Mulindi et Bunagana. Quel lien ?

Conquête du Rwanda : Mulindi 1992. Conquête de la RDC: Bunagana 2022. Museveni et Kagame voudraient récidiver le coup de 1990-1994.

 

L’on se rappellera qu’après l’invasion du Rwanda par les éléments tutsi de l’Armée de l’Ouganda sous le commandement du vice-ministre de la Défense de ce pays le 01 octobre 1990, la diplomatie du Rwanda, pays agressé, n’a pas réussi à faire admettre le caractère de conflit de type international de cette guerre. Pourtant toutes les conditions, selon le droit international, étaient réunies pour que ce conflit soit reconnu comme opposant deux pays.

 

Par contre et paradoxalement, le pays agressé qu’était le Rwanda sous le régime de Juvénal Habyarimana, fut soumis à d’intenses pressions venant même des puissances qu’il considérait comme alliées ou amies (Belgique, France, …) pour qu’il reconnaisse qu’il s’agissait d’une “guerre civile entre rwandais” sous prétexte que les soldats de l’armée de l’Ouganda qui envahissaient, étaient des descendants des anciens réfugiés tutsi ayant fui le Rwanda dans les années 1959-61.

 

Ayant cédé à ces pressions, le régime Habyarimana entama des pourparlers directs avec les envahisseurs sous diverses médiations multiformes : N’Sele, Mwanza, OUA, … Malgré cette victoire diplomatique du pays agresseur dont le président Yoweri Museveni était aussi président en exercice de l’OUA, une organisation dont le Secrétaire général était son ami le Tanzanien Salim Ahmed Salim, la concrétisation de cette victoire diplomatique restait irréalisable concrètement.

 

En effet du 01 octobre 1990 à mai 1992, malgré les attaques meurtrières des éléments des envahisseurs sur des populations des zones frontalières avec l’Ouganda, le FPR n’était pas parvenu à occuper ne fut-ce qu’un mètre carré du territoire rwandais. Et ses soutiens et commanditaires étaient très gênés car ce FPR ne pouvait pas montrer à la presse ou aux diplomates étrangers où il se trouvait au Rwanda. Ce qui était évident, car chaque fois après ses incursions, tueries et pillages, il se repliait en Ouganda. Et quand ses combattants tentaient d’occuper une position, les FAR les en délogeaient et les refoulaient hors du territoire national.

 

Pour débloquer cette situation, les stratèges et puissances soutenant le FPR vont procéder étape par et étape dans deux volets : politique et militaire. D’abord en avril 1992, Habyarimana fut dépouillé du pouvoir et le gouvernement confié aux partis naissants ou renaissants. Il resta un “président symbolique et protocolaire” ayant moins de pouvoir politique que les présidents de l’Allemagne ou de l’Italie dont certains citoyens ne connaissent même pas les noms tellement les Chefs des gouvernements (Chancelier en Allemagne, Président du Conseil en Italie) sont les seuls détenteurs du pouvoir politique et donc plus connus.

 

Dans la foulée, ces partis désormais au pouvoir à Kigali, vont être poussés à tomber dans les bras du FPR. C’est ainsi qu’à Bruxelles le 03 juin 1992, ils signeront un pacte qui stipule que l’objectif ultime de leur combat est le même que celui du FPR à savoir : le renversement de Habyarimana. Voilà pour le volet politique.
CommuniqueFPR-MDR-PSD-PLBruxelles3juin1992(2)

Pour le volet militaire, l’armée ougandaise fut fortement mobilisée pour permettre à ses éléments tutsi du FPR de conquérir au moins une colline ou localité du territoire rwandais à la frontière. C’est ainsi que le 02 juin 1992, avant même que les délégués de ses alliés qui étaient à Bruxelles ne reviennent à Kigali, le FPR lança une offensive foudroyante appuyée par l’artillerie lourde de l’Ouganda et tirant à partir de ce pays dont l’axe principal était le poste frontalier de Gatuna vers la ville de Byumba, chef-lieu de la préfecture de Byumba. Les FAR, surprises car ayant été endormies par l’autorité politique qu’est le gouvernement, résistèrent quand même et parvinrent à garder la ville de Byumba. Mais hélas ! le FPR parvint à occuper et à s’installer sur la colline de Mulindi siège de l’usine à thé du même nom, située à peine à 5 km de la frontière avec l’Ouganda. Les FAR pouvaient à ce moment-là contre-attaquer et reconquérir l’usine à thé de Mulindi. Mais elles en furent empêchées par l’autorité politique à savoir le gouvernement, qui avait pris même soin de demander à la France de ne plus livrer des munitions pour pièces d’artillerie lourde pouvant tirer de loin sur Mulindi pour traiter l’objectif par le feu pendant la progression des troupes au sol qui iraient monter à l’assaut.

