour s’affirmer, le tigréen Melès Zenawi avait besoin de la Superpuissance qui devait bénir toutes ses actions mais en contrepartie la Superpuissance l’utiliserait comme son supplétif dans la région. Le calcul s’est révélé juste jusqu’aujourd’hui. (AMISOM).

De même, le munyankole Yoweri Museveni qui s’était emparé du pouvoir en Ouganda en 1986 avec une rébellion composée à grande majorité de Tutsi d’origine rwandaise, devait, pour s’affirmer et, asseoir sa légitimité et avoir l’aval de la Superpuissance. Mais en contrepartie, la Superpuissance l’utilisa comme un supplétif pour mettre en pratique les plans élaborés pour la région. C’est ainsi que l’armée de Museveni sera autorisée et appuyée par la même Superpuissance pour renverser le régime démocratique au Rwanda après une guerre de près de 4 ans (1990-1994) et dans la foulée sera utilisée pour renverser le Maréchal Mobutu du Zaïre en1997. Tout cela s’est opéré sans que les soldats américains ne soient directement engagés au combat alors que les plans de manœuvres et les objectifs étaient chaque fois fixés par le Pentagone. Au passage l’armée mono ethnique tutsi du Burundi avait été associée à cette aventure dès1997sous « Buyoya II », tout ça avec la bénédiction et le soutien du Pentagone.

Création de l’AFRICOM

Pour concrétiser et donner forme à cette nouvelle stratégie, il fut créée l’AFRICOM : le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (en anglais United States Africa Command ). En 1983, les planificateurs stratégiques des États-Unis ont placé la majeure partie du continent sous la responsabilité du Commandement européen parce que la majorité des pays africains étaient d’anciennes colonies européennes ayant conservé des liens politiques et culturels avec l’Europe. Depuis le milieu des années 1990, les spécialistes régionaux du département de la Défense réclament la création d’un commandement africain. En gestation depuis plusieurs années, il fut décidé de créer un état-major spécifique pour ce continent durant l’été 2006.

photo http://mutulushakur.com/

L’AFRICOM, qui est donc un commandement unifié pour l’Afrique créé par le Département de la Défense des États-Unis en 2007, est entré en fonction en 2008. Il coordonne toutes les activités militaires et sécuritaires des États-Unis sur ce continent.


Programmes et actions pour le contrôle total de ces armées africaines

  • Formation des cadres militaires africains aux USA même

Ce programme, longtemps balbutiant, va connaître un essor considérable après1990. Les Etats-Unis veilleront à ce que les officiers susceptibles d’occuper de hautes fonctions dans la hiérarchie militaire de leurs pays fassent des stages dans des académies militaires US même à titre symbolique (voyages d’études, séminaires,…), le temps de les ficher et d’étudier leur psychologie afin de les classer et les suivre dans le reste de leurs carrières.

  • Entraînement des troupes sur place

Parallèlement, les instructeurs américains entraînent les troupes africaines dans leurs pays mais de façon discrète car opérant le plus souvent en tenue civile et sous étiquette de « société privée de sécurité ». Ce faisant, le Pentagone connaît ainsi parfaitement l’état de chaque armée africaine qu’il entraîne, notamment son degré de moral et de combativité, tout comme ses points faibles.

  • Equiper en matériel les unités de ces armées

A part l’armement individuel (la fameuse AK47 Kalashnikov qui est sans concurrence si l’on considère le rapport qualité-prix), tous les équipements individuels du combattant des armées africaines  sont fournis par les Etats Unis : tenues de combat, gilets pare-balles, casques, rangers,… Les armées, qui avaient traditionnellement opté pour s ’approvisionner ailleurs (France, pays de l’Est), sont surprises et tenues de s’y conformer lorsqu’elles doivent être déployées  dans des missions de maintien de la paix justement initiées, appuyées et financées par les USA. Chaque soldat doit en effet être drillé pour se mouler dans l’équipement américain et ensuite testé par des instructeurs américains avant d’être admis dans le contingent qui doit partir en mission de l’ONU.

La conséquence est que les Américains contrôlent effectivement et assurent la supervision de la chaîne de commandement et des transmissions de ces armées. Ils connaissent qui est qui, qui fait quoi, comment et avec quoi.

  • Appuis logistiques lors des opérations dans lesquelles ces armées sont engagées.

Les unités de ces armées sont plus encore sous le contrôle américain quand elles sont déployées en mission de maintien de la paix sous la bannière de l’ONU.  Elles  sont en effet équipées par US Army avant leur départ, ravitaillées par elle tout le long de leur mission et s’assure de leur suivi en cas de relève.

