Lettre ouverte adressée à son Excellence l’ambassadeur Jean Michel Marlaud par le Général Augustin Ndindiliyimana, ancien ministre rwandais

Excellence Monsieur l’Ambassadeur,

 

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre livre particulièrement sur le rôle de la France pour amener les Rwandais à la solution pacifique du conflit armé ainsi que votre volonté de sauver les accords de paix après l’attentat. Vous avez recueilli des informations et fait des analyses sur des problèmes qui ont conduit à l’indicible. Mon souhait est que mes observations sur votre livre puissent susciter chez vos lecteurs et pour vous-même, l’intérêt pour le décryptage des secrets qui entourent la tragédie rwandaise.

 

D’emblée, je ne nie pas la mort des Tutsi et je ne cherche pas à me défendre sur ce que vous avez écrit à mon sujet. Vous êtes un de ces acteurs de premier rang parmi lesquels je compte le Général Dallaire et le Colonel Luc Marchai mes co-acteurs. Le premier est connu surtout pour son livre « J’ai serré la main du diable » et le second pour « La descente aux enfers ». Vous pourrez y lire leur témoignage sur le rôle que j’ai joué dans le cadre de la sécurité. En plus de ce qu’ils ont écrit, ils ont aussi témoigné devant le TPIR, le premier en qualité de témoin de l’accusation et l’autre de la défense. Tous deux ont présenté des témoignages véritables et vérifiables comme nous allons le voir.

 

A travers cette lettre, ma démarche n’est pas de juger qui que ce soit. Je fais un témoignage pour nous Rwandais d’abord qui avons sur nos épaules le lourd fardeau de la partie sombre de notre histoire. J’essaie de discerner la vérité sur les causes de l’indicible et sur les responsabilités cachées et ceci dans l’espoir que les générations futures comprendront le mal qu’il faut combattre à savoir la lutte criminelle pour le pouvoir, et elles pourront s’imprégner des valeurs de respect de la vie.

 

Je partage sans restriction votre souci de défendre votre pays qui n’a, effectivement, aucune complicité dans le génocide rwandais. Jusqu’alors, j’étais offusqué de voir tant de mensonges proférés à l’égard de la France sans qu’il me soit possible de trouver des personnes en mesure de prendre une position conforme à la réalité. Au TPIR, mes coaccusés avaient des avocats français que le Procureur ne cessait de tacler sur l’implication de la France dans le génocide sans qu’ils réagissent. Lors d’un entretien avec eux je leur ai demandé comment ils pourraient nous défendre s’ils n’étaient pas capables de défendre leur propre pays. Dans la suite, ils ont plié bagages et quitté nos procès les uns après les autres. J’ai pensé que la France était probablement impliquée d’une manière que j’ignorais et que donc ils ne nous croyaient pas. Cela me rappelait le cas de votre ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner quand il est venu au Rwanda au mois de mai 94 en pleine guerre. Il est allé à Gitarama s’entretenir avec les membres du gouvernement intérimaire. Sur le trajet du retour, tard le soir, le FPR tira sur le cortège à hauteur du mont Jali. L’escorte le protégea mais ensuite, votre ministre fit des déclarations accablantes accusant les FAR d’avoir tiré sur lui. Nous avons eu beau lui expliquer que c’était le FPR, il n’a pas voulu nous croire.

 

Dans votre livre vous témoignez en connaissance de cause des mensonges dont on peut être victime dans le dossier sur le génocide rwandais. Sur ce sujet, je peux en dire plus. Vous êtes aussi un de ceux qui sont intervenus pour qualifier les événements de génocide avant les enquêtes. Vous parlez de la persécution des Tutsi : Personnellement je n’ai pas connu cette situation dans mon milieu familial ni à travers mon parcours scolaire et professionnel. Par contre, je peux témoigner des situations de luttes des réfugiés Tutsi pour reprendre le pouvoir perdu en 1959. Ces luttes étaient accompagnées d’une demande auprès de l’ONU d’une reconnaissance d’un génocide. Ce fut le cas lors des attaques de 1964 et 1967 mais les enquêtes de l’ONU ne concluaient pas sur l’existence de ce crime dans ces conflits. En revanche, des Tutsi dans certaines écoles ont fait objet d’exaction dans les troubles qui ont précédé le coup d’état de 1973. Les instigateurs et certains assaillants ont rejoint le FPR[i] [ii]. En 1993, alors que les négociations étaient très avancées, le FPR reprit les hostilités comptant sur les associations de défense des droits de l’homme qui déjà avaient pointé du doigt le régime, et il clama qu’il y avait eu génocide. Encore une fois la commission internationale d’enquête trouva qu’il n’y avait pas d’éléments de preuves de génocide dans toutes les régions du pays. Comme le FPR, vous affirmez cependant qu’il y a eu génocide au Bugesera sans fournir des preuves.

 

Notre ministre de la Défense James Gasana apporta quelques précisions concernant le télégramme du FPR demandant cette reconnaissance de génocide en 1993. Il écrit «L’objectif de la nouvelle offensive du FPR était donc d’atteindre Kigali et prendre le pouvoir. Il comptait sur l’abandon de Habyarimana par la communauté internationale, car il a fait coïncider son attaque avec la sortie du rapport de la commission internationale d’enquête déjà citée. Il s’attendait à ce que cette commission conclut sur le génocide des Bagogwe, ce qui aurait alors donné une justification morale à sa prise de pouvoir et permis de faire couper tout appui diplomatique et militaire au gouvernement ».

 

Directement après l’attentat du 6 avril 1994, avec des appuis divers, le FPR mit en marche sa machine de guerre « killing machine » ; Il obtint la victoire militaire et la reconnaissance du génocide. A travers cette tragédie, je voudrais partager mon expérience, relever quelques non- dits et des mensonges: les secrets d’histoire.

….

 


[i] Les chefs des services de renseignement le Colonel Kanyarengwe et le Major Lizinde étaient les principaux organisateurs et Pasteur Bizimungu un des assaillants les plus remarquables.

’ Livre de Gasana James : « Du parti-Etat à l’État-gamison » p. 183


Intégralité du Texte (30 pages)LETTRE AMBASSADEUR MARLAUD_DEF

 

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