Rwanda : Kajeguhakwa Valens, commandant en chef des brigades clandestines

Au moment où la presse revient sur le sacrifice des Tutsi par Paul Kagame pour ses ambitions politiques, il est éclairant de revenir sur un homme qui a été l’un des principaux artisans des brigades clandestines, une sorte de cinquième colonne pour le compte du FPR Inkotanyi quiattaquait le pays.

 

Valens Kajeguhakwa

Il s’agit de Valens Kajeguhakwa. Il a œuvré, dans l’ombre, à constituer, à l’intérieur du pays, des groupes-relais dont l’action a été déterminante pour la prise du pouvoir au Rwanda par Paul Kagame en juillet 1994. Trois mille cinq cents (3500) cellules étaient déjà implantées au pays au déclenchement de la guerre en octobre 1990, selon l’un des fondateurs du FPR, Tito Rutaremera, lors d’une conférence-débat organisée par le Parti du Travail Belge (PTB) à Bruxelles le 2 mai 1997.

 

 

Qui est Kajeguhakwa Valens ?

 

Enseignant au Groupe Scolaire de Byumba puis au Collège Inyemeramihigo de Gisenyi, Kajeguhakwa Valens est un Tutsi de la région du Bugoyi, dans les faubourgs de la ville de Gisenyi, dans la province du Nord (Rwanda). Il fut très tôt habité par une hantise, celle de détrôner un jour le « régime hutu » incarné successivement par Grégoire Kayibanda puis par Juvénal Habyarimana.

 

Ainsi, à partir de 1965, comme il dit dans son livre « Rwanda. De la terre de paix à la terre de sang et après?, Paris, Rémi Perrin, 2001 », il mijota un plan, dont l’une des composantes était de recruter des collaborateurs pour « une guerre prolongée où il faudra peut-être faire le mort, et jouer le chat qui dort, mais qui saura mordre là où il faut … » [p.164] le moment venu.
Pour ce faire, il fallait avoir des moyens financiers, le principal nerf de la guerre. Une stratégie fut élaborée. Elle consistait en « l’acquisition progressive des biens, le refuge dans l’anonymat et dans l’effacement » (p.157)à la manière du canard, qui se déplace dans l’eau sans faire des vagues. Il le fit également pour ses enfants auxquels il affirme avoir « jugé assez important de développer en eux le goût du secret et le sens de la dissimulation » [p. 155].

 

En 1976, la société TEXACO voulut vendre ses stations d’essence et quitter le Rwanda. Valens Kajeguhwa sauta sur l’occasion, aidé en cela par son ami d’enfance, Jean Berchmans Birara, alors gouverneur de la Banque Nationale du Rwanda, surtout pour l’acquisition des crédits bancaires de rachat. Kajeguhakwa abandonna ainsi l’enseignement et se reconvertit dans les affaires. TEXACO devint « Entreprise Rwandaise des Pétroles » (ERP). Elle ne tarda pas à avoir le quasi-monopole dans la fourniture des produits pétroliers sur tout le territoire national. Ses grands marchés étaient l’armée et la police. En en 1983, ERP « était devenue la plus importante dans le secteur pétrolier, disposant d’un vaste réseau d’une vingtaine de stations-service, dans un pays d’une superficie de 26000 kilomètres carrés. Elles vendaient plus de la moitié des produits pétroliers importés dans le pays… » [p. 195]

 


A lire : Recension complète du livre de V. Kajeguhakwa par Dr Phil. Innocent Nsengimana


 

Fidèle à son plan, Kajeguhakwa s’attela à tisser ainsi des relations privilégiées avec des officiers supérieurs, dont ceux de l’entourage immédiat du président Habyarimana. Dans son livre, il est on ne plus clair. Il dit, noir sur blanc, que « ses relations étroites avec la famille du président Habyarimana lui ont permis de placer ses protégés, comme domestiques au palais présidentiel, qui ont continué à lui rapporter les faits et gestes de l’Akazu ».