 

Toutes les conditions (politiques, militaires) désormais réunies, les puissances créatrices et soutenant le FPR pouvaient rassurer leur poulain qu’il allait se présenter la tête haute et en position de force dans les négociations dites de paix qui allaient s’ouvrir à Arusha en Tanzanie en juillet 1992 entre le gouvernement rwandais et le FPR. La suite, on la connaît.

 

Bunagana 2022

 

En RDC, depuis mars 2022, un groupe armé constitué de tutsi congolais sous le sobriquet du M23 fait encore fait parler de lui à l’Est de ce pays, plus exactement dans la province du Nord Kivu. Ce groupe armé avait été vaincu et chassé de la ville de Goma frontalière du Rwanda et chef-lieu de cette province qu’il avait conquise et occupée pendant quelques semaines en 2013.

 

Basé au Rwanda et en Ouganda, le nouvel M23 va très vite user des méthodes dont le FPR avait usé pour imposer ses volontés (les volontés des puissances le soutenant) au Rwanda pour les rééditer en RDC. N’étant localisable nulle part sur le territoire congolais en 2022, et ne pouvant pas conquérir la RDC et même l’entièreté de la province du Nord Kivu, ses commanditaires, le Rwanda de Kagame et l’Ouganda de Museveni, vont mettre le paquet pour qu’il s’empare d’une localité sur le territoire de la RDC et pour qu’il en fasse son Quartier Général officiel.

Ce fut alors la prise de la localité de Bunagana à la frontière avec l’Ouganda fin juin 2022, exactememt comme Mulindi au Rwanda en juin 1992.

 

Même rhétorique

 

Aussitôt Bunagana prise par le M23, le président de l’Ouganda Museveni va enfoncer le clou en déclarant que la RDC ne devrait plus considérer le M23 comme un groupe terroriste et l’exclure des pourparlers initiés à Nairobi. Son argument est que ce sont des congolais qui se battaient contre d’autres congolais et que donc une issue politique est la seule indiquée.

 

Le M23, groupe armé des tutsi congolais défait en 2013 désormais remis en scène, va ressasser la leçon apprise de M7 et de Kagame dans les médias. Ses porte-paroles basés à Kampala et Kigali vont répéter qu’ils rejettent toute décision des instances régionales (médiation de l’Angola, initiative de Nairobi, … ) qui stipule que les groupes armés à l’Est de la RDC doivent déposer les armes sans conditions. Et la clause de ces résolutions stipulant que le M23 devrait quitter les positions qu’il occupe militairement depuis mars 2022. Ce groupe terroriste rétorque que cela ne peut jamais être réalisé car étant congolais et Bunagana étant sur le territoire congolais il devrait y rester.

 

Et pour lever tout équivoque sur la stratégie et les intentions du Rwanda envers la RDC, le ministre des Affaires étrangères Vincent Biruta passera de longues minutes à expliquer sur RFI que le M23 est constitué de congolais rwandophones tandis que les actions de l’armée de Kagame en RDC ne peuvent jamais cesser car les FDLR se trouveraient encore en RDC et menaceraient le régime de Kigali car ce sont des génocidaires congénitaux.

 

Pourtant ces FDLR, si elles existent encore, sont des rwandais et le problème qu’elles posent est rwando-rwandais. Personne ne peut oser demander à Vincent Biruta pourquoi ce qu’il demande à la RDC en ce qui concerne le M23, la RDC à son tour ne peut pas le lui demander pour les FDLR.

 

Et curieusement ce sont les mêmes arguments “mutatis mutandis” soumis au gouvernement de la RDC en 2022 que ceux soumis au Rwanda en 1992.

 

Si le Rwanda de l’époque, sans gouvernement responsable et solidaire, sans marge de manœuvre face aux exigences des puissances créatrices et soutenant le FPR, n’a pas pu y opposer de contre-arguments, il n’en est pas de même pour la RDC en ce 2022.