Engagement des supplétifs dans les Opérations de maintien de la paix de l’ONU

Comme on l’a vu, l’engagement des armées africaines dans des missions de maintien de la paix en Afrique surtout,  constitue la pierre angulaire de la stratégie militaire des Etats-Unis pour ce continent après la débâcle de Somalie en 1992. La superpuissance ayant renoncé à déployer encore directement ses soldats sur le terrain en Afrique, elle a opté pour l’utilisation des supplétifs que sont  armées de certains régimes des pays de ce continent. Ce faisant, sans risquer de déplorer la vie d’un seul soldat américain, les Etats-Unis peuvent rester maîtres de la situation sur différents théâtres d’opérations en y déployant des troupes de certains pays dits « sûrs » qu’ils paient et équipent. De plus, chacun y trouve son compte car les régimes choisis pour servir de supplétifs y gagnent doublement : leurs militaires sont grassement payés, surtout les hauts cadres, et le régime peut se vanter « d’assurer la paix mondiale » grâce à ses soldats déployés ici et là, où le veulent les Etats-Unis.

Quelques supplétifs sont privilégiés pour ce « contrat » 

Au début, seuls quelques régimes avaient pigé et étaient au parfum de cette nouvelle stratégie américaine qui s’avérera très juteuse.

Ainsi, à la surprise générale, les anciens maquisards tutsi venus d’Ouganda qui s’étaient mués en « Armée Rwandaise » en 1994, furent déployés en force dans différents théâtres d’opérations : au Darfour, en  Côte d’Ivoire, en Guinée Bissau, même en Haïti, au Mali, en Centrafrique, au  Sud Soudan… Bref, partout où les USA voulaient avoir un œil mais sans devoir y envoyer ses propres soldats.

L’Ouganda n’était pas en reste. Ses soldats furent déployés d’abord en Somalie d’où les mêmes Etats-Unis venaient de se retirer humiliés. L’Ouganda de Museveni comme l’Ethiopie de Meles Zenawi qui ont volé au secours pour atténuer la honte des USA en a été grassement rémunéré que ce soit politiquement ou financièrement. Ces soldats furent alors systématiquement déployés en RDC, en Centrafrique, au Darfour ou au Sud Soudan et y restent jusqu’à nouvel ordre et  pour le compte des USA.

Les soldats de l’Ethiopie restent des grands supplétifs des Américains dans la Corne de l’Afrique,  que ce soit en Somalie, au Darfour, ou au Sud Soudan, ils sont le bras armé et l’œil vigilant du Pentagone dans ces régions troublées.

Seulement voilà : le pot aux roses ne tarda pas à être découvert par les autres armées des pays africains. Ces armées veulent aussi leur part du gâteau et appellent leurs gouvernements à tout faire pour qu’elles aussi soient envoyées en missions dites de « maintien de la paix de l’ONU ou de l’Union Africaine », en fait pour qu’elles aussi soient entraînées, équipées et payées par les Etats-Unis ou l’Union Européenne.  Pour occuper tout le monde, il a fallu  multiplier ces opérations quitte à créer des conflits ou en entretenir artificiellement d’autres : RDC, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Burkina, Sud Soudan, Centrafrique, et peut-être prochainement au Burundi (?),…

Ironie du sort et aussi cyniquement que cela puisse paraître, les Africains eux même souhaitent que des conflits éclatent partout en Afrique ou que ceux existants soient entretenus pour continuer à bénéficier de l’argent et de l’équipement des Etats-unis et de l’Union Européenne dans le cadre des « missions de maintien de la paix ».

Cas spécifique du Rwanda après 1994

Les généraux Kabarebe, Nyamvumba et le représentant de l’armée américaine /photo igihe.com

Dans le cas spécifique du Rwanda d’après 1994, faillait-il ou faut-il encore parler de : Armée Patriotique Rwandaise (APR) – Armée Rwandaise ou Rwanda Defense Forces (RDF), autant d’appellations que se sont affublés ou s’affublent les éléments tutsi de l’armée de l’Ouganda qui se sont emparés du Rwanda en 1994,  ou simplement il faudrait les appeler une carrément : « Une milice locale créée et entretenue par les Américains pour être leur bras armée dans la région »?

Face au constat ci-haut, l’armée du régime du FPR au Rwanda ne peut être qualifiée autrement. En effet, les cadres supérieurs sont formés aux USA. Les cadres subalternes sont formés sur place par les Américains. Certaines unités sont exclusivement encadrées par les USA et leur emploi relève d’eux. C’est le cas des fameuses « Special Forces ». Les équipements sont fournis par les USA pour les unités d’appui au Commandement comme les Transmission (Tr),  le Génie (Gn), l’Aviation Légère (Lt Avi). Enfin, en opérations extérieures, le transport des troupes et du matériel est assuré par US Army. Et l’appui en matériel adéquat selon le terrain est assuré par US Army.

Il ne reste donc qu’ à souhaiter que les Etats-Unis ne permettent point  au régime d’utiliser la milice supplétive de l’US Army en Afrique centrale abusivement appelée « Rwanda Defense Force » dans des actions menées par d’autres milices du parti au pouvoir le FPR (Police, DASSO, Intore…) pour réprimer la population innocente quand elle exige plus de liberté et de démocratie. La Superpuissance en serait responsable devant l’Histoire.

Emmanuel Neretse
03/02/2017

 

 

 

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