Afghanistan : Apprécier la situation en fonction des objectifs poursuivis par les parties prenantes

L’Afghanistan. Tout le monde en parle depuis quelque temps. Avec le départ précipité des Américains et de leurs alliés occidentaux, ce sont les Talibans qui règnent désormais sur le pays. Bien de gens s’accordent à dire que les États-Unis ont perdu la guerre face à des barbus armés de leur seul courage et de quelques kalachnikovs rouillées. En attendant les prochaines productions hollywoodiennes dans lesquelles les Yankees seront sûrement présentés comme les « gagnants » de cette guerre à plusieurs milliers de milliards de dollars US, une analyse globale de la situation s’impose pour comprendre les enjeux auxquels l’Afghanistan est confronté depuis le début de la guerre lancée, il y a 20 ans, officiellement pour démanteler le réseau Al-Qaïda, de feu Monsieur Oussama Ben Laden.

 

Que retenir de tout ça ?

Sur le plan strictement militaire, on peut s’avancer à dire que les États-Unis, pour ne pas dire l’OTAN, ont perdu la guerre. Je dis « strictement militaire » parce que les parties prenantes dans un conflit armé d’envergure n’apprécient pas la situation de la même manière. En effet, si pour les militaires, l’arrivée à Kaboul des Talibans constitue une grande défaite des armées coalisées de l’OTAN, il n’en demeure pas moins que pour les politiques et le complexe militaro-industriel, cette guerre est peut-être un grand succès. Au 30 septembre 2019, le Pentagone avait estimé que le coût des opérations américaines en Afghanistan était de 776 milliards de dollars (654 milliards d’euros) depuis 2001. Sur ce total, 197,3 milliards avaient été destinés à la reconstruction de l’Afghanistan et de ses institutions.

 

Quand on regarde l’Afghanistan, peut-on vraiment croire que les Américains et leurs alliés sont allés dans ce pays pour le reconstruire après avoir « détruit » les bases du réseau Al-Qaïda ?

 

J’ai des amis qui ont combattu en Afghanistan. Je n’aimerais donc pas remettre en question leur engagement. Je sais que la plupart d’entre eux voulaient aider. Mais entre les nobles intentions d’un militaire envoyé au front et les objectifs poursuivis par les politiques dans le cadre d’une politique étrangère à plusieurs inconnues, il y a parfois un énorme fossé.

 

Bref. Si l’on veut comprendre ou savoir si la guerre en Afghanistan est un succès ou un échec, il faudra tenir compte des intérêts poursuivis par les différentes parties prenantes. Parce qu’au-delà de la question relative au terrorisme, l’Afghanistan est aussi une grande réserve de minerais stratégiques. En 2010, une note interne du ministère américain de la Défense a qualifié le pays d’« Arabie saoudite du lithium », après que des géologues américains eurent découvert l’étendue des richesses minérales du pays, évaluées à au moins 1 000 milliards de dollars. Dans un monde où l’on ne jure que par les énergies renouvelables, qui peut se passer de l’Afghanistan aujourd’hui ?

 

Ah ! J’ai oublié une autre matière première tout aussi stratégique que le lithium : l’opium. Avec ça, on fabrique des drogues dures qui font voyager au paradis et même en enfer. L’opium permet d’alimenter le marché mondial des stupéfiants évalué à près de 500 milliards de dollars. Marché contrôlé par nul autre que la CIA. Les Talibans avaient éradiqué la culture du pavot en 2001. Mais lorsque les Américains ont débarqué, l’Afghanistan est [re]devenu la principale source de l’héroïne mondiale. 20 à 30% du PNB du pays est lié à l’opium. C’est dire…

En clair, ceux qui sont allés en Afghanistan avaient des raisons que la raison elle-même ignore.

 

La suite ?

Les Talibans vont sûrement consolider leur pouvoir, et tout laisse penser que la Russie et la Chine vont reconnaître leur gouvernement, en dépit des gesticulations occidentales. À voir comment les choses se sont passé ces dernières semaines, on a des raisons de penser que les Américains ont quand même joué leur partition, tout en donnant l’impression d’être choqués par l’arrivée des barbus à Kaboul.

 

Pour finir, je dirais ceci : un peuple déterminé et jaloux de sa dignité peut venir à bout de toutes les grandes armées du monde. Toussaint Louverture l’avait prouvé, il y a quelques siècles. Et les Afghans viennent encore une fois de le prouver en faisant reculer l’OTAN, après avoir vaincu les Britanniques et les Russes, il y a quelques décennies.

 

Patrick Mbeko

 

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