 

Selon les calculs de Museveni et Kagame, Bunagana doit donc devenir le Quartier Général du M23  où ses chefs de guerre pourront accueillir des personnalités étrangères et la presse exactement comme le fut l’usine à thé de Mulindi au Rwanda en 1992. Et par après, c’est de Bunagana que doit partir l’opération et l’assaut final (comme Mulindi au Rwanda en avril 1994) pour conquérir d’abord le Nord Kivu et si possible le Sud Kivu pour en faire un “Tutsi-Hima Land”, comme l’a révélé récemment le général Muhoozi Kainerugaba, fils du président Museveni et son dauphin présomptif. Ainsi seront  accomplies les prévisions concernant la balkanisation du Congo.

 

Contre-argument clair et juridiquement valable.

 

La RDC a pourtant des arguments convaincants quand elle demande que le M23 doit quitter toutes les positions conquises depuis sa résurrection de mars 2022. Cette exigence endossée par la médiation angolaise comme par l’initiative de Nairobi ne va pas à l’encontre du fait que les membres du M23 soient congolais. En effet comme citoyens congolais et qui peuvent s’installer où ils veulent sur toute l’étendue de la RDC, s’ils veulent rester à Bunagana, ce serait de leur droit. Mais à condition qu’ils déposent les armes car seules les forces armées régulières de ce pays, à savoir les FARDC et la Police nationale, peuvent être armées. A cela s’ajouteraient d’autres citoyens qui en recevraient individuellement l’autorisation en demandant et en obtenant le “permis de port d’armes”. Donc la fausse interrogation des terroristes du M23 que l’exigence de quitter les positions militaires qu’ils occupent est absurde, car ils n’auraient pas ailleurs où aller car congolais, est irrelevante. Ils peuvent rester où ils sont mais non armés, sauf ceux qui auraient le permis de port d’armes délivré par le gouvernement.

 

En conclusion

 

Nous pouvons dire que Museveni et Kagame, en voulant rééditer l’exploit qu’ils ont réalisé il y a trois décennies en installant le FPR à Mulindi et delà à conquérir tout le Rwanda, se trompent d’époque et de domaine. Même en sciences exactes, pour refaire au  laboratoire une expérience datant de 30 ans et espérer arriver aux mêmes résultats, il y a des préalables et pas toujours maitrisables, notamment les mêmes conditions de température et de pression… Alors en sciences non exactes comme la politique, la sociologie ou même la polémologie… l’on comprendra que la réédition de l’essai transformé au Rwanda en 1990-1994 ne pourrait pas nécessairement l’être en RDC en 2022.

 

La RDC de 2022 n’est pas le Rwanda de 1992. Sur le plan politique, la RDC a un gouvernement cohérent et dont les membres œuvrent aux mêmes objectifs sous l’autorité du chef de l’Etat et la coordination du Premier ministre. Ce qui n’était pas le cas du Rwanda depuis avril 1992. La RDC, dont la superficie est plus de 80 fois celle du Rwanda et dont la capitale Kinshasa se trouve à plus de 2000 km du Quartier Général du M23 qu’est Bunagana, ne peut être assimilée au Rwanda de 1992 où le Quartier Général du FPR à Mulindi était situé à moins de 80 km de la capitale Kigali.

 

Enfin, avec plus de 100 millions d’habitants appartenant à de plus de 300 communautés ou ethnies, la RDC ne peut  être assimilée au Rwanda de 1990-1994 où la lutte pour le pouvoir se résumait à une lutte à mort entre les hutu et les tutsi , principales ethnies du pays même si les twa étaient et restent marginalisés.

 

La réédition du coup de Museveni qui a pu conquérir le Rwanda par ses “boys” du FPR et à leur tête Kagame, pour cette fois-ci conquérir la RDC (ou au moins les deux Kivu) par le M23, risquent donc de ne pas produire le même résultat qu’au Rwanda. Mais encore faut-il que les « futurs conquis congolais » en prennent conscience et fassent tout et solidairement pour éviter leur assujettissement aux hima-tutsi. Ce que les rwandais n’avaient pas compris et qui eux-mêmes ont contribué à cette entreprise de leur assujettissement.

 

Emmanuel Neretse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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