 

Pour occuper le terrain, Kajeguhakwa diversifia ses activités. En 1983, il mit sur pied une banque, la Banque Continentale Africaine au Rwanda (BACAR), filiale de la Banque Continentale du Luxembourg dont il détenait des parts à concurrence de 40%. Il créa également, en 1984, la CORWACO, une société qui s’occupait du transport international.

 

Toujours dans le cadre de la préparation de la guerre, Kajeguhakwa, fonda le journal Kanguka. Il employait deux journalistes : Vincent Rwabukwisi et Hassan Ngeze.

 

Création des brigades clandestines

 

Milliardaire, Valens Kajeguhakwa pratiqua le trafic d’influence et se rendit pratiquement incontournable. Il est parvenu à avoir ce qu’il faut pour mettre son plan à exécution. Ses sociétés allaient lui servir de couverture pour l’installation de brigades clandestines sur tout le pays. Un réseau d’informateurs quadrillait le territoire et chacun de ses 26 stations d’essence fut une planque pour le recrutement et un canal du renseignement qui remontait jusqu’à lui.

 

Dans son livre précité, Kajeguhakwa explique avec force détails, le fonctionnement de ce réseau : « J’avais veillé à disposer d’un réseau d’informateurs civils et militaires efficace, dont un commandant employé à l’Etat major de l’armée. Il me faisait une analyse extraordinaire de la haute direction de l’armée et de la gendarmerie, ses programmes immédiats et lointains. Il me renseignait sur le comportement de ses supérieurs, leurs alliances, leurs querelles, leurs dernières positions sur l’équilibre ethnique et régional, sur les problèmes des réfugiés rwandais, sur le mouvement politique et militaire de Museveni, sur les problèmes du Burundi, l’impact politico-militaire de l’assistance militaire étrangère, etc. Les civils me rapportaient l’état d’esprit des fonctionnaires, des étudiants, des commerçants, des événements importants dans les préfectures et les communes. Ces braves collaborateurs étaient tous hutu et payés par le réseau de mes stations-service, sur un budget séparé, arrêté au commencement de chaque exercice. Ils étaient placés à l’armée et à la gendarmerie, aux ministères, dans les principales entreprises publiques et privées, à la Banque nationale du Rwanda, dans les paroisses, aux marché de Kigali, de Butare, de Ruhengeri et de Gisenyi, à l’université de Butare et à Nyakinama, dans les prisons de Gisenyi et de Ruhengeri… » [pp. 202-203].

 

Son réseau était tentaculaire. Au sein de l’Eglise catholique, le recrutement des collaborateurs était fait par l’Abbé Ntagara : « Je demandai à l’Abbé Ntagara de recruter des partisans parmi ses confrères… Il devait mobiliser les Hutu et les Tutsi pour en faire l’avant-garde d’un combat pour la résurrection de la nation… Je mis en place un petit budget destiné à faciliter les déplacements ponctuels de l’Abbé à travers le pays. Au bout de quelques mois, il avait des candidats dans tous les diocèses… à l’exception de Cyangugu qu’il n’avait pas encore pu visiter. Nous nous étions accordés sur le principe que mon nom devait rester dans l’anonymat… » [p. 218].

 

Ce travail de sape fut encore facilité par la CORWACO qui avait des succursales « à Kampala, Nairobi, Mombasa et Dar-es-Salaam. Et à tous les bureaux douaniers installés aux postes frontaliers entre le Rwanda et l’Ouganda, l’Ouganda et le Kenya, et entre la Tanzanie et le Rwanda. Autrement dit, aux postes frontaliers de Gatuna et Kagitumba, côté ougandais, à Eldoret et à Malaba, côté kenyan, et enfin à Rusumo, côté tanzanien. Ce vaste réseau au cœur de l’Afrique orientale allait servir grandement dans les événements qui étaient en gestation… » [p. 199].

 

De cette manière, Kajeguhakwa pouvait « savoir de façon générale ce qui se passait au Rwanda, au Zaïre, en Ouganda et en Tanzanie. Le nerf de la guerre produisait déjà ses fruits » [p. 206].

 

Dans tout le pays et dans la région, des jeunes furent sensibilisés et adhérèrent nombreux à la cause. C’est en ce moment précis que Kajeguhakwa est allé rencontrer Paul Kagame pour lui remettre la carte topographique de l’emplacement de toutes les cellules clandestines actives qu’il avait mises en place à l’intérieur du pays et dans les pays limitrophes.

 

Voici comment Kajeguhakwa relate cette rencontre : « Je rencontrai Paul Kagame à Francfort en Allemagne où un rendez-vous avait été préparé dans un langage codé. J’y arrivai le 30 mars 1990 et notre rencontre eut lieu le 31 mars 1990 à 9 heures du matin à l’hôtel Frankfurt Intercontinental. A la fin de la conversation avec Paul Kagame, j’eus la sensation qu’une génération nouvelle partageait avec moi le poids qui pesait sur mes épaules depuis 1965. Je ne doutai plus que des mains plus jeunes et plus dissuasives pourraient me relayer et redéfinir dans la même philosophie que la mienne l’avenir de la nation. Je n’écartais plus la possibilité de servir dans une organisation dont je n’assumerais plus directement la direction » [p. 220].

 

De retour au pays, Kajeguhakwa avait pris encore plus d’assurance puisque la guerre était imminente et il entama des actions publiques pour « faire peur à Habyarimana » et à son régime. Il se barricada à sa résidence de Gisenyi qui devint un véritable bunker protégé par ses milices lourdement armées. Il écrit à ce sujet : « Plusieurs jeunes gens que j’avais aidés ou dont j’avais aidé les parents durant ma vie professionnelle s’étaient présentés pour être à mes côtés au cours de cette épreuve. Quelques-uns venaient juste de rentrer de la guerre de libération conduite par Museveni et gagnée en 1986. Ils allaient constituer une milice à l’intérieur de la parcelle. J’achetai les armes à feu qu’il fut facile aux guérilleros de faire traverser la frontière et d’introduire clandestinement dans mon domicile par pièces détachées. Le nombre des miliciens et le service logistique atteignaient la trentaine. Les trente pensionnaires subissaient un entraînement tous les soirs, de 19 à 21 heures, qui se faisaient dans un vacarme assourdissant, accompagné de chansons patriotiques des mouvements de libération du Mozambique et de l’Ouganda. Après le souper du soir, et le matin après le petit déjeuner, ils regagnaient les places qui leur avaient été assignées pour être bien vus, les armes à la main, par les passants et les militaires des alentours… Nous avions 15 Kalachnikov, 4 fal, 3 uzzi, des pistolets et une cinquantaine de grenades de toutes sortes… » [pp. 256-257].

 

Parmi ses recrues se trouvait Bizimungu Pasteur, qu’il a retiré de la STIR pour confier un grand poste de cadre à BACAR puis vite nommé à la tête d’ELECROGAZ, la société nationale de gaz et d’électricité. Le 25 septembre 1990, Pasteur Bizimungu, et Valens Kajeguhakwa, accompagnés de leurs familles (en tout plus de 27 personnes) ont fui le Rwanda par la frontière de Gisenyi et demandé asile en Ouganda. L’arrivée des deux fugitifs en Ouganda avait fini par convaincre le Rwanda que l’attaque était imminente.

 

Le 01/10/1990, la guerre éclata. Elle dura 4 ans et en juillet 1994, Paul Kagame s’empara du pays. Kajeguhakwa fut récompensé car son protégé, Pasteur Bizimungu, fut nommé président sous le contrôle du vice-président Paul Kagame.

 

Cette victoire fut obtenue après un bain de sang sans précédent dans l’histoire récente du monde. Des milices Interahamwe, infiltrées par les membres des brigades clandestines récupérées et instruites par Paul Kagame, firent des milliers de victimes. Le cas des massacres de Bisesero, relatée récemment par Marianne, est une illustration parfaite de l’action nocive de ces brigades crées par l’homme d’affaires Kajeguhakwa Valens.

 

Gaspard Musabyimana.

 

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